Guinée : « Le régime militaire a renié ses engagements… », selon Fabien Offner
CONAKRY-En Guinée, le regain des violences meurtrières interpelle les ONGs internationales de défense des droits humains. Alors que sept civils ont été tués le 10 mai dernier à Conakry, dans la répression sanglante d’une manifestation interdite par la junte, Amnesty International a tiré à nouveau la sonnette d’alarme. Comment expliquer la résurgence de ces violences ? Comment les endiguer dans un contexte d’impunité chronique ? Fabien Offner, chercheur Senior à Amnesty International a répondu aux questions d’Africaguinee.com.
AFRICAGUINEE.COM : Comment comprenez-vous la reprise des violences en Guinée ?
FABIEN OFFNER : L’échec des récentes discussions entre le gouvernement et les Forces vives de Guinée a conduit à une reprise des appels aux rassemblements de la part des Forces vives de Guinée, ses revendications n’ayant pas été satisfaites. Dans la mesure où les rassemblements sont toujours interdits, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le régime militaire de transition actuel s’est emparé du pouvoir au nom de la justice, puis a renié en quelques mois ses engagements en matière de droits humains, a remis en prison les personnes qu’il avait libérées. Dans ces conditions, on peut difficilement s’attendre à un pays apaisé.
On constate malheureusement que cette situation se perpétue régime après régime dans le pays. La violence d’État, les homicides illégaux commis par des hommes en uniformes peuvent presque être qualifiés d’endémiques en Guinée. C’est un drame, et les pouvoirs qui se succèdent n’apportent aucune solution durable. Au-delà des militaires, les partis politiques devraient aussi s’interroger sur leur rapport aux droits humains. Voir au sein des Forces vives de Guinée le RPG (ancien parti au pouvoir), qui dénonce aujourd’hui ce qu’il cautionnait hier, interroge forcément sur les valeurs qui animent ces partis et les personnes qui les composent.
Au lendemain de deux jours de manifestations organisées par les forces vives de Guinée, un bilan de 7 morts et nombreux blessés a été présenté à l’opinion nationale et internationale. Est-ce que Amnesty international a un autre bilan ?
Nous avons pu vérifier la mort par balle d’au-moins deux personnes. Comme expliqué dans notre publication, cela ne signifie en aucun cas que nous contredisons le bilan des FVG. Seulement, établir des bilans est un travail minutieux qui demande du temps et des ressources humaines, et le temps médiatique n’est pas le temps de la recherche. Cela ne doit pas nous empêcher de pouvoir réagir rapidement à des situations graves. Amnesty International publie aussi des rapports beaucoup plus longs, comme Marcher et mourir en 2020, ou La Honte doit changer de camp en 2022, qui permettent de prendre ce temps et d’aller beaucoup plus dans le détail.
Il est surtout regrettable de constater que depuis plusieurs années maintenant, c’est aux médias indépendants, à la société civile et aux organisations de défense des droits humains que revient la triste tâche de compter les morts et les blessés. Au lendemain du rassemblement interdit du 10 mai, les images de têtes explosées et de thorax performés par des balles circulaient en boucle sur les réseaux sociaux, mais les dirigeants et les médias d’État sont restés silencieux. Comme sous Alpha Condé, la propagande d’État est mise au service d’un récit visant à criminaliser les protestataires. Il est plus que jamais essentiel de connaitre le nombre de personnes présumément tuées en Guinée par les forces de défense et de sécurité, à Conakry comme ailleurs.
Le fait d’interdire les manifestations des forces vives, est-ce que vous pensez que la restriction des libertés d’expression continue à prendre de l’ampleur en Guinée ?
Sous Alpha Condé, un grand nombre de rassemblements ont été interdits, notamment ceux contre le troisième mandat. Ces décisions étaient prises au coup par coup. Le 13 mai 2022, le CNRD a rendu ces interdictions permanentes, en interdisant « toutes manifestations sur la voie publique de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités contenues dans le chronogramme, (…) pour l’instant jusqu’aux périodes de campagnes électorales ». Mais qui sait aujourd’hui quand auront lieu ces « périodes électorales », et comment accepter que le régime actuel puisse être juge et partie ? Il y a aujourd’hui en Guinée un état d’exception qui ne dit pas son nom. N’oublions pas que l’ancienne Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a écrit en 2022 au chef de l’État pour lui signifier son inquiétude quant à la situation des droits humains dans le pays, et que plusieurs Rapporteurs spéciaux de l’ONU continuent d’écrire aux autorités guinéennes pour les mettre face aux engagements de la Guinée en matière de droit international des droits de l’homme. D’autres acteurs devraient faire entendre leur voix. Est-il normal que la France poursuive sa collaboration militaire avec la Guinée, quand des militaires sont une fois de plus accusés de tuer des personnes sans aucun respect pour les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu, et en toute impunité ?
Dans votre récente déclaration, vous avez exigé que la lumière soit faite sur les crimes et que justice soit rendue pour les cas de mort. Est-ce que vous avez l’espoir que cela sera fait dans un contexte d’impunité devenu légion ?
Il faut avoir de l’espoir. Beaucoup de familles ne portent plus plainte et s’en remettent à Dieu, par piété mais aussi parce qu’elles n’ont plus aucune confiance en la justice. Le procès du 28 septembre 2009, organisé 13 ans après les faits, montre que la justice est possible. C’est pour cela que nous pensons qu’il est important de continuer à documenter les faits, à mettre les gens devant leurs responsabilités, à leur demander de mener des enquêtes. Un policier a été condamné en mars pour le meurtre d’un jeune lors d’un rassemblement en juin 2022. C’est un premier pas, malheureusement noyé dans d’innombrables crimes impunis, qui ont fait l’objet de plusieurs annonces d’enquêtes et de poursuites judiciaires, dont on attend aujourd’hui les suites, et dont il faudra dresser le bilan en temps voulu. Mais il n’est pas dit que ceux qui étaient au pouvoir et ont commis, ordonnés ou cautionnés des crimes ne seront pas demain jugés par des tribunaux indépendants.
Quelle appréciation faites-vous suite à la libération des leaders du FNDC, Oumar Sylla dit Foniké Manguè, Ibrahima Diallo et Bella Bah?
Ces trois personnes ont été arrêtées et détenus pour avoir appelé à des rassemblements pacifiques, après avoir été arrêtés et détenus sous Alpha Condé pour les mêmes raisons. Nous avons toujours dit qu’elles n’ont rien à faire en détention. Leur libération provisoire est évidemment un soulagement, mais nous constatons comme l’a fait l’Ordre des avocats de Guinée que l’indépendance de la justice, dans cette procédure comme dans d’autres, n’est pas établie.
Les scènes de violence ont repris alors que le dossier du massacre du 28 septembre est en jugement. Quelle lecture faites-vous à propos de ce fait ?
Il est effectivement frappant de constater qu’au moment où se déroule le procès d’un massacre commis il y a bientôt 14 ans par des membres des forces de défense et de sécurité lors d’un rassemblement interdit, ces mêmes forces sont accusées de tuer impunément dans les rues de Conakry comme elles le faisaient sous Alpha Condé, sous Moussa Dadis Camara, sous Lansana Conté ou Sékou Touré. En 2021 le ministre de la Sécurité déclarait que le maintien de l’ordre ne devait plus se faire comme avant et que la militarisation du maintien de l’ordre était interdite.
Aujourd’hui, le gouvernement assume pleinement le déploiement de militaires pour réprimer toute volonté de rassemblement, et des hommes en uniforme et en civil continuent de circuler dans Conakry avec des armes de guerre, au vu et su de tous, en tirant sur les gens. Qui autorise cela ? Qui contrôle les chargeurs de ces militaires, policiers et gendarmes ? Il ne s’agit pas de 157 personnes tuées dans un même stade le même jour, mais c’est une hécatombe silencieuse, sans doute plus importante encore, et en silence.
Entretien réalisé par Dansa Camara
Pour Africaguinee.com
Créé le 14 mai 2023 15:36Nous vous proposons aussi
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