Assaut contre Sékhoutoureyah : Un an après, l’épouse du chef de la garde rapprochée d’Alpha Condé parle…
CONAKRY-Ce sont de nouvelles révélations [exclusives] qui jettent la lumière sur la façon dont le palais est tombé le 05 septembre 2021. Madame Aminata Camara, l’épouse du chef (commandant) de la garde rapprochée d’Alpha Condé, le colonel Yémoriba Camara a brisé le silence, un an après le putsch. Cette veuve qui a perdu son époux sur le champ de bataille vit aujourd’hui en exil.
A l’occasion de l’an 1 de la chute d’Alpha Condé et de la prise du Pouvoir par le CNRD (comité national du rassemblement pour le développement), Africaguinee.com l’a interrogée. Dans cet entretien à bâton rompu, elle lève un coin du voile sur certaines zones d’ombres notamment liée à la sécurité du palais (désarmé) avant le coup d’Etat. Une sécurité drastiquement amoindrie sur ordre du président déchu. Madame Camara raconte les derniers instants vécus avec son mari, les signes de la fin…
Cette veuve a été expulsée de sa maison au lendemain du coup d’Etat. S’en suivent pour elle, une longue traversée de désert : bâillonnement, mises en garde, surveillance, séparation avec ses enfants…c’est une femme encore sous le choc qui a accepté de parler. Comment vit-elle la douleur de la déchirure familiale ? Quels sont ses souhaits ? La veuve de feu commandant Yémoriba Camara parle. Exclusivité Africaguinee.com.
AFRICAGUINEE.COM : Madame Aminata Camara, il y a un an (le 05 septembre 2021), une mauvaise nouvelle vous parvenait, celle de la disparition de votre époux commandant Yemoriba Camara, ex commandant de la garde rapprochée de l’ancien président Alpha Condé. Racontez-nous comment ?
MADAME AMINATA CAMARA : Ça été dur et difficile pour moi et pour toute la famille. C’est vraiment difficile d’aller jusqu’à même croire qu’il est mort. Pour moi, lui et ses compagnons étaient détenus quelque part. A chaque fois, je pensais qu’il allait me revenir. Malheureusement, j’ai eu la nouvelle que je n’ai pas souhaité entendre. L’annonce de son décès. D’information en information, on m’a dit lundi soir que le corps de mon mari est à la morgue. C’était par le biais d’une personne qui m’a informé dans l’anonymat me disant d’aller à la morgue voir. Je suis allée à la morgue, je n’ai pas été permise de le voir. Il parait que c’était affreux ce qui était dedans. On m’a retenue pour dire de ne pas rentrer parce que déjà, il y avait des corps qui arrivaient tout le temps. Sur place, on me dit de retourner à la maison et après ils vont nous faire parvenir les corps. Ce qui n’a jamais eu lieu, nous n’avons pas vu ces corps. Les actes de décès non plus, on n’a pas reçu, malgré la demande que nous avions formulée. A l’hôpital, personne n’a pu le faire malgré notre insistance. Finalement, ils ont été enterrés sans nous et nous ne savons pas où ils sont enterrés.
Revenez-nous sur les derniers instants passés avec votre mari avant son retour qui lui a été fatal à la présidence ?
Les derniers instants vécus avec mon mari…je dois avouer qu’il était en deuil suite au décès de ma coépouse, sa première femme, quelques mois auparavant. Mon mari était là avec moi et les enfants de ma coépouse. A côté, il y avait son calendrier chargé pour la sécurité présidentielle. Il vivait avec tout ce poids moral dans la tête. Il n’était pas vraiment tranquille, parfois même il n’avait pas notre temps, mais je le comprenais vraiment.
Pour revenir aux derniers jours, le vendredi 3 et samedi 4 septembre 2021, nous avons passé les journées ensemble à la maison. Ces jours, on a vraiment joué, chahuté avec les enfants. C’était la joie en famille. Mais tout d’un coup samedi (03 septembre) vers 13 heures, il me dit qu’il y a un décès au quartier dans la grande famille, il se prépare pour aller présenter les condoléances. Comme toujours, il s’habille très bien avec élégance, il décide de partir, j’ai dit aux enfants, venez mettre les affaires de papa dans la voiture il veut partir. Je lui ai dit Monsieur Camara : j’ai presque fini de préparer. Il revient s’asseoir dans le fauteuil, et me dit : faites vite alors. Il n’a pas mangé sur place, nous avons fait monter les glacières de riz dans le véhicule, il est parti avec. Ce jour, c’est lui-même qui conduisait, il était avec un jeune garde. Ils sont partis, mais il m’a laissé dans le chahut vraiment. En bougeant, je lui dis : tu reviendras le soir ? Il m’a répondu qu’il va voir. Il a quitté la maison entre 13H 14 heures.
Vers 20Heures, il m’appelle au téléphone pour me dire finalement qu’il va passer la nuit dans la grande famille, il va discuter un peu avec les enfants (de ma coépouse), parce que ça fait un peu longtemps, il n’a pas eu le temps de rester avec eux. J’ai marqué mon accord, en lui disant qu’on se verra le matin. On s’est donné aurevoir sans jamais imaginer qu’on n’allait plus se revoir.
J’ai fait un Rêve lié à l’attaque du palais, sans pouvoir l’interpréter
J’avais fait un rêve que je lui ai dit ce jour, le samedi 4 septembre. Je voulais garder pour moi, mais je me suis dite que le rêve là est trop bizarre. Le matin, il prenait son petit-déjeuner, je suis venue là où il était assis, j’ai expliqué le contenu de mon rêve. Dans le rêve, j’ai vu des grosses vagues d’eau envahir notre maison, j’ai réussi à prendre les enfants pour sortir dehors. Après l’eau nous a atteint juste aux pieds. J’ai dit à mon mari si l’eau nous trouvait dans la maison, ce n’est pas bon (…). Dans le rêve, on me dit Mme dans toutes les corniches que vous voyez, il y a eu tellement d’eau et des morts. Quand j’ai conté le rêve à mon mari, il dit interloqué ah bon ! Après, il n’a plus rien dit. Arrivé dans la grande famille, il demande à un imam le sens du rêve, ce dernier lui dit que ce n’est pas mauvais. L’imam lui dit de faire sortir de l’eau et la jeter dehors. C’est le jour de sa mort que l’imam a révélé que mon mari lui avait demandé ce que signifie un tel rêve. L’imam a confessé qu’il savait bien que ce n’était pas un bon signe, mais il n’a pas voulu le lui dire directement. Et, il y a beaucoup d’autres personnes qui ont fait des rêves sur lui, mais il n’a pas pris en compte.
Votre mari était-il de garde dans la nuit du samedi à dimanche 05 septembre ?
D’abord, mon mari m’avait appelé très tôt le matin (du dimanche), je n’avais pas compris. Ce sont les coups de feu qui m’ont réveillé, mon domicile se trouvait à la cité près de petit bateau. C’est les tirs vers le palais qui m’ont réveillé, je ne savais pas de quoi il s’agissait. Après, je constate l’appel manqué de mon mari au téléphone. C’est quand les tirs se sont accentués au petit matin que je me suis réveillée. Je me suis demandée qu’est-ce qui se passe ? Les tirs retentissaient au-delà de petit bateau. Comme c’était vers le centre de Kaloum que ça tirait, je me suis dite que ce n’est pas une bonne chose. Du coup, je prends le téléphone pour appeler mon mari, ça sonne il ne répond pas malgré l’insistance. Comme je ne l’ai pas eu, j’ai joint l’un de ses fils du côté de la grande famille pour essayer d’entrer en contact avec mon mari, son fils me dit qu’il est descendu au palais. Je dis au garçon ça ne fait que tirer vers le palais, je ne comprends pas pourquoi il est injoignable.
Je lui ai dit qu’en ville nous entendons les tirs tout en lui demandant de joindre son père. Il a eu une réponse courte de son père qui lui dit de ne pas aller vers là-bas. Le garçon me rappelle pour me dire qu’il a eu son père au téléphone mais il ne lui a répondu que vaguement. Le message de son père était : « Il ne faut même pas venir par-là ». Il a coupé. J’ai demandé au garçon, c’est tout ce que ton père t’a dit. Je reprends le téléphone pour le joindre à mon tour, son numéro ne sonne qu’occuper ou en communication. Je me dis qu’il est en pleine opération peut-être. Je n’ai plus eu l’occasion de l’avoir. Vers 9 heures, il n’était plus joignable. Quand j’appelles, j’entendais une tonalité rare sans réponse, c’est comme si une ligne lâche ou comme un téléphone hors réseau, parfois comme un numéro renvoyé.
Malgré tout, je suis restée confiante, je me disais peut-être qu’ils ont été neutralisés et leurs téléphones éteints. Jusque-là je n’ai pas pensé à la mort, mais plutôt j’ai pensé à une prise d’otage et qu’après ils seront libérés pour rentrer dans leurs familles respectives. Hélas c’était fini.
J’ai continué à passer des coups de fil à des connaissances à la présidence pour avoir le cœur net, parmi eux, une femme me dit : reste tranquille, il n’y aura rien, ils ne leur feront pas du mal. Habituellement entre eux, dans l’armée ils ne se font pas du mal. J’ai demandé si c’est sûr, elle confirme une nouvelle fois qu’ils seront pris mais après, ils vont les relâcher. J’ai pris cette explication comme argent comptant, pour moi il allait me revenir de toute façon. Après, les suspenses commencent à naitre, des amis et proches appellent pour demander des nouvelles en vain, même un coup de fil plus rien. Après les nouvelles se propagent, certaines femmes commencent à dire je n’ai aucune nouvelle de mon mari, chacun rappelle le moment où ils ont été en contact avec leurs maris, hier dans la journée, depuis hier nuit. C’est tout ce qui nous revenait comme information. Seule une dame qui avait son frère parmi les gardes qui a dit que son père a appelé tard la nuit pour dire de rester tranquille que tout se passe bien. Des gens venaient me voir pour avoir des nouvelles avec un calme profond. Une collègue à moi m’a appelé en larmes en disant qu’elle a peur, elle insiste : Mme Camara j’ai peur. C’est moi qui la rassurais finalement. Quelqu’un a rajouté que des gardes ont été embarqués, j’ai estimé qu’il serait de la partie, je tenais cette thèse-là espérant que mon mari est vivant et qu’il va venir.
C’est le soir qu’on m’a demandé d’aller à la morgue voir. Je pensais qu’il est là-bas. C’était le lendemain. Après le fils à mon mari me confirme l’information, il est parti s’informer à la morgue par une source anonyme. Il me dit maman ton mari est décédé (pleurs NDLR). J’avais du mal à croire. Je ne savais même plus où j’étais. J’ai rendu grâce à Dieu malgré tout, j’ai dit nous avons perdu quelqu’un il n’y a pas longtemps, c’est le mari qui suit. Maintenant je suis devenue père et mère de tous ces enfants. Que dois-je faire maintenant ?
Vous a-t-on expliqué comment il avait quitté la maison de votre défunte coépouse ?
Apparemment il est sorti de façon ordinaire. Parce qu’il a fait sa prière le matin comme d’habitude, il a mis ses chaussures. C’est pour vous expliquer qu’il est parti comme d’habitude. Le repas que je lui avais fait la vieille, le samedi ; il n’avait pas mangé ça la nuit. Le matin en sortant il a demandé à l’une des filles de mettre les bols dans son véhicule qu’il va déjeuner au palais ; comme il le fait souvent. Quand la fille m’a expliqué ça, j’ai eu mal au cœur. Ça m’a fait pleurer parce que j’ai compris que mon mari est parti le ventre vide. Même s’il passe la nuit (au palais), le matin ses gardes viennent chercher son petit-déjeuner chez moi pour envoyer au palais, c’est une habitude.
Il n’a pas reçu la bonne information avant de partir. Quelqu’un qui sait qu’il va en guerre ou pour riposter n’aura pas le temps de prendre du riz avant de partir. Pour lui, il allait au service. Il semble que l’appel qu’il a reçu après sa prière lui disant d’aller au palais a dit il y a un petit problème à régler comme dans tout service entre le personnel. Je retiens de mon mari, un époux exceptionnel, il a tout fait pour moi, je le rends hommage que Dieu l’accepte dans son paradis éternel. Il a fait le mieux pour moi et pour les enfants. Il ne doit pas être oublié, tout comme tous les autres hommes tombés ce jour.
Les nouvelles autorités ont témoigné leur bravoure et les ont décorés. Comment avez-vous vécu ces gestes ?
J’étais là dans mon deuil. Déjà, nous n’avons pas reçus les corps, la douleur s’est accentuée en nous quand on a vu ça. D’ailleurs, le jour où on espérait récupérer les corps, nous étions tous réunis là, on nous disait que les corps seront envoyés là, des journalistes ont voulu m’interviewer, je dis non, on nous a dit de ne pas parler, ce jour nous sommes mêmes sortis à la télé. Chacune des veuves était venue avec sa famille pour attendre. Après, rien du tout. Les corps sont restés avec eux. Toutes les démarches sont restées vaines. Finalement, j’ai décidé de faire mon deuil tranquillement comme on n’avait plus le choix. Un soir, on sort à la télé que les militaires ont été décorés, médaillés, ils ont dit tous les honneurs à leur endroit, mon mari a été magnifié comme un vaillant soldat, tous les éloges comme les autres soldats.
Alors qu’ils n’étaient pas venus dans les familles pour présenter les condoléances. Ce jour-là, j’ai pleuré de toutes mes forces, de toutes les larmes de mon corps. Je me suis dite oui aujourd’hui on reconnait que mon mari est mort. C’est une reconnaissance qu’il est mort avec des honneurs. Je me dis Dieu merci tout va rentrer dans l’ordre, mais bon on a vu d’autres réalités.
Quelles sont ces réalités Mme Camara que vous avez vues après ?
A ma grande surprise, j’ai reçu un papier quelques jours après pour me dire de quitter la maison dans 30 jours de la part du patrimoine bâti. J’ai dit c’est impossible avec tout ce qu’ils viennent de dire à la télé à l’égard de nos maris, on sait que nous sommes en deuil, ils viennent me dire encore de quitter la maison alors que je suis en deuil. J’ai pensé que c’est une erreur ça va se régler, un autre jour, un papier arrive encore m’intimant de sortir. Ensuite un troisième papier est venu me donnant un délai de 72heures à défaut je serais sortie par la force. Je suis allée partout pour espérer un logement et partir de peur d’être brutalisée. J’ai fait des doléances partout en vain avec les grands enfants de mon mari. Quelqu’un m’a suggéré d’aller à la présidence, mais je suis demandée de quel droit aurai-je pour accéder à la présidence ? Des bonnes volontés ont voulu m’aider en vain. Après on me dit : on va trouver un truc pour que tu puisses partir. Entretemps, un jour des veuves sont allées à la présidence, je reçois un appel, j’y vais. Je trouve les autres femmes. Je me suis dite que c’est une coïncidence. J’ai dit mon souhait et qu’on me laisse jusqu’à ce que les enfants bouclent leur année scolaire pour éviter de les affecter, ils sont inscrits dans une école proche, ils sont au nombre de 4 les enfants. On ne me dit qu’il n’y aura pas d’exception, tout le monde partira. J’ai expliqué que je vis une situation particulière, mon mari n’a pas eu le temps de faire quelque chose pour moi, de me permettre de rester un peu en attendant que je trouve une solution. Des personnes ont plaidé pour moi en vain. C’est comme ça que je suis partie avec des bagages éparpillés partout.
Pourtant le patrimoine bâti connait les conditions dans lesquelles nous avons occupé ce bâtiment complètement délabré, il fallait rénover le bâtiment. Quand ils nous ont donné le bâtiment, il était à l’abandon, même la toiture avait cédé en partie, l’électricité et l’eau étaient coupées du bâtiment. Nous avons mis plus de 6000 euros dedans pour le rénover. A un moment j’ai dit à mon mari, il ne faut rien investir ici à tes frais, c’est un bâtiment de l’État, s’ils ne réparent avant de te le donner, ne prends pas. Il dit non Mme, peut-être ils vont rembourser un jour. En fait, m’a-t-il dit : c’est le vieux (le président Alpha Condé NDLR) qui veut que je reste à côté de lui. Je ne dois pas trop m’éloigner du palais, pour que quand il aura besoin de moi, je réponde vite. Je lui rétorque : dans ce cas, la présidence n’a qu’à rénover alors le bâtiment pour te le donner, mais ce n’est pas à nous de mettre notre argent. Il insiste en disant : Mme, ce n’est pas grave. Il m’a rassurée que tout sera remboursé. Hélas, ce qui n’a jamais eu lieu. Avec notre investissement, j’étais confiante qu’on allait me laisser là-bas au moins un petit temps parce que je suis en règle avec un document dûment signé où, c’est même mentionné qu’on nous doit de l’argent. Notre bâtiment était devenu la plus belle maison de la cité.
Tous les biens de mon mari ont été saccagés lors du coup de force, la voiture avec laquelle il s’est rendu au palais avec tout son contenu n’a même pas été retrouvée. Ses sacs, ses téléphones même ses pièces d’identité, rien ne nous a été rendus. Son bureau a été vandalisé à la présidence, ses documents ils ont tout pris croyant qu’il y avait l’argent de dedans.
Comment vous êtes partis du pays après tout ? Nous apprenons que vos enfants sont aussi éparpillés un peut partout. Expliquez-nous ?
(Pleurs NDLR) Si j’ai quitté le pays, c’est parce que ça n’allait pas sinon je comptais rester auprès des enfants, mais sans protection j’ai bougé et les enfants errent ailleurs. J’ai quitté dans la précipitation pour ne pas qu’on s’engouffre surtout que même le domicile nous a été retiré. On m’a fait savoir que parmi toutes les veuves qui ont perdu leurs maris, je suis la seule à fouiner partout, demander aux gens espérant avoir des informations sur ce qui est arrivé à mon mari. On m’a dit d’arrêter tout le temps d’aller parler des maris chez des gens ou avec des gens. J’ai compris que les choses se compliquent, il fallait quitter sinon la catastrophe n’est pas loin pour moi et les enfants. On me dit que je cesse d’être embêtante
Alors que les problèmes s’accumulaient tous les jours, j’ai pensé à prendre mes distances pour des raisons de sécurité. Chaque jour notre vie devenait difficile avec des surveillances de notre mouvement. Je suis partie du pays, après des connaissances m’ont aidé à éparpiller les enfants, nous avons réussi à les amener vers la frontière de certains pays voisins. Je suis dans un pays dont je vais taire le nom, mes enfants aussi sont dispersés, tout cela me ronge. Cette déchirure familiale me hante, je ne dors pas, je ne dors pas. La nuit je ne ferme pas les yeux sachant que je suis loin de la famille. C’est le matin que je trouve un peu de sommeil. Les enfants ne font que me réclamer : chaque jour maman tu es où ? Eux aussi ne sont pas ensemble. Je dis souvent à mes enfants seul Dieu peut nous rassembler, l’année passée, ils n’ont pas pu terminer l’année scolaire. Chaque fois quand je pense à mon mari, je dis qu’il ne méritait pas ça(pleurs). Il a été là pour sa famille, il tenait à l’éducation de ses enfants pour ne pas avoir des problèmes avec la société. Il a aimé son travail, il a aimé celui qu’il protégeait, il a tout fait dans son devoir mais il n’a rien en contrepartie. Il n’a rien eu mon pauvre mari et il se fait tuer.
Le peu qu’il gagnait, il en faisait des sacrifices, il voulait venir aux secours des pauvres alors que lui-même n’a pas été riche. Ses projets, c’était de construire une mosquée afin que les fidèles viennent y prier, donner de l’aumône aux pauvres, voir ses proches manger à leur faim. Il arrivait des moments où il se met à prier pour le président alors que sa situation n’est pas bonne. C’est un homme de bonne foi. Tout son souci c’est de réussir la protection du président. En deuxième position celle de sa famille. Mon mari est parti comme ça le pauvre. L’espoir de dire un jour que le Monsieur qu’il protégeait allait être reconnaissant pour son travail et son dévouement corps et âme pour le président.
Est-ce que votre mari vous faisait des confidences parfois sur ses relations avec le président Alpha Condé. A la fin de son régime, des sources indiquaient que le président Alpha CONDÉ l’écoutait peu par rapport aux dispositifs de sécurité. Qu’en savez-vous ?
Je ne peux pas rentrer dans ces détails. Sa profession, il n’en parlait pas à sa famille. Juste dans ses mouvements du début, il organisait tellement le dispositif de sécurité à la présidence et ça toujours marché mais tous les services il y a des mauvaises personnes qui veulent bloquer les autres dans leur élan. Vous savez la cohabitation entre ceux qui cherchent de l’argent et ceux qui veulent faire du professionnalisme, ce n'est pas facile. Là-bas, certains c’est l’argent qui les intéressait alors que lui il tenait à mettre en pratique sa formation au Cuba en matière de garde rapprochée. Il était toujours aux aguets. Je l’entendais souvent parler aux jeunes soldats du palais, ce n’est pas comme ça il faut se comporter quand vous êtes chargés d’assurer la sécurité d’un président. Il moralise ses soldats sans arrêt. Il disait un soldat ne délaisse pas, il doit toujours être aux aguets. Ceux qui dormaient à la maison, il disait : regardez-moi ça. Tu ne sais pas à quel moment quelque chose peut survenir mais vous enlevez vos chaussures, vous mettez vos armes loin de vous. Quand il est à la maison, ses Talkie-walkie crépitent à tout moment, il passe des appels. Je lui disais : moi je ne peux pas dormir à côté de toi. Il me répondait calmement : ma femme je suis obligé. Tout le temps, il se réveille la nuit, il parle avec ses hommes, vous êtes en poste, le dispositif fonctionne. Il dit il faut se rassurer toujours de ce que tu as mis en place. Toute la nuit c’est comme ça. C’est la journée qu’il ferme un peu l’œil s’il ne sort pas. Je dis parfois, Monsieur repose-toi un peu tu es un être humain. Il répond Mme je vais me reposer comment, je vais me reposer comment ? (Larmes)
Il se raconte qu’un jour votre mari a constaté que le palais est désarmé -y compris la sécurité présidentielle en partie- et qu’il aurait demandé au président Alpha Condé : pourquoi vous avez pris cette décision de diminuer les armes et les gardes alors que vous devez être l’homme le mieux protégé du Pays. Mais la réplique du président Alpha Condé a été : « Mais nous ne sommes pas en guerre ». Est-ce qu’à un moment cela vous est parvenu de la part de votre mari ?
Oui, mais pour vous dire la vérité, mon mari ne me parlait jamais de ce qui se passe à la présidence. J’entendais toujours les autres le dire. Effectivement c’est après le coup, alors que j’étais en deuil. Justement le fait désarmer le palais, c’est les gens qui venaient en famille qui ont expliqué ça pendant mon veuvage. « On m’a dit que mon mari est allé demander au président comment on va faire quand le palais est désarmé ? Et que le président a répondu est-ce qu’on est en guerre ? ». C’est vrai je sentais vers la fin que mon mari est malheureux, mais il ne le disait pas du tout. Finalement, il n’avait plus la maitrise de ce qu’il devait faire, le président qui devait le laisser faire son travail ne l’a pas fait, vous voyez déjà (larmes).
Lui, il est discret sur les activités de la présidence. Lui-même quand tu lui demandes, il ne répond même pas. Même si le président voyage, je ne peux pas le savoir à travers lui, c’est toujours par des autres que je l’apprends, si mon mari ne voyage pas avec lui. C’est quand je suis informée, je dis à mon mari toi, même si le président n’est pas là, tu ne me dis jamais. Il me dit c’est vrai, il a voyagé j’ai oublié de te le dire. Mais c’est pour me calmer. Il gardait les confidences. Tout ce que j’apprenais, c’est par d’autres personnes. Quand je lui dis, parfois il dit oui. Si c’est secret, il dit c’est des histoires Madame. On se limite là. Il s’en va, je le comprenais. C’est l’exigence de son métier.
Après avoir raté tout contact essentiel avec les autorités, est-ce qu’un échange a eu lieu entre vous et Alpha Condé directement ou un ancien proche collaborateur par rapport à ce qui est arrivé à vos maris ?
Jamais de contact avec lui (Alpha Condé NDLR) directement. Aux premières heures qui ont suivi le renversement du régime, j’ai eu un contact avec sa nièce. J’ai dit il y a eu Coup-d ’État, elle me dit de ne pas m’en faire, on s’est arrêtée là. Depuis lors, rien du tout. Même quand elle a appris que mon mari est décédé, les condoléances elle ne m’a pas présenté encore jusqu’à présent.
Mme Camara Aminata, quelles sont vos préoccupations particulières un an après la disparition de votre mari ?
D’abord, c’est un souhait pour tout le monde. Se retrouver avec ses enfants pour les encadrer pour une bonne éducation. C’est toujours ce qu’a voulu mon mari, aujourd’hui il n’est pas plus là. Maintenant la balle est dans mon camp pour cette responsabilité. Ensuite, c’est de prier pour le repos de l’âme de mon mari. Le reste va venir après.
Je profite de votre micro pour rendre un vibrant hommage à mon mari. Il a été un vaillant soldat, il a fait son travail, il a aimé sa famille malgré ses maigres moyens. Je rends aussi hommage aux maris des autres, mes pensées vont à l’endroit de toutes ces veuves et leurs enfants aujourd’hui sans soutien et sans attention. J’aurais voulu être avec elles afin qu’on reconnaisse au moins que nos maris sont des héros. Nos maris ont tout fait pour sauver la présidence et ont laissé leur vie. Qu’on nous reconnaisse cela au moins(larmes). Le souhait c’était de savoir où nos maris sont enterrés, les circonstances dans lesquelles ils se sont retrouvés dans le piège. Ça nous permettra de déclencher le deuil raisonnable pour consoler nos familles.
Au lieu de nous mettre la pression et nous réduire au silence ; on devrait prendre en compte nos préoccupations. Malheureusement, c’est le contraire, personne ne veut nous écouter pour nous entendre. On nous fuit plutôt. Quand on veut s’exprimer, c’est les mises en garde. L’environnement dans lequel nous sommes n’est pas favorable, c’est traumatisant pour une femme et ses enfants.
Dans le monde entier, on dit que les droits de l’homme comptent alors qu’on nous aide avec toutes les autres femmes qui ont perdu un mari. Et dans le pays d’où je viens, le droit de l’homme n’existe pas. Je suis dehors c’est vrai, je ne suis pas tranquille tant que je ne serais pas sous le même toit avec mes enfants aujourd’hui éparpillés partout. J’estime que je n’ai pas de vie. Il n’y a pas de plus important que de vivre avec la famille.
Interview réalisée par Alpha Ousmane Bah
Pour Africaguinee.com
Créé le 5 septembre 2022 03:49Nous vous proposons aussi
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