Ousmane Gaoual Diallo : « L’option militaire au Niger est une aberration… »
CONAKRY- Le porte-parole du Gouvernement guinéen défend avec fermeté la position exprimée par le CNRD sur la crise nigérienne. Dans cette troisième partie de l’interview qu’il a accordée à Africaguinee.com, Ousmane Gaoual Diallo évoque les conséquences graves qu’une intervention militaire pourrait engendrer. Alors que les sanctions contre la junte au Niger pleuvent de partout, le porte-parole du Gouvernement soutient que la Cedeao devrait mieux se préoccuper du sort des populations que celui des présidents déchus çà et là. Entretien exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Le CNRD a déclaré que toute action militaire pour le rétablir le président civil au Niger équivaudrait à la dislocation de l’organisation sous-régionale. Pourquoi cette position de la part de Conakry ?
OUSMANE GAOUAL DIALLO : Parce que le risque est grand. La Cédéao ne peut pas ou ne doit pas prendre comme premier choix, le règlement d’une crise interne à un pays l’option militaire. C’est une aberration. Vous irez avec des barbouzes, déloger un président et installer quelqu’un. Alors, vous faites comment pour la suite ? C’est par les coups de canon que vous allez les réconcilier ? C’est comme ça que vous allez réconcilier les positions divergentes dans le pays qui ont amené à cette situation ? Cela ne peut jamais et ne doit pas être un premier choix. C’est pour ça qu’il est nécessaire que la Cédéao revoie sa copie et adopte une position plus conciliante, à partir du moment où elle est considérée comme une institution de médiation entre les protagonistes. C’est une position privilégiée qu’il faut garder. C’est très important et amener les uns et les autres à régler la crise politique.
Sur le long terme, il faut se pencher sur l’incapacité des pays ouest-africains à créer les conditions de stabilité et de durabilité de leurs institutions. Qu’est-ce qui fait ça ? C’est parce que, on doit finalement conclure que ce n’est pas les bonnes élections qui garantissent la stabilité dans un pays. Ce n’est même pas le bon travail ou le mauvais travail qui font ça. Il y a des paramètres certainement qu’il faut aller découvrir sur lesquels il faut asseoir les équilibres qui permettent de préserver les institutions et de leur pérennisation dans le temps. Et ça, c’est est un débat légitime en Afrique de l’Ouest mais encore plus pour notre propre pays. Il ne faut pas seulement se focaliser sur la littérature (en disant oui, allons-y on est dans une transition, il faut faire des élections, on transfert le pouvoir…). Est-ce que c’est une condition garantie de stabilité et de pérennité ? Il faut peut-être réfléchir à inventer des mécanismes pour éviter cela.
On voit des régimes, ailleurs qui n’ont forcément pas de bonne réputation du point de vue démocratique, du point de vue de ce qu’on a comme standard démocratique, mais ce sont des régimes qui durent dans le temps. Souvent même, ces régimes ne travaillent même pas. Et de l’autre côté, on voit des régimes qui sont réputés être de bons régimes démocratiques et qui ne durent pas. C’est sur quelle base tout ça se fait ? Il faut entrainer une réflexion à ça. Il faut que l’on réfléchisse pour trouver les mécanismes de stabilité. Et la Cédéao doit être interpellée. Et puis il y a d’autres problèmes : le problème sécuritaire qui touche aujourd’hui le Sahel ; le problème d’insécurité qui touche la jeunesse qui la pousse à l’exil. Cela nous interpelle. Quelle réponse pourrons-nous apporter à tout ça ? Est-ce que c’est par les élections seulement ? Est-ce que c’est par les questions des droits de l’homme seulement qu’on règle ? Est-ce que c’est par des questions économiques ou de prendre en compte des questions ethniques, régionales… ? Il faut qu’on invente des mécanismes qui absorbent tout le monde et qui permette à chacun de se sentir pleinement bien.
Les autorités de la transition disent qu’elles n’appliqueront pas les sanctions ‘’illégitimes inhumaines’’ infligées au Niger par la CEDEAO. Le Gouvernement envisage-t-il une stratégie d’aide pour les autorités nigériennes ?
Chaque fois qu’un pays a été mis sous ces formes d’embargo, on a refusé d’appliquer, et on refusera. Quand le Mali était là, le Burkina aussi…, ce n’est pas une nouveauté. On refusera d’appliquer les sanctions qui aggravent la situation des populations. On ne ferme pas ça. C’est même disproportionné. Quand vous coupez l’électricité à un pays, ce n’est pas que le pouvoir que vous sanctionnez. Toutes ces bonnes femmes qui sont dans les hôpitaux qui attendent des soins, qui attendant d’être opérées, ce n’est pas le pouvoir. Si vous dites que vous ne fournissez pas des médicaments de santé à la population, ce n’est pas le pouvoir. Vous vous attaquez à la population. Mieux vaut prendre au cœur de ces préoccupations, les problèmes des populations que les problèmes des chefs d’Etat déchus par-ci par-là. Cela ne doit pas peser plus que les populations elles-mêmes. Vous mettez les populations dans une situation inconfortable en voulant l’infliger des sanctions qu’elles ne méritaient pas.
Vous pensez que les dirigeants de la Cédéao ont manqué de maturité ?
Non, ils se sont précipités sur une décision. Nous pensons qu’il y a eu de l’émotion qui a conduit à cela. Mais il n’est pas tard pour revenir à de meilleurs sentiments, garder la position, privilégier le médiateur reconnu des autorités guinéennes et travailler à trouver les mécanismes pour sortir le Niger de cette situation. Ensuite, réfléchir plus globalement à une réponse adaptée au contexte et aux crises latentes dans d’autres régions. Il faut anticiper tout ça.
Certains craignent aujourd’hui que les rapports entre notre pays la Guinée et la CEDEAO ne s’effrite davantage. Partagez-vous ces inquiétudes ?
Pas du tout. Pourquoi nos rapports vont s’effriter ? Nous, nous avons gardé notre singularité. Cela n’est pas nouveau. Quand on a infligé les sanctions au Mali, on a dit non, on n’est pas concerné. On est resté sur cette position. La singularité, la Guinée l’assume depuis 58. Ce n’est pas nouveau.
Sauf que là le ton est différent. Vous allez jusqu’à prédire la « dislocation de la Cédéao ». Est-ce que ça veut dire que la Guinée veut sortir carrément de l’institution ?
La Cédéao, quelle est sa mission principale ? C’est de renforcer l’unité entre les peuples ouest-africains et de favoriser l’intégration économique de ces pays-là. C’est ça sa mission. Si vous détruisez l’unité, il ne reste rien. Le seul facteur sur lequel encore on peut peser et continuer à être ensemble, c’est l’unité entre les populations ouest-africaines. Si vous ne prenez pas ça en compte, il n’y a plus de Cédéao de fait, parce que l’intégration économique, on n’y arrive pas. Il faut qu’on soit conscient de ça. Le problème principal, c’est si on touche les piliers de la fondation de la maison Cédéao, la maison va s’effondrer, c’est un constat. Si vous voulez préserver la maison, vous maintenez les piliers solidement ancrés.
Dans les traditions, les habitudes, si vous en faites des tabous, on ne va pas se lever. Il y a une crise entre la Russie et l’Ukraine, les européens ont une position claire et tranchée vis-à-vis de l’Ukraine. Mais personne n’a dit que je vais prendre mon armée aller bombarder la Russie. Il y a eu des tragédies plus graves en Sierra Leone, il a fallu plusieurs années pour que l’ECOMOG vienne. Donc il faut que la Cédéao ne prenne pas l’usage des armes comme le premier choix pour régler. Il y a d’autre voies qu’il faut explorer. Il ne faut pas faire un précédent qu’on ne peut pas soutenir. Aujourd’hui, est-ce que c’est toujours important de mobiliser les armées ouest-africaines pour rétablir un président, que de mobiliser ces mêmes armées pour garantir la sécurité au niveau du Sahel. On risque de faire exploser tout le pays. Alors que cette question d’insécurité est au cœur de la plupart des crises de ces pays.
Aucun pays africain ne se mobilise encore pour dire quelle réponse on va apporter pour le Burkina, la Niger ou pour le Mali. Même d’une certaine manière, le Nigéria, plus de 30 ans ils ont maille à partie avec Boko Haram. Et qu’est-ce qu’on a fait ? Est-ce qu’on a mobilisé l’armée africaine pour aller attaquer Boko Haram ? Non. A Casamance (Sénégal), on a mobilisé l’armée ? Il faut trouver des mécanismes de règlement de crise qui peuvent être efficaces à mon avis. On peut commencer par ça au lieu de se précipiter sur les solutions militaires. Si le Niger explose aujourd’hui, il n’y a pas d’autorité centrale à part l’armée. Et si l’armée est divisée, vous croyez que ça va entrainer une meilleure sécurité dans la sous-région ? Non. Et c’est les conséquences qui seront dramatiques pour les populations et pour les pays.
Avec la résurgence des coups d’Etat il y a des craintes que les rebellions ne reviennent en Afrique de l’ouest. Si les partis politiques n’ont pas la possibilité de concourir aux élections, gagner et de pouvoir diriger les Etats, il ne sera plus question que créer des groupes armés pour s’emparer des pouvoir d’Etat. Cela ne risquerait-il pas d’aggraver la situation ?
On a déjà essayé ça, ça n’a pas marché. Il y a eu des rebellions fortes qui ont été créées au Libéria et en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire. Cela a réglé quoi ? Cela n’a pas régler la question de la stabilité de la sécurité dans ces pays. Si vous voulez conquérir le pouvoir, l’exercer…, ça commence par l’éducation. Vous prenez nos partis politiques en Guinée ici, quel est le parti qui a un fonctionnement démocratique ? C’est-à-dire, qui respecte le rythme démocratique de ses textes, en remettant régulièrement en cause son mandat, en respectant les règles démocratiques de son parti. Dans le débat démocratique, lorsque vous n’avez pas un fonctionnement démocratique pour votre propre parti, je ne sais pas, comment vous pouvez, une fois à la tête du pays, garantir un fonctionnement démocratique de l’Etat. C’est compliqué. Il faut être déjà éduqué dans ces valeurs démocratiques pour pouvoir l’exercer plus tard. Donc il y a beaucoup de chose à faire à la base et il y a un travail au sommet…
La démocratie, telle qu’elle est dans les livres, a besoin d’être d’une certaine manière adaptée au contexte et aux réalités de nos pays comme partout ailleurs. La démocratie française n’est pas la démocratie américaine. La démocratie suisse, est un modèle singulier. Elle tient compte des différentes tribus qui fondent la Suisse, la démocratie belge tient compte de ses ethnies, qui n’est pas la même que la démocratie suédoise. Chacun de ces Etats a réussi à implanter la démocratie dans son pays en tenant compte de son contexte, de culture, de sa diversité, de sa tradition. L’africain doit faire autant.
Pour le cas de la Guinée qui est en transition, pensez-vous qu’il y a là une aubaine avec la nouvelle Constitution ?
Ce n’est pas une question que de constitution. Il faut d’abord voir le modèle de société. C’est se fait par des débats. Et le débat est difficile déjà. Parce que, quand vous venez au dialogue avec un chapelet de revendication, vous rendez difficile les échanges. Et lorsque l’échange est difficile, ce n’est pas évident d’arriver à une conclusion acceptée de tous. Il faut déjà inventer un mécanisme de communication entre des acteurs qui n’ont pas toujours les mêmes objectifs. Et c’est déjà un travail que les africains doivent faire, particulièrement en Guinée. Est-ce qu’on échange lorsqu’on n’est pas d’accord ou bien on échange pas du tout ? Ou bien qu’on invente un mécanisme d’échange pour partager les divergences, avec la volonté de chacun d’aller rechercher un fond d’équilibre.
Si on n’est pas capable de faire ça, le chemin vers les sociétés démocratiques ouvertes assises sur les institutions pérennes et solides, sera compliqué. Parce que chaque fois, ceux qui ne sont pas autour de la table vont imaginer que ce qui est fait leur ait imposé et c’est à leur détriment. Il faut un sursaut de patriotisme, il faut un réveil de conscience des élites, des partis politiques, des acteurs de la société civile pour dire que, oui, notre société est traversée par beaucoup de courants, les divergences sont légion. Mais dans cette diversité d’opinion, de compréhension, nous devons inventer des mécanismes d’un débat, d’un dialogue avec l’objectif d’arriver à une synthèse acceptable de chacune des parties.
A suivre…
Interview réalisée par Boubacar 1 Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 5 août 2023 13:42