Armée : Des soldats recrutés par Dadis interpellent Alpha Condé…
CONAKRY-Des soldats recrutés au temps du capitaine de Dadis Camara viennent d’interpeler le président Alpha Condé. Alors que le ministère de la Défense annonce un recrutement général cette année pour renforcer les effectifs de l’Armée, les recrues du camp de Kaléa se réveillent en demandant aux autorités de se pencher sur leur cas. Soldat 2èmeclasse, Doré Sena, formé au Centre de Recherche d’Infanterie de Kissidougou s’est confié à notre rédaction.
AFRICAGUINEE.COM : Dites-nous dans quelles circonstances vous avez été enrôlés dans l’armée en 2009 sous le règne du capitaine Dadis Camara ?
DORE SENA : En 2009 le régime en place avait décidé de recruter des jeunes soldats afin de renforcer l’effectif des forces armées guinéennes. C’est à cette occasion que nous avions été recrutés au compte de l’armée guinéenne. Nous avons suivi la formation au centre Kalia. Tout était presque terminé. Vu l’effectif, les autorités militaires avaient décidé de nous répartir dans différents centres afin que nous puissions améliorer notre condition de formation. Il y avait trois centres visés : Kindia, Kankan et Kissidougou. Il y avait un autre groupe de gendarmes qui était à Falésadé. Alors nous notre groupe a rejoint Kissidougou. Nous avions suivi la formation jusqu’à la fin sans aucun problème. Nous étions à l’attente des matricules pour être ventilés dans les différentes unités.
Vous étiez au nombre de combien ?
Au centre de Kissidougou nous étions au nombre de 1 669 soldats. Au départ c’était 1 972. Arrivée on nous dit, puisque nous étions dans un nouveau centre, nous allons reprendre l’intégration dans l’armée. Donc nous avons fait la course des 8 kilomètres et nous avions fait la visite médicale. Les résultats sont venus le 30 mars 2010 et les 303 ont été éliminés. Nous qui étions aptes avions suivi le reste de la formation. Nous étions à l’attente des matricules.
Après qu’est ce qui s’est passé ?
Pour une première fois, ils avaient commencé l’immatriculation à Kankan. Après il devrait venir à Kissidougou pour nous immatriculer ainsi de suite. Mais cela a coïncidé à l’investiture du Professeur Alpha Condé comme Président de la République pour son premier mandat. Ils ont bloqué le processus. Après l’investiture l’immatriculation n’a plus continué. Alors que nous avions fini la formation, nous étions dans l’attente des matricules. Le directeur du Centre, le Colonel Fayimba Mara, à l’époque, à chaque fois qu’il venait à Conakry, nous nous attendions à une bonne nouvelle. Mais le 07 mars au retour de sa dernière mission à Conakry lors d’un rassemblement il a nous dit qu’une croix a été mise sur notre dossier. Ce qui fait que notre immatriculation retarde. Il nous a demandé d’être patients. Pour quelqu’un qui a suivi la formation pendant plusieurs années, lorsqu’on a entendu une telle nouvelle, il y a eu des remords. Nous étions là le moral enterré.
Le lendemain nous nous sommes dit qu’il fallait se faire entendre. Nous avions refusé tout service au centre et pour que la nouvelle soit vite remontée nous avions bloqué la route juste en face du centre. Et les autorités ont remonté un rapport à Conakry soi-disant que les soldats de Kissidougou ont pris des armes pour attaquer la population. Chose qui n’était pas vraie car la population de Kissidougou et même les renforts qui sont venus de Conakry sont témoins. C’était juste un refus de service et nous avons juste bloqué la route. Personne n’était en possession d’une arme. Même une arme blanche nous n’avions pas dans notre mouvement. Donc les renforts sont venus de tous les côtés pour nous disperser et nous expulser du centre.
Alpha Condé était déjà au pouvoir ?
Exactement, c’était le 08 mars 2011. Nous avons refusé le service parce qu’on avait appris la nouvelle qu’il y avait une croix sur notre dossier. C’est pourquoi on s’est dit qu’il faut se faire entendre parce que si ça continue comme ça ce n’est pas bon. On s’est dit qu’on ne peut pas rester deux ans à attendre et on nous dit qu’il y a une croix sur notre dossier. Nous avions protesté. Les renforts par surprise nous ont expulsés du centre. Après cela, les autorités militaires sont venues de Conakry, elles ont fait un communiqué à la radio locale en disant que tous les soldats doivent rentrer d’abord chez eux afin qu’on puisse mettre les conditions en place et les rappeler pour les matriculer. C’est le Général Boundouka qui était chef d’Etat-major à l’époque qui a fait passer le communiqué. Chose qui nous a rassurés puisque c’est l’autorité militaire qui a parlé. On s’est dit que nous allons rentrer et attendre leur appel.
Alors du 8 mars 2011 jusqu’à nos jours, on ne nous a pas encore appelé. Nous sommes restés à l’attente. Puisque les autres soldats qui étaient dans les autres centres Kankan, Kindia et Falisadé, on s’est dit qu’on ne peut pas les immatriculer sans nous appeler.
En 2013, le professeur Alpha Condé avait demandé que tous ceux qui ont été recrutés et qui ont eu la formation de maniement d’armes, qu’ils soient tous pris en charge. Cela nous a consolé mais à notre grande surprise en 2014, nous avions vu que les autres étaient matriculés et ventilés. Jusqu’à présent nous nous sommes là personne n’a touché à notre dossier. On ne nous a pas appelé, aucun communiqué n’est passé pour dire que les soldats de Kissidougou doivent rester ou qu’ils ne sont pas pris en charge. Même si on pouvait rester à l’attente, il fallait qu’un communiqué passe pour nous situer mais jusqu’à présent rien.
C’est ainsi que nous nous sommes dit qu’il faut mener des démarches parce que les autres sont déjà pris en charge et pourquoi pas nous. Nous avions été recrutés ensemble, qu’est-ce que nous avions fait comme faute ? On n’a pas tué, on n’a pas pris des armes, donc, on ne peut pas nous oublier comme ça. Alors on s’est dit il faut mener des démarches c’est ainsi nous avions envoyé un courrier à la Présidence, adressé au Professeur Alpha Condé et une deuxième fois on n’a demandé une doléance encore.
Nous sommes venus au ministère (de la Défense) on nous a dit d’aller à l’Etat-major de l’armée de terre qu’ils vont remonter l’information. Plusieurs fois, nous avons mené des démarches au temps de Maitre Adboul Kabelé qui était ministre de la Défense, après son excellence Dr Mohamed Diané, à qui nous avons adressé deux courriers qui n’ont pas encore de réponse. Nous avions envoyé des courriers à l’Assemblée Nationale, un autre au Médiateur de la République, jusqu’à présent rien a abouti. Chez le premier Imam nous sommes passés pour déposer un courrier et un peu partout jusqu’à présent personne ne s’est prononcé.
Aujourd’hui, à notre grande surprise on apprend par le porte-parole de l’armée que tous les soldats de Kissidougou ont été pris en charge. Chose qui n’est pas vrai, parce que nous sommes, là 1 669 soldats on a été recrutés en 2009, et si on dit que tout le monde est pris en charge alors on ne peut pas comprendre. Nous sommes jusqu’à présent à l’attente, nous étions même rassurés d’être pris en charge lorsqu’ils ont passé le communiqué pour le recrutement général.
En principe, le dossier Kissidougou doit être la priorité avant de prendre n’importe qui. Ceux qui ont été déjà formés durant combien d’années il faut leur donner la priorité avant de compléter l’effectif. Mais on ne peut pas nous nier comme si on n’existait pas. Nous sommes toujours là, on a fait des sit-in pour alerter l’autorité, nous avons formulé des doléances jusqu’à présent rien. C’est même dangereux d’abandonner 1 669 soldats sur un territoire comme si de rien était. C’est très grave mais c’est seulement que la terre est bénie. C’est pourquoi quand nous avons lu la nouvelle interview du Colonel Diakité qui nous a nié malgré notre état, nous ne pouvions pas restés assis. C’est pourquoi on est venus dire que s’il n’a pas la maitrise du dossier nous sommes là et l’opinion nationale et internationale est au courant.
N’avez-vous pas commis une faute qui puisse justifier votre sort ?
Qu’ils nous disent quelle est la faute que nous avions commise qui puisse retarder notre dossier de 2011 jusqu’à 2019. Nous n’avons aucune communication là-dessus.
Es-ce qu’on ne vous soupçonne pas d’être un bras armé du capitaine Dadis Camara au sein des forces armées ?
L’armée n’appartient pas à une seule personne. C’est pour la Nation. Et les autres qui ont été recrutés au même moment que nous ? Ils sont aujourd’hui dans l’armée avec des matricules et des grades. Pourtant nous avions été tous recrutés ensemble en 2009. Cela ne veut pas dire puisque Dadis nous a recrutés, nous sommes au compte de Dadis. Nous sommes là pour servir la Nation, le militaire est apolitique, il n’est pas là pour un seul Homme. Toi qui est là au pouvoir aujourd’hui tu le commandes, quand une autre personne vient tu reste derrière elle. Sa mission est de servir la Nation. Mais tout ça ce sont des supputations. On ne veut pas en parler pour ne pas qu’on taxe cela de politique. C’est pourquoi nous ne sommes jamais mêlés dans une manifestation et on n’a jamais organisé une manifestation. Nous démarchons légalement par des courriers. Nous sommes apolitiques.
Comment vous faites pour gagner votre vie ?
C’est une grosse question qu’on doit leur poser parce qu’on ne peut pas former plus de mille soldats avec les 14 matières de la formation commune de base et les abandonner. Comment voulez-vous qu’ils se nourrissent ? Voici une opportunité pour nous d’être enrôlés lors de ce recrutement général. Mais si à la dernière minute, on nous dit qu’on n’existe pas ça nous inquiète. C’est pourquoi nous sommes là pour les rappeler qu’ils doivent tout faire pour que nous soyons enrôlés. C’est une doléance. C’est difficile, on ne peut pas tout expliquer. Parce que vouloir vous expliquer comment nous nous nourrissons ce n’est pas facile. C’est le moral (…), parce que nous avions appris la souffrance pour pouvoir servir la Nation. Cette souffrance nous a donné l’endurance.
Réellement comment vous arrivez à subvenir à vos besoins ?
Par la grâce de Dieu nous parvenons à satisfaire nos besoins. Mais c’est un calvaire pour nous. Imaginez quelqu’un qui a été formé dans l’armée, ce n’est pas comme un étudiant qui a fini le cycle universitaire qui peut aller là où il veut. Le militaire ne peut pas servir ailleurs si ce n’est pas dans l’armée. Nous sommes venus de différentes familles et nous sommes des pères de familles. Il faut qu’on pense à préparer l’avenir de nos enfants. Mais notre situation aujourd’hui, c’est très grave.
Quel est le recours qui vous reste aujourd’hui ?
Le seul recours qui nous reste vraiment c’est le Président de la République. C’est lui seul qui peut décider de notre sort. Parce qu’on a tout fait. Nous sommes passés à tous les niveaux. Si c’est la hiérarchie militaire, on a déposé des courriers un peu partout. Seul le Président de la République qui peut décider de notre sort. C’est pourquoi nous lançons un appel : S’ils ont oublié notre dossier, nous sommes venus pour les rappeler afin que notre dossier soit la priorité parce qu’il y a un recrutement général en vue. Donc c’est une bonne nouvelle. Pour nous c’est une occasion d’être enrôlés. Le militaire est apolitique, il ne manifeste pas. C’est pourquoi nous sommes là et on attend. Nous venons de différents horizons. Nous avions été recrutés de Kassa jusqu’à Yomou. Vraiment il faut qu’ils pensent au dossier Kissidougou, nous leur formulon une doléance. Et si par ces propos, nous avons heurté certains, nous leur prions de nous excuser. Mais c’est une doléance que nous formulons afin que notre dossier soit régularisé.
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Et Bah Aissatou pour Africaguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 112
Créé le 28 janvier 2019 13:34Nous vous proposons aussi
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