Mamadou Saliou Diallo, étudiant guinéen au Niger : ‘’Nous souffrons ici…aidez-nous à rentrer’’
NIAMEY-Près d’un mois après le coup d’Etat qui a reversé Mohamed Bazoum, les sanctions infligées au Niger par la CEDEAO commencent à avoir des effets sur la vie des populations. Alors que l’organisation sous-régionale menace d’intervenir militairement pour déloger les putschistes, certains guinéens vivants dans ce pays demandent à être rapatriés. Africaguinee.com a pu joindre Mamadou Saliou Diallo, étudiant. Il est le deuxième responsable de l’union des étudiants guinéens au Niger. Entretien exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Depuis environ un mois, le Niger est dans une situation d’incertitude suite au coup d’Etat intervenu le 26 juillet 2023. Comment vous vivez cette situation ?
MAMADOU SALIOU DIALLO : Dans les premiers jours du coup d’Etat, les gens étaient un peu perplexes. On se posait pas mal de questions parce que la majorité des nigériens n’étaient pas d’accord avec les militaires. Pour eux, le Coup d’Etat était difficile à expliquer. Ce qui a permis aux militaires d’avoir le soutien du peuple, ce sont les sanctions prises en l’encontre du Niger et de son peuple et surtout la menace d’intervention militaire brandie par la CEDEAO. A partir du moment où cette menace a été brandie, les sanctions ont été prises, le peuple nigérien s’est dit alors là ce n’est plus contre les putschistes que la CEDEAO se bat mais contre le peuple nigérien. C’est devenu donc une question nationale. Si vous avez constaté, c’est après cela que l’armée nigérienne a appelé à une mobilisation au stade. La population nigérienne a massivement répondu à cet appel.
Au Niger tout comme un peu partout en Afrique, il y a une manipulation qui marche rapidement, c’est la diabolisation de la France. Quand vous venez et vous diabolisez la présence française, parce que dans le SAHEL, les populations commencent à en avoir marre, vous avez de l’adhésion. Chez nous en Guinée, on ne connait pas la présence de l’armée française. J’ai été une fois dans la région de Tillabéri. Ce jour, je marchais au bord de la route l’armée française m’y a trouvé, mais pendant plus de 5 minutes, leur convoi était en train de passer. Des hommes bien armés avec des chars de Combat, blindés, on s’imaginait même dans un film de guerre.
Si vous vous habituez à voir ça tout le temps dans votre capitale alors que vous vous dites être Etat indépendant et souverain, voyez-vous ? Or, c’est inimaginable de voir ce genre de choses à Paris, dans la capitale française. Avec l’amertume que la population de cette présence, si l’armée s’appuie sur ça, ils gagnent facilement le cœur des nigériens. La population estime que cette armée est là, mais sur le terrain, il n’y a pas de résultats et le terrorisme est en train de gagner du terrain.
Comment la population nigérienne a réagi suite à ces sanctions et surtout cette menace d’intervention militaire ?
Ces sanctions ont révolté la population nigérienne. Mais ce qu’il faut savoir, la population nigérienne et celle du Nigéria partage beaucoup de choses en commun. C’est pratiquement la même population, les Haoussa par exemple, ils sont aux frontières Nigéro-nigériennes. On retrouve ce même peuple dans les deux pays. Ces gens-là ont mal supporté ces sanctions parce qu’ils se disent que c’est la même population. Les gens estiment que ces sanctions ne visent pas les putschistes mais la population parce qu’elle ne sait pas comment s’en sortir alors qu’elle n’en est rien dans ce coup d’Etat. Au début, les gens avaient commencé à avoir peur cette affaire d’intervention militaire, mais maintenant certains ont réussi à vaincre leur peur. Ils pensent que c’est juste des menaces.
Est-ce que les sanctions ont commencé à produire des effets sur la population ?
Les sanctions commencent à se ressentir de manière progressive. Le Niger, pratiquement dépend des produits importés. Banane, orange et plusieurs aliments sont à 90% importés. Ça vient du Ghana, Nigéria ou du Benin. Si ces pays-là ferment leurs frontières, voyez-vous combien de fois les gens risquent de souffrir. Les sanctions commencent à se ressentir, je suis convaincu que dans deux semaines si ces sanctions restent maintenues ça va être difficilement vivable pour les populations locales. Pour le moment il y a un peu de stock mais cela pourrait s’épuiser sous peu, et c’est là que ça va se sentir.
Le courant au Niger est servi en partie par le Nigeria. En ce moment il fait extrêmement très chaud, ils ne peuvent pas vivre sans le courant. Les gens se retrouvent se coucher dehors parce qu’à l’intérieur des maisons ce n’est pas possible. C’est grâce à ce courant que les populations gagnent de l’eau, une fois que c’est coupé l’eau ne vient plus. Voyez-vous combien de fois que la pourrait être compliquée par-là ?
Combien des Guinéens vivent-il au Niger selon vos informations ?
Heureusement ce coup d’Etat est intervenu en période de vacances. La majorité de nos compatriotes vivant au Niger sont en vacances. Pour les étudiants, on peut estimer qu’ils sont au nombre de 20 qui vivent ici, inscrits dans les universités. Mais si nous tenons compte des enfants qui sont partis là-bas pour des études coraniques, on peut les estimer à plus de 50. A ceux-ci il faut ajouter nos compatriotes qui sont là-bas pour le commerce. Ils ne sont pas si nombreux mais sont là-bas, on les rencontre par moment dans les marchés.
Est-ce que nos compatriotes souhaiteraient être rapatriés en Guinée ?
Bien sûr que oui ! Il y a même des voies qui sont prévues, par le désert c’est très dangereux parce que ça ressemble à emprunter la méditerranée… Le risque même que nos frères sont en train de prendre pour rentrer chez nous est plus dangereux que celui que les africains empruntent pour la méditerranée. J’ai un de mes frères qui est dans cette situation. Il m’a expliqué la voie qu’ils compter utiliser pour rentrer en Guinée, mais j’avoue ça fait triste parce que ce chemin est dangereux. Ce frère et d’autres compatriotes se trouvent dans le village de Say, c’est là où se trouve notre université, il y a une rivière là-bas qui vous permet de rejoindre le Bénin en passant par un autre fleuve. C’est à partir de là qu’ils comptent passer et une fois au Bénin ils vont essayer de revenir en Guinée.
Ce qu’il faut savoir, depuis plusieurs mois, la voie principale que nous empruntions pour aller au Niger et revenir en vacances en Guinée est coupée par les terroristes. Cette voie nous permettait de sortir du Niger, passer par le Burkina, rentrer au Mali et venir directement en Guinée. Nous qui sommes venus en vacances, on était obligés de passer par le Bénin, ensuite le Togo avant de rentrer au Burkina puis le Mali et rentrer en Guinée. Eux aussi ils comptent passer par cette voie maritime pour rentrer, c’est très dangereux mais ils n’ont pas le choix.
Pendant la période de Covid, on a vécu une difficulté inenvisageable. On était obligés d’emprunter une route que même les autorités militaires maliennes n’osaient pas. On est passé par là, des terroristes nous ont arrêtés mais heureusement ils nous ont libérés parce qu’ils s’étaient rendus que nous n’étions pas leur cible.
Alors, avec ces sanctions, j’imagine la galère dans laquelle vit nos frères : manque de nourritures, médicaments d’eau parce que les sanctions concernent tout. On ne trouve pratiquement rien et le peu qu’on trouve c’est très cher. Il y a même frères qui nous envoient des audio pour solliciter leur évacuation du pays. Mais puisque les frontières sont fermées, je leur dis que ce n’est pas possible.
Quel message avez-vous à l’endroit des autorités guinéennes ?
C’est de dire à nos autorités, est-ce qu’elles savent qu’on a près de 300 de compatriotes dont des étudiants qui sont bloqués dans cette situation ? Il y a tous ces gens que j’ai cités. Ils vivent dans des difficultés. Nous ne parlons même pas là du coup d’Etat, on a trop souffert bien avant. On a plusieurs fois tenté d’interpeller nos autorités sur la situation de nous guinéens au Niger sans suite, j’espère que cette fois-ci que nos dirigeants vont se bouger et faire quelque chose.
Je révèle que dans l’université où nous étudions il y a plus de 16 nationalités. Parmi ces nationalités il n’y a que les Guinéens qui ne profitent d’aucune aide de leur Etat. En période de Covid, certains Etats avaient envoyé des bus, des vols pour rapatrier leurs étudiants, d’autres de la nourriture mais nous, rien. Plus de cinq ans que je vis au Niger en tant qu’étudiant, mais on ne reçoit rien comme aide de la part de l’Etat. J’ose penser que cette fois-ci nos autorités vont se lever et faire quelque chose. Le président de la République, le colonel Mamadi Doumbouya est un homme bien. Depuis qu’il est là on voit ses bonnes initiatives pour le pays et surtout pour nos compatriotes à l’étranger. Avec son ministre des Affaires étrangères Dr Morissanda Kouyaté, ils essaient de faire leur mieux. Nous demandons au président d’ouvrir aussi son cœur pour nous guinéens au Niger. Certains Etats apportent un soutien à leurs étudiants de ce pays mais nous, rien. Il y a même certains de nos compatriotes qui sont obligés de manger le restant de nourriture des autres étudiants.
Nous attendons de l’aide de la part de nos dirigeants. Une bourse, petite soit-elle pourrait soulager ces étudiants. Je rappelle que l’année dernière, une délégation des étudiants guinéens dont je fais partie, a été arrêtée aux frontières Burkina-Mali. On a passé là-bas pendant trois jours. C’était juste qu’on était parti à notre ambassade à Bamako pour avoir un laissé passer pour passer la frontière alors que d’autres pays ont accès à leurs documents officiels facilement. Avant on n’avait pas ce papier-là, on était obligés de voyager avec nos amis maliens. C’est eux qui inscrivaient les noms des étudiants guinéens sur leur laissez-passer comme si on n’était pas une République. A l’ambassade, les étudiants sont restés là-bas pendant 5 heures de temps, on nous disait que l’ambassadeur était sorti etc. On a passé trois jours à la frontière alors qu’un simple coup de fil de notre ambassade à Bamako aux autorités maliennes aurait pu nous libérer mais même ça, c’était impossible.
Nous demandons à nos autorités de l’aide. Les nouvelles autorités militaires au Niger ont dépêché une délégation à Conakry pour remercier les nôtres sur leur position suite au coup d’Etat. Nous pensons que cela pourrait servir de déclic pour nos compatriotes vivants au Niger.
Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 664 72 76 28
Créé le 17 août 2023 17:40Nous vous proposons aussi
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