Aliou Bah prévient : « Il ne faut pas jouer à l’exclusion et penser que les gens vont l’accepter… »
CONAKRY-A moins de deux ans de la chute du régime d’Alpha Condé, la Guinée renoue avec la crise politique. Alors que de nouvelles manifestations sont en vue, les autorités de la transition et les forces vives n’arrivent pas à s’entendre sur la conduite de la transition qui devrait finir dans moins de 20 mois. Dans cette deuxième partie de l’interview réalisée dans les locaux de votre quotidien en ligne Africaguinee.com, nous abordons avec le président du MoDeL, les questions relatives au dialogue, à l’enlisement de la crise politique. Dans cet entretien, Aliou Bah donne sa lecture sur la conduite de la transition dirigée par Mamadi Doumbouya. Le jeune leader politique donne des conseils au président du Conseil National pour le Rassemblement le Développement (CNRD).
AFRICAGUINEE.COM : Comment expliquez-vous l’enlisement de la crise guinéenne ?
ALIOU BAH : Ceci n’est pas une surprise pour l’acteur politique que je suis et qui est impliqué au premier niveau. Vous vous souvenez du combat que nous avons mené contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Les acteurs politiques, sociaux, nous avons tous enduré, une dynamique nationale s’est mobilisée. Par la suite, après le 05 septembre nous sommes montrés disponibles à accompagner la transition à travers nos idées. Nous avons eu plusieurs rencontres, nous n’avons jamais cessé de réitérer aux autorités de la transition ce que nous estimons mieux à faire et bon pour la Guinée. Nous avons transmis des mémorandums à plusieurs organes de la transition, malheureusement nous sommes rendus comptes que ces idées ne sont pas les bienvenues. En tout cas, elles ne sont pas utilisées.
De loin, j’ai vu un dialogue s’amorcer mais de façon biaisée. Il y avait beaucoup de manipulation derrière, à un moment on voulait nous faire croire que ceux qui n’ont pas accepté d’aller au dialogue, n’étaient pas de patriotes. Alors qu’en réalité ce dialogue n’était qu’un séminaire de validation de l’agenda que les autorités de transition avaient préparé. Nous n’avons pas voulu souscrire à ça parce que la Guinée n’avait rien à y gagner. C’était un piège pour le pays et pour la transition.
Le MoDeL fait partie des Forces Vives à travers le regroupement du FNDC politique. Nous n’avions pas accepté de participer à cette première vague. A un moment donné, les autorités de transition ont semblé avoir repris une certaine raison pour accepter de discuter pour qu’ensemble qu’on puisse créer le cadre le plus approprié possible. C’est dans ce sens que les religieux sont intervenus, c’était à notre demande puisque nous les avons interpellé régulièrement. Ces derniers temps il y a eu beaucoup de rencontres avec le premier ministre, il y a des préalables à lever, quelquefois il y a des indices qui nous donnent de l’espoir, mais il y a aussi des indices qui nous disent que ce n’est pas gagné.
Toujours est-il que la transition va vers sa deuxième année sans que nous ayons une visibilité sur l’élément le plus essentiel d’une transition qui est le processus électoral. Si au bout de deux ans, on n’a pas une constitution qui est la source de toutes lois, on n’a pas un fichier électoral, nous n’avons un organe de gestion des élections, on n’a pas de visibilité sur le partenariat en matière de financement et d’accompagnement technique du processus électoral, ce qui veut dire que ce sont des raisons d’inquiétudes.
Nous tendons vers la deuxième année, si la transition ne revient pas sur le meilleur chemin, il y a beaucoup de risque qu’elle s’enlise. C’est ce que nous voulons éviter en restant toujours ouverts à toutes les discussions utiles pour la bonne conduite de la transition.
Selon vous, pourquoi ça coince ?
Chacun peut se faire une idée. En Guinée, il y a beaucoup de personnes qui sont tapis dans l’ombre ou dans l’antichambre du couloir qui tirent des ficelles. Je crois qu’il y a eu beaucoup d’erreurs de la part des autorités de la transition. Il y avait de bonnes cartes à jouer, malheureusement elles ont été très mal utilisées. C’est ce qui a donné l’opportunité à certains de se positionner ou de se repositionner et rêver de prendre en otage la transition. Ce n’est pas une première, pour le cas de la Guinée, on en a connu par le passé. C’est ce que le CNRD doit éviter. Ce n’est pas encore tard de le faire. L’utilité de la transition aujourd’hui, c’est si elle permet d’aller vers un véritable consensus dans sa conduite et qu’elle puisse nous permettre dans un processus électoral transparent, inclusif d’avoir enfin l’opportunité de choisir ceux qui vont diriger la Guinée. Parce que l’un des plus grands maux de notre société, c’est le fait que les populations n’ont jamais eu le droit de décider de ceux ou de celui qui doit conduire leur destinée.
Alors, tant qu’on aura de la manipulation autour des élections, ça veut dire que les gens ne se reconnaitront pas à des personnes qu’on va leur imposer. Et, il ne faut pas jouer à l’exclusion et penser que les gens vont accepter cela. Donc, il y a beaucoup d’arguments qui sont utilisés, des ciblages qui sont faits. Malheureusement jusqu’à présent il y a des gens qui sont en prison, des cas de morts pour lesquels il n’y a pas eu d’enquêtes, il y a des cas de violations des droits de l’homme, la répression des manifestations politiques, des exilés politiques, du harcèlement judiciaire, l’instrumentalisation de la justice pour des raisons politiques. Donc, tous ces éléments-là n’embellissent pas le tableau de la transition. Les pratiques qui ont justifié la nécessité du coup d’Etat selon ceux qui l’ont mené, il faudrait qu’ils s’en éloignent parce qu’à force de répéter les mêmes pratiques, on risque d’aboutir à la même destination.
Comment comprenez-vous l’opposition de Charles Wright face à la démarche de Bernard Goumou ?
Le premier ministre en tant que première autorité du gouvernement, on considère qu’il a eu un mandat avant de venir discuter avec les religieux et nous autres (forces Vives). De ce fait, Bernard Goumou doit pouvoir disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour poser les actes. C’est bien beau de nous parler de l’indépendance de la justice, mais, nous connaissons tous la réalité de notre pays. La justice dont on parle, elle n’est pas si indépendante. On ne peut pas nous miroiter des arguments et faire croire qu’on ne comprend pas.
Toujours est-il-que pour des cas politiques, on peut trouver des règlements politiques même si ça une connotation judiciaire. Nelson Mandela a été libéré de prison après 27 ans sur la base d’un accord politique. C’est une décision de justice qui l’a fait libérer. Il y a tellement d’exemples de ce genre.
De la même manière, on instrumentalise la justice par les politiques, on ne peut nous faire croire que nous sommes une démocratie parfaite de plus de deux siècles et que tout ceci fonctionne parfaitement. Sinon par le fait du processus d’arrestation des personnes concernées, la forme d’arrestation elle-même remet en cause la validité du dossier d’inculpation ou d’accusation.
Pendant combien de temps ils sont en prison et ne sont pas présentés devant un juge pour être jugés. Il y a tellement de vices dans cette procédure, de l’arrestation jusqu’à l’emprisonnement, si on veut prouver l’indépendance de la justice, ce sont des détails comme ça qu’il faut régler d’abord. Ça ne se réduit pas à des discours de nature à se taper la poitrine ou à vouloir faire une bonne impression auprès de l’opinion. Heureusement que toutes ces opportunités nous permettent de se connaitre les uns et les autres. Je crois que les Guinéens savent faire la différence entre les gens.
Officiellement, le déroulement du chronogramme de la transition a démarré en janvier 2023. A date, qu’est-ce que vous pensez de ce qui a été accompli par les autorités de la transition ?
Lorsqu’on dirige une transition, on a essentiellement deux activités à mener. Il y a les affaires courantes, cela va dans l’ordre normal des choses et aussi les affaires en rapport avec la transition elle-même qui par essence doivent fonctionner sur la base d’un consensus. Même la gouvernance à l’issue d’une élection a besoin de consensus pour être suffisamment efficace et équitable.
L’un des enjeux des grands défis de la gouvernance, c’est de créer les leviers, les instruments d’équilibre du pouvoir. On ne peut pas conduire une transition et ne pas vouloir discuter les acteurs représentatifs des forces politiques et sociales du pays, c’est inadmissible. Il faut éviter d’avoir de la frustration sur les noms des gens, mais voir ce qu’ils représentent aux yeux de l’opinion. Soit parce qu’ils ont des partisans, militants, soit ils ont une voix qu’ils portent et qui est crédible. Il faut rassembler tout le monde, écouter les uns et les autres, apaiser, créer un environnement de discussion idéal et fructueux. Je crois que c’est à l’avantage du pays.
C’est pourquoi les autorités doivent éviter les conseils des extrémistes parce que nous avons vu des cas précédents en Guinée, ils peuvent commettre des erreurs, lorsque vous serez dans des problèmes, qui sont des conséquences de vos erreurs, les mêmes personnes sont capables de dire que vous êtes têtues et n’assumeront pas ce que vous avez fait et enduré. Tout ça, ce sont des enseignements que nous devons tirer de notre histoire politique qu’elle soit lointaine ou récente pour éviter le même piège. En tout cas, ça ne sert à rien d’être arrogant, prétentieux surtout lorsqu’on n’a pas pris le pouvoir par les élections. Si on prend le pouvoir par un coup d’Etat, le minimum c’est de dire asseyons-nous, discutons sans avoir des préalables ou de sélectivités, des soupçons à porter sur qui ce soit. Il faut éviter les préjugés, les pièges. Je réitère cela comme conseils pour ceux qui conduisent la transition. Il faut apaiser, faire preuve de grandeur.
A suivre…
Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 664 72 76 28
Créé le 1 mai 2023 16:28Nous vous proposons aussi
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