Interview: De sa vie de détenu à celle de régisseur de la maison centrale, Dr Thierno Sadou Diallo parle…

CONAKRY- Après avoir séjourné à la maison centrale en tant que détenu pendant 5 ans, Dr Thierno Sadou Diallo est désormais le régisseur par intérim de cette prison. Un destin atypique pour ce médecin légiste qui a rédigé sa thèse de mémoire en prison.


Un peu plus d’un mois après sa nomination, l’ancien détenu a accordé une interview à Africaguinee.com.  Avec lui, nous avons abordé plusieurs questions liées notamment à son retour dans cette prison; cette-fois en tant que régisseur. Entretien exclusif!

 

AFRICAGUINEE.COM : Comment avez-vous accueilli votre nomination au poste de régisseur de cette même prison où vous avez séjourné?

DR THIERNO SADOU DIALLO : J’ai commencé par remercier Dieu qui m’a permis de traverser ces étapes. Le retour à la maison centrale, quand j’ai accepté ce poste, je me suis fixé des objectifs. A un moment donné de ma vie j’étais là en tant que détenu. Aujourd’hui la casquette a changé, je suis là en tant que responsable. Pour avoir vécu les réalités de cette prison et avoir participé à la gestion notamment sanitaire et alimentaire par le passé, et y avoir eu la chance de faire des formations depuis ma libération qui ont trait à la détention notamment la médecine pénitentiaire, la chaine alimentaire, je me suis dit que j’ai suffisamment de bagages intellectuels pour faire face aux besoins de nos compatriotes qui sont privés de liberté ou en conflit avec la loi et détenus à la maison centrale.

Il y a des défis qui sont à ma portée. Parmi ces défis, il y a celui de respecter et de faire respecter les clauses contractuelles liant l’Etat aux structures de restauration qui sont chargées de la chaine alimentaire dont je suis l’un des formateurs au niveau national; orienter et organiser la dispatching des soins dans l’enceinte de la maison centrale; respecter et faire respecter les droits des détenus.

Quant aux problèmes structurels notamment la détention, la surpopulation, la promiscuité et tout ce qui s’en suit, il fallait poser un diagnostic réel et le remonter à la haute autorité afin que des décisions soient prises pour améliorer et humaniser les conditions de détention. Le retour en tant qu’ancien détenu, ce sont donc ces objectifs que je me suis fixés et nous continuons à avancer dans ce sens.

A votre arrivée, quel a été votre constat ?

Le constat, ce qu’il faut dire, il n’y a rien à se réjouir mais il fallait rester positifs dans la mesure où les lignes ont quand-même bougé depuis que j’ai quitté.  Tout de même il y a assez de choses à faire. Il y a un challenge notamment sur la détention, l’hygiène, la chaine alimentaire, les droits des détenus etc. Il y a des constats qui sont quand-même alarmants mais ce qu’il faut retenir, la situation a bougé.

A vous écouter c’est comme si la situation était alarmante. Soyez un peu plus explicite…

C’est tout d’abord la surpopulation. Actuellement comme vous l’avez constaté, nous sommes en extension. Cette prison, à l’époque était construite pour 300 places. Mais de nos jours nous tournons autour de 1 900 personnes. Une surpopulation qui avoisine les 650%. C’est quelque chose qu’on peut qualifier d’alarmant. Il faut quand-même dire que depuis l’arrivée d’Alphonse Charles Wright, garde des sceaux, Ministre de la justice et des droits de l’Homme, nous avons entamé des projets de rénovation et d’extension de la maison centrale. Nous sommes en train de construire 750 places supplémentaires qui vont venir pallier ce problème de surpopulation. Pour l’instant la situation n’est pas rose, mais d’ici la fin de cette année nous aurons des places suffisantes pour pallier à ce problème de surpopulation.

Avant votre arrivée il y avait tout de même des pratiques assez déplorables qui se passaient au sein de cette prison. C’est notamment les rackets, le trafic, les détentions prolongées etc… Qu’en-est-t-il aujourd’hui ?

Sur ces aspects-là, nous avons fait l’état des lieux des détentions prolongées que nous avons remontées au département, celui-ci a invité l’inspection et les parquets à prendre toutes les dispositions pour que les personnes en détention prolongée soient jugées le plus vite que possible ou relaxées. C’est quelque chose qu’il faut saluer. Les autres pratiques à l’intérieur de la détention, ce sont des pratiques qui sont communes à tous les systèmes de détention à travers le monde. Aujourd’hui vous partez aux États-Unis, c’est les mêmes problèmes. La corruption en milieu carcérale elle existe pour plusieurs raisons. C’est un fléau qu’il faut endiguer pour respecter et faire respecter les droits des détenus. Ce sont des droits inaliénables. Quelqu’un qui est privé de liberté ne perd que le droit d’aller et de revenir, il préserve tous les autres droits notamment le droit à la santé, à une alimentation équilibrée, à la visite familiale etc. Nous venons de loin lorsqu’on parle de prison dans notre pays. Mais nous comptons relever ce défi en tant que responsable.

Vous êtes médecin, donc un civil. Quel type de rapport vous entretenez avec les gardes pénitentiaires ?

C’est une collaboration qui se passe très bien. J’ai un adjoint qui est garde pénitentiaire, le lieutenant Conté. J’ai un gardien chef qui est également très dévoué et disponible. Nous sommes en train d’aider à la réorganisation de cette garde pour assurer la sécurité dans l’enceinte de l’établissement. La collaboration se passe très bien d’autant plus que c’est des gens qui m’ont connu de par le passé. Ils savent très bien qu’avec moi il n’y a pas de problème. Nous sommes en train de bien collaborer.

Comment vous gérez la présence d’anciennes hautes autorités au sein de la maison centrale?

C’est une situation certes, mais la prison, à tort ou à raison elle est la porte de tout le monde. Elle abrite des citoyens lambdas, des personnes âgées, des femmes, des mineurs, des personnalités publiques, politiques, des hommes riches et pauvres pour ne citer que ceux-là. Ici ce sont des personnes privées de liberté mais quelle que soit la situation, nous veillons au respect de leurs droits. C’est ce qui plus important. Quant à la catégorisation des détenus, ça n’a pas de sens. C’est la justice qui place les gens ici. C’est encore elle qui libère. Le peu de temps que les gens sont amenés à faire ici nous devons veiller au respect de leurs droits. C’est le plus important pour nous.

Est-ce qu’il y a eu des incidents même une seule fois entre les détenus dans l’affaire du massacre du 28 septembre 2009?

Il n’y a aucun problème, nous gérons tout ça. Nous sommes responsables de la détention, donc nous gérons tout. Il n’y a pas de tensions, nous sommes vigilants et essayons de gérer autant que possible.

Votre nomination est intervenue à la suite de l’évasion d’un détenu jugé ‘’redoutable’’ qui a été finalement interpellé à nouveau. Est-ce qu’à date de nouvelles dispositions ont été prises pour renforcer la sécurité au sein de la maison centrale?

L’histoire d’évasion dans les prisons est très longue. Et ici ou ailleurs, il peut y avoir des évasions, mais ce qui reste clair, nous sommes en train de prendre toutes les dispositions pour corriger les failles de sécurité à l’interne; et aussi prendre des dispositions pour que les évacuations sanitaires soient escortées. Parce que le plus grand cauchemar de la maison centrale c’est cette histoire de santé, cette histoire de référence et de contre-référence. Toute personne qui doit être vue dans une structure de soins nous veillons à ce qu’elle soit amenée dans les conditions de sécurité requises et qu’elle parte voir les médecins traitants pour une consultation. C’est la justice qui place les gens, c’est encore elle qui libère.

Concrètement qu’est-ce que vous comptez faire pour améliorer davantage la situation des détenus de cette maison carcérale ?

Nous avons beaucoup d’ambitions. Avec l’appui du département nous avons pu organiser une journée d’assainissement, une journée de consultation psychiatrique et une autre pour une consultation neuro. Nous avons aussi un programme avec le cabinet dentaire avec la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale pour organiser une journée d’odontostomatologie. Par la suite, nous comptons contacter tous les services de santé spécialisés afin qu’ils puissent intervenir dans ce milieu parce que nous avons près de 2000 guinéens qui sont en conflit avec la loi, privés de leur liberté mais qui ont des droits qu’on doit respecter. Nous allons nous y employer, user de toutes nos relations, de tous les moyens pour respecter et faire respecter leurs droits.

 

Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 664 72 76 28

Créé le 1 août 2023 14:35

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