Patane Gallé Nioké, rescapé : ‘’Comment j’ai eu la vie sauve dans la méditerranée…’’
TUNIS-C’est un témoignage qui donne froid dans le dos. Patane Gallé Nioké, rescapé d’un naufrage meurtrier survenu aux larges de la Tunisie raconte comment il a eu la vie sauve.
Ce jeune guinéen originaire de Koundara a frôlé le pire. Il a assisté impuissant à la mort de neuf (9) de ses compatriotes guinéens. Leur embarcation a chaviré alors qu’ils tentaient de se rendre en Europe dans le but d’avoir un lendemain meilleur.
Dans cet entretien, le seul survivant des 49 passagers à bord du navire nous décrit les derniers instants de ses compagnons d’infortune. Son récit est glaçant.
AFRICAGUINEE.COM : Vous étiez dans une embarcation d’infortune qui a chaviré dans la méditerranée entre la Tunisie et l’Italie. Comment ce naufrage s’est-il produit ?
PATANE GALLÉ NIOKÉ : On est arrivé dans l’île de Djerba un mercredi matin. On est resté là-bas jusqu’au soir. On a payé les passeurs. Ils nous ont embarqués le 23 mars 2023, à 6 heures du matin. En ce moment la météo était bonne. On a pris la mer, tout se passait bien.
On est venu jusqu’à un endroit qu’on appelle eau bleue tunisienne. C’était aux environs de 13H/14heures. Les conditions météorologiques se sont détériorées. L’eau est rentrée dans notre bateau, on tentait de la sortir. Mais il y avait des femmes parmi nous qui paniquaient quand les vagues ont commencé à frapper le bateau. Dans la panique, certaines ont sauté du bateau. Le capitaine s’est embrouillé, il a laissé le moteur et il a sauté. Dès qu’il a sauté, le bateau a coulé en profondeur. C’est ainsi que nous autres avons sauté. J’étais avec neuf (9) frères guinéens. Certains de Labé, d’autres de Conakry et les quatre autres de Koundara.
Donc, nous nous sommes réunis dans l’eau mais la vague était trop forte. Et quand la vague venait, elle nous frappait avec force, cela a fini par nous disperser. Dans ça, j’ai pu récupérer deux de mes frères, (Feus Samba Diallo et Kalil Mané), je les ai rapprochés vers moi, les autres ont été trop éloignés. On est resté là-bas, on a appelé la marine pour venir nous secourir mais elle nous a dit qu’elle n’arrivait pas à nous localiser. Nous sommes restés dans ces conditions alors que les vagues continuaient. Il y avait la fraicheur, certains n’ont pas pu tenir longtemps. Ils ont trouvé la mort dans ces conditions. Mon ami Kalil, je suis resté avec lui jusqu’à 23 heures, c’est à cette heure qu’il est mort dans mes mains.
Qu’est-ce qui vous a permis de tenir pendant tout ce temps alors que le bateau avait coulé ?
De 15 heures à 23 heures on était dans l’eau à l’aide des chambres à air que chacun d’entre nous avait. Elles vous permettent de rester dans l’eau jusqu’à 4 heures de temps au maximum. Alors, mon ami Kalil avec qui j’étais, j’ai essayé de le rassurer en lui disant de rester calme, mais avec les vagues et la fraicheur, il a fini par craquer. C’est ainsi qu’il en est mort. J’étais seul dans l’eau, je criais de toutes mes forces pour appeler à l’aide, mais personne ne me répondait. Je voyais des corps de mes compagnons à côté de moi. Je suis resté comme ça jusqu’à 6 heures du matin, j’ai vu des bateaux de pêcheurs tunisiens que j’aie hélés. Je les ai suppliés de me prendre. Ils m’ont dit à condition que je leur donne mon téléphone et plus de 500 dinars. J’avais 300 dinars en poche et mon téléphone que je leur ai remis pour les plaider. Mais ils ont refusé. Au finish, ils sont partis.
C’est comme ça que je suis resté jusqu’à 14 heures, le vendredi. Un vieux pêcheur m’a trouvé là, je l’ai plaidé. Heureusement lui m’a demandé 200 dinars plus mon téléphone. Je lui ai dit que j’ai 300 dinars plus mon téléphone, de tout prendre et de me sortir de l’eau. C’est lui qui m’a pris dans son bateau et m’a amené au bord de la mer. Ensuite nous nous sommes rendus chez les autorités. Quand je suis allé les voir, ils ont juste pris mon nom et m’ont suggéré de me rendre à la Croix Rouge. Là-bas, les humanitaires m’ont donné des produits pharmaceutiques ( Panadol etc). Ensuite, ils m’ont dit de rentrer. Je suis revenu à la maison. J’ai cherché à joindre la famille au village pour l’informer de la mort de nos autres camarades.
Vous étiez combien dans le bateau ?
C’est le passeur qui a causé tout. Il nous avait dit qu’on allait être 35 dans le bateau. Mais arrivé aux larges pour l’embarcation, il a envoyé ses parents : deux de ses frères, trois de ses sœurs et ses fils. Au finish, on est devenus 49 personnes dans l’embarcation. De la maison jusqu’au bord de la mère, on était 35 personnes. Mais avec la surcharge, c’est difficile. On ne pouvait pas faire marche arrière parce qu’ils ont déjà empoché notre argent. Du coup, ça devient compliqué de renoncer parce que quand tu dis que tu vas retourner, tu perds automatiquement ton argent.
Parmi ces 49 personnes, est-ce qu’il y a eu d’autres personnes qui ont survécu hormis vous ?
Je suis le seul qui a pu survivre. Tous les autres, même celui-là qui a gonflé le nombre de passagers, eux tous sont restés dans l’eau.
De là où vous vous êtes embarqués et l’Italie, quelle est la distance ?
C’est à 160 kilomètres de l’Italie. Mais il y a d’autres distances plus proches.
Actuellement vous êtes où ?
Je suis revenu dans ma ville, Interba.
Le gouvernement guinéen a entamé le rapatriement volontaire des Guinéens vivant en Tunisie. Est-ce que vous avez pris contact avec les autorités en vue d’un éventuel retour ?
Je souhaite revenir en Guinée mais il y a trop de monde au consutat de Guinée à Tunis. Il y a beaucoup de gens qui se sont inscrits pour leur retour volontaire, mais ils n’ont pas vu l’avion encore. Sur les raisons de l’absence de l’avion, il y en a qui disent que l’appareil serait en panne et certains donnent d’autres versions. Il y a beaucoup de gens à l’ambassade, j’ai même un frère qui est enregistré que j’ai appelé pour lui demander comment ça se passe, il m’a dit que lui a fait un mois là-bas mais jusqu’à présent ils ne l’ont pas ramené d’abord. Il m’a dit qu’à cette allure la durée pourrait aller jusqu’à deux mois.
Quel message avez-vous à l’endroit de ceux qui seraient tentés d’utiliser le même chemin ?
Ce que je voudrais dire aux populations guinéennes, particulièrement la jeunesse, l’Europe ce n’est pas le paradis. Ici, en Tunisie, c’est l’enfer. Celui qui survit dans ça, c’est que Dieu l’a sauvé. Aux jeunes, restez au pays, celui qui a de petits projets, je conseille de les réaliser chez nous, en Guinée. Parce que dans tous les cas, la vie est possible et un peu partout. Si tu as les moyens de te débrouiller en Guinée, il faut essayer. Moi, dès que je rentrerai au pays, je vais me mettre à réaliser de petits projets que j’ai en tête. Je pense qu’avec ça, je pourrais m’en sortir.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 30 mars 2023 02:57Nous vous proposons aussi
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