Me Clédor Ly, avocat du Dr Diané : « Mes attentes vis-à-vis de la Cour Suprême et de la CEDEAO… »
CONAKRY-Son implication dans le procès de l’ex ministre de la Défense, Dr Mohamed Diané, jugé pour détournement de deniers publics, corruption, enrichissement illicite, blanchiment de capitaux, a rebattu les cartes. Alors qu’on se dirigeait vers l’ouverture des débats sur le fond, Maître Ciré Clédor Ly a soulevé des exceptions d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité qui ont amené le Juge Francis Kova Zoumanigui à ordonner un sursus à statuer. Les débats sont désormais suspendus jusqu’à l’arrêt de la Cour de la Cour Suprême qui a été saisie à cet effet. Ce nouveau rebondissement donne une nouvelle dimension à ce procès. Africaguinee.com a interrogé l’avocat de l’ex ministre de la Défense d’Alpha Condé. Dans cet entretien exclusif, l’avocat sénégalais revient sur les conditions de détention de son client mais également sur la procédure engagée auprès de la Cour de Justice de la Cedeao.
AFRICAGUINEE.COM : Dans quel état se trouve votre client la maison centrale de Conakry ?
MAÎTRE CIRÉ CLÉDOR LY : Toutes les prisons d’Afrique sont des prisons qui ne répondent pas aux normes internationales et qui n’appliquent pas les principes minima recommandés pour la détention, notamment le principe de Paris. C’est extrêmement dur pour quiconque. Il ne doit pas y avoir de discrimination par rapport aux détenus. Tous les détenus doivent être mis dans des conditions décentes avec des traitements humains et non dégradants. Les prisons guinéennes ne répondent pas aux conditions minimales de la détention, donc au principe de Paris. En dehors de cela, mon client est quelqu’un qui vit sa situation avec beaucoup de courage et qui se bat.
On a assisté à un nouveau rebondissement dans ce dossier lorsque vous avez soulevé des exceptions d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité dans l’ordonnance de renvoi. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?
Mon client ne veut pas que son procès soit escamoté. Il veut que son procès se déroule dans conditions qui lui permettent de quereller le chef d’accusation et de les contester. Et surtout, sur les points de droits qui sont posés, qui font qu’il y a beaucoup de choses à dire sur la mise en œuvre des lois depuis qu’il y a eu la transition. C’est ce qui explique que nous ayons saisi la cour suprême à laquelle les prérogatives de la Cour constitutionnelle ont été transférées pour qu’elle statue pour voir la non-conformité de la loi par rapport à la Constitution. Parce que la Charte que les autres évoquent dit que toute disposition légale antérieure non abrogée est encore applicable. Cela veut dire que les dispositions de la constitution qui ne sont pas abrogées sont applicables. C’est un jeu technique assez difficile auquel nous avons essayé de satisfaire. Nous avons saisi donc la cour suprême.
Il y a aussi le respect des conventions internationales, parce que dès après la suspension de la constitution, il y a eu immédiatement une ordonnance précisant que les conventions internationales devaient être respectées et allaient être respectées… Or, il y a des dispositions qui sont appliquées à mon client qui ne sont pas conformes aux conventions internationales qui avaient été entérinées et ratifiées par la République de Guinée d’où l’inconventionnalité de la loi, qui ont été soulevées.
A quoi attendez-vous de la Cour suprême ?
La Cour suprême vous savez, fait office de Cour constitutionnelle. Donc ce sont des questions qui sont de sa compétence qui lui sont soumises. Elle aura à rendre une décision. D’abord sur la recevabilité de ce recours, nous ne doutons pas que ce pas devrait être franchi, parce qu’en travaillant avec les autres avocats de Guinée qui connaissent les textes mieux que moi et qui les maitrisent plus que moi, nous avons veiller à verrouiller toutes les questions de procédures. Maintenant, sur le fond, elle dira sur chaque point soulevé, si en fait, c’est conforme ou ce n’est pas conforme aux conventions internationales ou à la loi notamment à la constitution dans ces dispositions qui ne sont pas contraires et non abrogées, ou si elle se limitera à la charte, personne ne saura… De toute façon, c’est un débat très intéressant qui fixera aussi les gens par rapport à tout cela.
Votre client est en détention depuis maintenant plus d’une année. Ne pensez-vous pas que ces exceptions vont davantage crisper les débats et faire durer sa détention ?
Chacun peut avoir sa philosophie de la défense. Mais je pense que nous avons tous un devoir. Nous ne défendons pas seulement un client dans notre carrière. Et le client fait partie d’un peuple, d’une nation. Et si nous fermons les yeux sur certaines violations, certaines dérives qui deviendront donc des pratiques et même de la jurisprudence, alors l’arbitraire et la violation des droits deviendraient la règle, et des milliers ou des millions de citoyens subiraient le même sort.
C’est la raison pour laquelle lorsque des débats sérieux se posent, dont la solution peut influer sur le destin de plusieurs milliers ou millions de personnes qui pourraient demain avoir des problèmes avec la justice, il faut les régler définitivement dans l’intérêt des peuples. Un avocat n’est pas seulement pour un client. Il est aussi pour son peuple, pour tous les citoyens du monde qui peuvent immigrer et se retrouver dans des situations où les droits sont piétinés ou violés.
Donc, il y a des questions, quand elles se posent, il faut les régler définitivement. Ce n’est pas seulement dans l’intérêt du client qui en bénéficient immédiatement. Mais au-delà du client, pour tous les autres qui pourraient être de potentielles victimes.
A quel scénario pourrait-on s’attendre dans les prochains jours, si la Cour suprême rejette ces exceptions ?
Les débats reprendront là où ils étaient. C’est-à-dire, les avocats de l’accusation reviendront avec des clients. S’il y a des obstacles de droits encore qui ne sont pas de la compétence de la cour suprême, mais qui sont de la compétence de la Crief, alors la cour tranchera. S’il n’y a point ou si c’est rejeté, alors le débat continue avec les interrogatoires des témoins et des autres. En tout état de cause, je ferai mon travail en pleine conscience. Si je vois des obstacles de droit, je les soulèverais et la cour tranchera. Mon client est en parfaite phase avec moi. Il épouse la même philosophie. Il ne faudrait pas que son procès soit escamoté et que cela fasse encore que d’autres soient victimes.
Concomitamment, votre collectif a saisi la cour de justice de la CEDEAO. Qu’est-ce qui motive cette décision ?
La Cour de justice de la CEDEAO a été saisie de plusieurs fois. Je résumerais d’abord sur les violations du droit en procès équitable. Sur ça aussi, la violation du droit d’être jugé dans des délais raisonnables et là, pour qu’il n’y ait pas d’amalgame ou de confusion, je voudrais m’expliquer sur ce point.
En fait, le droit d’être jugé sur un délai raisonnable, semblerait contraster avec ces exceptions qui sont soulevées, des points de droits qui sont soulevés, qui sont des obstacles au jugement sur le fond. Mais il n’en est rien dans la mesure où c’est une question spécifique. Dans le cadre de la mise en œuvre de ces procédures, il se trouve qu’il n’est pas admissible ni compréhensible qu’une cour suprême, puisse être saisie d’une question de détention et devant statuer sur une liberté. Cette cour suprême ne statue pas compte-tenu de l’audience depuis des mois. Chaque mois, le délibéré est prorogé à un autre mois. Donc il est clair que nous sommes toujours dans l’œil de cyclone, à savoir la violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, d’autant que nous pensons à tort ou à raison que la Cour suprême se trouve dans une situation où si elle rend son délibéré, cela ordonnerait la libération immédiate de mon client. La procédure qui est devant la Cour suprême depuis des mois et qui n’est pas encore vidée, c’est une violation des droits de nos droits.
Ensuite, il y a surtout la question de la détention. Nous estimons que la détention est arbitraire, donc le procureur de la république, dans la mise en œuvre toujours des lois, a utilisé une procédure, pour ensuite revenir à une autre. Elles sont toutes permises par la loi, mais le mandat de dépôt qui leur ai décerné était devenu caduc. Il refuse de lever ce mandat et nous a maintenu en prison. Le collège de juge n’a pas voulu décerner ce mandat. Cela, tout le monde l’a suivi. Le mandat étant caduc on devrait être libéré, alors il a refusé de libérer et il est allé en appel… Il y a eu beaucoup de péripéties qui ont eu lieu à mon absence, je ne fais que me joindre à la procédure en relevant qu’à juste titre, il y a bien une détention arbitraire. A moment donné, la chambre de l’instruction a ordonné qu’il y ait un mandat de dépôt alors qu’ils (Mohamed Diané et Cie), étaient en prison, ils n’ont jamais été libérés. Alors comment est-ce que la Cour de justice de la CEDEAO va examiner tout cela ? Je ne saurai le dire. Moi je reste dans mes bottes et je refuse d’être dans la tête des juges.
Cette juridiction sous-régionale se prononcera le 13 juillet prochain. Est-ce que vous avez transmis vos arguments ?
Nous avons plaidé. L’audience était en ligne. Je ne vais pas dire nos arguments devant les médias. Je vous ai simplement soulevé les points en prenant le soin de vous préciser que je ne m’arroserais jamais les prérogatives d’un juge et je n’essayerai jamais de savoir qu’est-ce qui se trouve dans la tête d’un juge. Je reste dans ma tête.
Qu’attendez-vous de la cour de justice de la CEDEAO ?
Je m’attends à au moins à ce que la cour consacre que la détention de Mohamed Diané est arbitraire. Que cela soit depuis la caducité du mandat de dépôt du procureur de la république, ou bien si séquentiellement il y a une période où il y a une détention arbitraire et que le reste pourrait être dans la normalité dès l’instant que le juge l’avait décidé et aussi qu’elle se prononce sur la question de savoir si la chambre de l’instruction après avoir décerné un mandat, revenait sur sa décision pour ordonner la mise en liberté sous caution, si encore on pouvait le maintenir en détention. Voyez-vous que les questions ne sont pas aussi simples que parfois on les présente. Je ne suis pas de ceux qui présentent les choses facilement à mon profit. Je les expose avec beaucoup d’objectivités et on verra les résultats, chacun pourrait se faire son opinion librement.
Votre mot de la fin ?
De toute façon, je souhaite pour le peuple de Guinée, pour l’Etat guinéen, une réussite, une prospérité… Je recommande que dans ce sillage, l’Etat guinéen s’y en gouffre. C’est en cela qu’il y a la clé du bonheur de demain, la clé de la stabilité, la justice sociale et la prospérité.
Entretien réalisé par Oumar Bady Diallo et Dansa Camara DC
Pour Africaguinee.com
Créé le 4 juillet 2023 17:45