Air Guinée, Rails: la révélation d’Ousmane Kaba qui « épingle » Alpha Condé…
CONAKRY-Alors que la junte dirigée par Mamadi Doumbouya s’engage dans une dynamique de moralisation de la vie publique, Dr. Ousmane Kaba vient de faire des révélations. Dans cette première partie d’une longue interview qu’il a accordé à notre rédaction, l’économiste membre de la commission d’audit mise en place en 2010 par Moussa Dadis Camara, accuse le président déchu Alpha Condé d’avoir fait obstruction à la justice dans les dossiers « Air Guinée, Fonds Koweitien, le chemin de fer Conakry-Niger ».
AFRICAGUINEE.COM : Le rapport 2020 de Transparency international classe la Guinée dans le top 3 des pays les plus corrompus dans l’espace Cedeao. Comment expliquez-vous cette situation ?
DR OUSMANE KABA : C’est la question fondamentale dans ce pays. Premièrement, la Guinée se trouve parmi les pays les plus corrompus d’après Transparency international qui est un organisme indépendant qui analyse l’Indice de perception de la corruption (Ipc) dans le monde. D’après le dernier rapport du Pnud, la Guinée se trouve parmi les 12 pays les plus pauvres de la planète. En même temps, la Guinée est citée comme l’un des pays les plus riches du monde avec d’énormes potentialités minières, de l’eau, des terres fertiles et une population laborieuse. Comment se fait-il que la Guinée se trouve toujours parmi les pays les plus pauvres ?
La clé de cette énigme, c’est la corruption qui explique notre retard et le chômage massif des jeunes. Pendant les dernières années du régime Alpha Condé, la production de la bauxite est passée de 20 à 80 millions de tonnes. Nous avons eu des centaines de millions de financements extérieurs pour tous nos barrages, beaucoup d’argent des bailleurs de fonds. Malgré cela, la Guinée reste parmi les pays les plus misérables. Nous avons atteint un niveau où la corruption endémique ne permettait même plus l’investissement public. Voilà la triste réalité. La preuve, on a dépensé près de 3 milliards Usd pendant 10 ans sur le réseau routier sans être capable de montrer 100 km de goudron dans ce pays.
Sur le plan économique et financier, je peux vous dire si vous regardez le budget de l’Etat, les recettes minières ne dépassent pas 300 millions Usd alors que les exportations ont été multipliées par 4, de 20 à 80 millions de tonnes. Ça veut dire qu’il y a une évasion fiscale extraordinaire, les recettes de l’Etat se sont évanouies, distribuées à quelques personnes dans le système. Deuxièmement, les dépenses qui ont été faites ne sont pas justifiées. Or, dans un pays si l’État n’est plus capable de travailler, d’avoir des infrastructures de base, de l’eau, de l’électricité, des routes, des centres de santé, des bonnes écoles, une telle économie ne peut avoir d’entreprises et offrir du travail aux jeunes d’où le chômage endémique et la pauvreté.
Le Cnrd a promis de lutter contre la corruption à travers la Crief. Est-ce suffisant ?
Si le Cnrd s’attaque à la corruption, nous devons raisonnablement applaudir de 2 mains et dire que nous sommes sur la bonne voie. Je pense que nous ne devons pas noyer ça dans des querelles politiciennes. Donc, encourageons le Cnrd pour que l’on puisse arriver à des résultats pour débarrasser ce pays de cette gangrène qui empêche le développement économique.
Certains redoutent des règlements de compte contre ceux qui ne sont pas en accord avec le Cnrd. Qu’en dites ?
D’abord, l’audit ne peut pas être assimilé à une chasse aux sorcières puisqu’il faut avoir des preuves. C’est un processus de dialogue entre l’auditeur et l’audité. Ce n’est pas pour mentir sur qui que ce soit. En réalité, on ne fait jamais d’audit contre une personne. On regarde les flux financiers, on essaie de voir où sont les déperditions dans les flux financiers c’est cela qui aboutit à des personnes physiques. Beaucoup de gens semblent dire que l’audit, c’est une question de vengeance ce n’est pas le cas. C’est le contraire parce que c’est une démarche scientifique équilibrée et juste.
En 2010, vous aviez supervisé des audits dans plusieurs secteurs notamment le chemin de fer Conakry-Niger. Aujourd’hui par quel dossier commencer ? Faire des nouveaux audits ? Ou entamer le jugement des dossiers déjà bouclés ?
Il faut rappeler que lorsque le président Dadis est venu, il a fait l’audit d’une partie de la période du régime de Lansana Conté. Ce comité d’audit piétinait lorsqu’ils sont venus me chercher à l’université pour superviser et produire des résultats, c’est ce que nous avons fait. Il y a eu beaucoup de dossiers parmi lesquels Air Guinée, le Fonds Koweitien, le chemin de fer Conakry-Niger etc. Ces dossiers avaient été remis plusieurs fois au chef de l’Etat de l’époque, Alpha Condé qui a refusé systématiquement et qui a fait obstruction en refusant d’envoyer ce dossier au niveau de la justice tout comme il a refusé d’ailleurs de mettre en place la Haute cour de justice. Voilà deux actions qui montrent qu’il y avait préméditation de pillage économique de ce pays.
Ceci dit, il faut faire la différence entre la Crief et les autres organes de lutte contre la corruption qui existent. Il y a notamment l'ORDEF, la Cour des comptes, l'ANLC, l’Inspection des finances, l’Inspection d'Etat. Nous avons toutes ces organisations qui sont ce que j’appelle la police financière. Elles font de l’investigation, documentent les délits et les crimes, mais qui s’arrêtent là. C’est leurs résultats qui doivent être soumis au corps judiciaire qui n’existait pas. Malgré son nom, la Cour des comptes c’est juste un organisme d’investigation, ce n’est pas un tribunal. C’est tellement bien qu’on ait créé la Crief puisqu’on n’avait pas pu créer la Haute cour de justice. Maintenant l’arsenal est complet, il faut engager, sans délai, les audits sur tous les dossiers, qu’ils s’agissent des dépenses mal faites ou des recettes détournées.
Par quel dossier commencer ?
Je renvoie toujours la question au niveau individuel. Si vous avez un voleur récent et un ancien voleur par qui vous devez commencer ? C’est-à-dire si, hier soir, on a cassé votre porte et pris votre télé, si le lendemain vous voyez le voleur, vous n’allez pas dire « attendez d’abord, il y a quelqu’un d’autre qui m’a volé il y a deux ans, je vais attraper celui-là avant celui qui est en face ». La simple logique nous montre qu’il faut commencer par les dossiers qui sont frais et toute suite. Ensuite, on peut remonter dans le temps parce qu’il n’y a pas de prescription pour les délits économiques. Je me rappelle que dans la Constitution de 2010, il était dit que les délits économiques sont imprescriptibles. Par contre, dans la Constitution de 2020, ce passage a disparu. C’est un indice pour dire que tout ce pillage avait été pensé, organisé et exécuté.
A suivre…
Entretien réalisé par Abdoul Malick Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 12 décembre 2021 18:00Nous vous proposons aussi
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