Au Sénégal, l’incompréhensible positionnement d’Abdoulaye Wade

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Les candidats de l’opposition sénégalaise comptent sur Abdoulaye Wade pour revenir sur son appel au boycott de la présidentielle du 24 février. Ils espèrent également bénéficier du réservoir de voix du PDS, formation politique de l'ex-chef d'État.


À Dakar, le retour d’Abdoulaye Wade de Conakry est très attendu. Persistera-t-il dans son appel au boycott de la présidentielle prévue le 24 février ou livrera-t-il un discours plus apaisé au point d’annoncer des consignes de vote au profit d’un des quatres candidats de l’opposition ?

“Attendons qu’il vienne et qu’il fasse sa déclaration” déclare prudent Malick Gakou, ancien candidat à la présidentielle contacté par France 24 et soutien d’Idrissa Seck, qui fait figure de principal challenger de Macky Sall.

En Guinée, où il s'est rendu mi-février, Abdoulaye Wade, 92 ans, a été reçu par le président Alpha Condé en présence de l’ancien président français François Hollande, également en visite dans le pays. Selon plusieurs observateurs, l’ancien président sénégalais se serait laissé convaincre par le chef de l’État guinéen de revenir sur ses propos incendiaires tenus ces derniers jours. Mais officiellement rien n'a filtré de leur entrevue. “On n’a pas vraiment d’éléments sur ce qu’ils se sont dits. Pourquoi ce choix d’aller voir Alpha Condé ?” s’interroge Babacar Ndiaye, analyste politique pour le think tank Wathi basé à Dakar, contacté par France 24.

Le 13 février, l’ancien président sénégalais, dépité de l’invalidation de la candidature de son fils Karim Wade, condamné en 2015 à  six ans d’emprisonnement pour enrichissement illicite, a appelé les électeurs à brûler leurs cartes d’électeur et la liste électorale. “Nous décidons de nous attaquer aux bureaux de vote pour qu’il n’y ait pas d’élection. Il suffit de prendre un peu d’essence pour brûler la liste des électeurs. Et ce n’est pas un délit. Ce sont des bulletins de fraude, qui participent à un système de fraude. C’est le devoir des citoyens de les détruire”, avait alors affirmé Abdoulaye Wade devant des partisans.

Vent d’incertitude

Début février, à son retour à Dakar après deux ans d’absence, son appel au boycott de la présidentielle, qu’il juge “verrouillée” par le parti au pouvoir au profit d’une réélection de Macky Sall, suscitait déjà la polémique. “Macky Sall a déjà son pourcentage, 55 % ou 65 %. Le sachant, ne vous ridiculisez pas en participant à cette élection”, avait affirmé “Gorgui” (le vieux en wolof) qui n’entendait pas adoubé une autre candidature que celui de son fils, exilé au Qatar.

Mais bien que cet appel ait reçu un accueil mitigé au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS), sa formation politique, des partisans des quatre autres candidats opposés à Macky Sall et de la société civile, cette attitude laissait planer une incertitude sur le bon déroulement du scrutin.

“Il est quand même extraordinaire qu’un ancien président de la République appelle publiquement et de façon soutenue à l’insurrection en demandant de procéder à la destruction des bureaux de vote et au sabotage du scrutin. Une telle posture pose un réel problème qui va dans le sens de compromettre la tenue normale des élections au Sénégal”, s’est insurgé par la suite Abdou Aziz Mbaye, conseiller spécial de l'actuel chef de l’État.

Pour Pierre Atepa Goudiaby, ex-candidat qui a l’oreille d’Abdoulaye Wade, l’appel au boycott s’est fait “sous le coup de l’émotion d’un père qui a vu que de manière tout à fait injuste son fils a été élmininé d’un processus démocratique. Et je suis sûr qu’à son retour de Conakry, il va appeler à un discours d’apaisement. Comme vous le savez, il s’est toujours battu pour la démocratie”.

Électorat convoité

Si du côté de l’opposition, on espère un changement de ton de la part de l’ancien chef d’État, on attend surtout qu’Abdoulaye Wade donne des consignes de vote. Le PDS est la deuxième force politique du pays avec 19 députés à l’Assemblée nationale. Lequel des candidats de l’opposition profitera donc de ces milliers de voix ? “Il a un véritable poids électoral et des consignes de vote au profit d’un candidat pourraient faire la différence. Mais pour l’instant il ne soutient personne. On ne comprend d’ailleurs pas cette stratégie”, affirme Babacar Ndiaye, l’analyste politique.

Abdoulaye Wade pourrait bien soutenir Idrissa Seck, qui a été son Premier ministre entre 2002 et 2004 avant d’entrer en disgrâce. Il fédère une large coalition de l’opposition autour de lui, et a reçu le soutien de l’ex-maire de Dakar Khalifa Sall, condamné à cinq ans de prison pour escroquerie. Wade connaît également le candidat Madické Niang, son ancien ministre des affaires étrangères. Mais ce dernier a pris ses distances du PDS face au refus du “Vieux” de n'adouber que son fils Karim Wade. “Personne ne s’attendait à une candidature de Madické Niang. Mais il a pris ses dispositions, il a organisé sa stratégie et il a pu passer l’étape des parrainages”, explique Babacar Ndiaye.

Pourquoi pas Ousmane Sonko, la figure montante de l’opposition sénégalaise qui tient un discous anti-système et jouit d’un capital sympathie auprès des jeunes? En 2016, cet ancien inspecteur des impôts avait été radié de la fonction publique après avoir dénoncé des malversations dans la gestion du pétrole et du gaz. Et c’est à cette fin que travaille Pierre Atepa Goudiaby qui soutient l’ancien haut fonctionaire. “Nous espérons que les consignes de vote d’Abdoulaye Wade seront en faveur de notre champion.  C’est le candidat de la rupture” explique l’architecte assez conscient des différentes tractations qui s’effectuent déjà autour d’Abdoulaye Wade. “Il pourrait bien soutenir mon bon jeune frère Idrissa Seck ou pourquoi pas Issa Sall. Ce que nous ne voulons pas, c’est un appel au boycott.”

France24

Créé le 19 février 2019 09:55

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