Gerard Rheinberger, PCA de Rio Tinto Simfer: « le moment est venu de développer Simandou…»
CONAKRY-Le projet Simandou suscite beaucoup d’espoir pour la Guinée. Ce mégaprojet minier qui nécessite un investissement de 15 milliards de dollars sera développé par deux géants miniers reconnus dans le monde. Il s’agit de Rio Tinto Simfer, détenteur des blocs 3 et 4. 53% détenus par Rio Tinto en partenariat avec Chinalco qui détient 47% des blocs.
Après un moment d’arrêt, le Gouvernement guinéen et ses deux partenaires sont parvenus, il y a sept mois, à signer un important accord portant sur la création de la coentreprise et un autre en décembre dernier, axé sur les termes de co-développement de l’infrastructure. Deux étapes clef dans la mise en œuvre du projet.
Pour parler de ce projet censé contribuer de manière considérable à la transformation de l’économie guinéenne, Africaguinee.com a été reçu, ce mardi 21 février 2023 par le Président du Conseil d’Administration de Rio Tinto Simfer. Gerard Rheinberger a répondu aux questions de votre quotidien électronique. Entretien exclusif !
AFRICAGUINEE.COM : Votre compagnie, détentrice des blocs 3 et 4, est un acteur clef dans le développement de Simandou. Sept mois se sont écoulés depuis la signature de l’accord avec les autorités guinéennes pour la mise en place de la co-entreprise. Où est-ce qu’on en est dans la mobilisation des ressources ?
GERARD RHEINBERGER : Effectivement, Rio Tinto Simfer est détenteur des blocs 3 et 4 de Simandou avec 53%. Notre partenaire Chinalco détient 47% des blocs. Depuis la signature de l’accord pour la création de la co-entreprise, qui est une étape importante dans la mise en œuvre du projet, il y a eu une autre étape importante, avec la signature d’un acccord commercial non-contraignant (non-binding term sheet)- en décembre 2022 par le gouvernement et les autres partenaires établissant une entente de principe sur les termes de co-développement de l’infrastructure.
Nous travaillons actuellement avec notre partenaire Winning Consortium Simandou (WCS) pour finaliser les documents du projet. Nous espérons pouvoir les signer avant la fin de ce mois. C’est le délai qui nous a été donné par le gouvernement. Nous travaillons d’arrache-pied pour pouvoir finaliser toutes les négociations autour du projet afin d’envisager la reprise des travaux de construction des infrastructures mi-mars.
Tous les partenaires de ce projet ont une grande volonté d’aller de l’avant. Aussi bien Rio Tinto, WCS que le gouvernement ou les autres partenaires industriels, dont Baowu et Chinalco. Et, nous sommes très engagés à aller de l’avant sur ce projet.
Complément d’information :
· L’accord de principe signé en décembre de l’année dernière a marqué une étape importante en établissant les principes de co-investissement et de co-développement pour le système d’infrastructure, y compris les chemins de fer et les ports. Nous travaillons dur – avec nos partenaires et le gouvernement guinéen – pour parvenir à des accords définitifs sur cette base. · Je tiens à souligner que même si les négociations ont progressé, nous avons travaillé dur sur le terrain. Du côté de Rio Tinto Simfer, nous avons travaillé dur pour faire avancer notre partie du projet afin de pouvoir passer à la vitesse supérieure dès que les accords finaux seront en place.
· Notre première priorité est notre personnel et les premiers travaux que nous avons lancés sont la modernisation et l’agrandissement de nos installations sur le camp de notre site minier à Canga, pour garantir que la grande main-d’œuvre nécessaire à la construction de la mine et des infrastructures connexes pourra vivre en toute sécurité et dans des conditions confortables. Deux entreprises guinéennes travaillent sur ce projet dans le cadre d’un contrat de 10 millions de dollars (plus de 85 milliards de franc guinéens).
- Nous avons également débuté les travaux de construction de la liaison ferroviaire de la mine de Rio Tinto Simfer à la voie ferrée principale de la Compagnie du TransGuinéen (CTG), ce qui permettra d’assurer l’acheminement du minerai de fer de Simandou.
Pour votre société ce projet minier, considéré comme le plus grand actuellement au monde, est « d’intérêt stratégique ». Pourquoi est-il si important pour vous ?
Rio Tinto est la première ou la deuxième compagnie minière au monde. Depuis l’Australie, nous produisons et exportons 330 millions de tonnes de fer par an. Il se trouve que Simandou a un fer de très grande qualité. C’est un produit que nous n’avons pas dans nos différents projets et nous tenons aujourd’hui à le développer.
Le fer de Simandou est vraiment spécial parce qu’il a une teneur en fer de 64%. Ce qui le rend encore plus spécial, c’est qu’il a une empreinte carbone très faible pour sa production. Nous sommes dans un monde en pleine décarbonisation. D’où l’importance d’utiliser le fer de Simandou qui joue un rôle très important dans le processus de décarbonisation de la fabrication de l’acier que l’on cherche aujourd’hui dans le monde,. Il permettra d’arriver à zéro carbone dans la production de l’acier.
La décarbonisation est aujourd’hui l’un des piliers stratégiques de Rio Tinto, c’est pourquoi Simandou s’intègre parfaitement dans la stratégie globale de la compagnie étant donné que le fer produit à partir de Simandou contribuera largement à la décarbonisation.
Sur l’aspect environnemental, quelle approche la compagnie mettra-t-elle en œuvre dans la sauvegarde de l’écosystème d’autant plus que c’est un projet gigantesque qui se trouve dans une zone où la biodiversité est considérée comme étant en danger ?
Le deuxième pilier stratégique de Rio Tinto aujourd’hui, consiste à mettre en place une gouvernance environnementale et sociale irréprochable. Vous avez raison de souligner que Simandou se trouve dans une zone sensible. La biodiversité est sensible et cette sensibilité nous la retrouvons sur tout le corridor.
Nous sommes une société qui est cotée en bourse. Et, nos actionnaires nous tiendrons pour responsables si nous ne réalisons pas ce projet en appliquant les normes de gouvernance sociale et environnementale adéquates.
Nous avons passé ces 15 dernières années à faire des études, collecter des données sur les communautés locales, l’environnement local du projet, en incluant notamment la population des chimpanzés. Nous avons conceptualisé, repris le design de nos mines pour pouvoir éviter les habitats de chimpanzés. Plus récemment, nous avons identifié une partie de la forêt dont la biodiversité est unique. Nous avons redessiné et reconceptualisé notre projet pour pouvoir éviter cette partie de la forêt. Nos opérations sont conçues pour minimiser notre impact sur l’environnement, sur l’eau et pour faire en sorte que nous puissions minimiser notre impact sur la biodiversité de manière générale.
Dans tout ce processus, nous tenons à être transparent dans la manière dont nous gérons l’environnement. Donc, toutes les données que nous collectons, toutes nos performances en matière de gestion environnementale font l’objet de rapports qui sont transmis au gouvernement et publiés au niveau international. Les défis sont importants mais je n’ai aucun doute que nous pouvons les relever.
Les différents gouvernements (celui actuel y compris) qui se sont succédé à la tête de l’Etat guinéen ces dernières années comptent sur ce projet pour accélérer la transformation de l’économie guinéenne. Quelle va être la partition de Rio Tinto dans la concrétisation de cette ambition ?
La co-entreprise, y compris du côté guinéen, est structurée de telle sorte que le Gouvernement de la Guinée détient les 15%, notre partenaire WCS détient 42,5% et Rio Tinto 42,5%. A noter que les partenaires industriels que sont Rio Tinto et WCS supportent les 100% du financement avec leurs partenaires respectifs, dont Baowu et Chinalco.
C’est un projet énorme. C’est le projet minier sur le plan infrastructurel le plus important de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest et de la Guinée. Sur le plan international, c’est un projet très important.
Dans la transformation de l’économie guinéenne, quelle va-être concrètement la partition de Rio Tinto Simfer ?
Une de nos priorités en tant que partenaire de la co-entreprise, c’est le contenu local. Donc, nous nous engageons à respecter la loi sur le contenu local qui a été adoptée en septembre dernier. Pour nous, le contenu local est très important, c’est plus qu’une question d’emploi. Bien évidemment les emplois sont tout aussi importants, mais pour nous, il s’agit de développer des opportunités d’affaires locales qui permettent de contribuer à l’éclosion d’activités industrielles, et d’opportunités pour les communautés et pour le secteur privé guinéen dans le pays.
Quand on voit le corridor du chemin de fer et toutes les zones qu’il traverse, il y a des opportunités de développement à travers le transport de marchandises ou encore de personnes, de biens, de produits etc. Cela offre des opportunités incroyables notamment dans le domaine de l’agriculture. La Guinée est un pays au potentiel agricole très important. L’une des problématiques est le transport des biens à travers le pays. Le seul fait qu’il y ait ce corridor et ce chemin de fer, apporte déjà une partie de la solution et énormément d’opportunités.
En matière de transfert de compétences, et de formation de la main d’œuvre locale, qu’est-ce que votre compagnie prévoit concrètement ?
Nous avons, en termes de formation, le centre de formation professionnelle de Beyla que nous sommes en train d’accompagner en ce moment. Ce centre a le potentiel de former plus de 200 personnes par an. Nous mettons beaucoup l’accent sur la formation auprès des communautés locales. Ce sont des formations dans différents domaines liés aux métiers des opérations minières. Ces bénéficiaires seront capables de répondre rapidement aux besoins importants des différentes sociétés minières qui évoluent dans le sud-est de la Guinée, leur facilitant ainsi l’accès à l’emploi. Cela peut être également être des formations sur l’agriculture ou d’autres secteurs d’activités que nous pensons utiles aux communautés. De manière générale, nous explorons avec le gouvernement de la Guinée d’autres potentielles formations qui peuvent apporter beaucoup aux communautés et qui peuvent apporter une valeur ajoutée à la Guinée.
En matière d’approvisionnement, vous savez par exemple que les travailleurs des mines portent des uniformes. L’objectif est de faire en sorte que ces uniformes soient produits ici, et achetés au niveau local. Cela permettra de créer une chaîne de valeur, et donc des opportunités d’affaires pour les entrepreneurs locaux.
Nous donnons à tous nos contractants et sous-contractants, des objectifs à atteindre en matière de contenu local, objectifs que nous suivons et mesurons de manière régulière.
Rio Tinto a déjà développé de nombreux projets miniers à travers le monde ce qui lui permet d’avoir une solide expérience dans le développement du business autour de la mine. Cette expérience, nous l’avons déjà vécue par exemple en Mongolie où nous avons réussi à maximiser le contenu local avec succès. Nous savons comment le faire. Une partie de l’équipe qui était en Mongolie et qui a pu réaliser cela, a été amenée ici pour partager son expertise et réaliser le même processus, afin d’aboutir au même succès.
Le contenu local est extrêmement important pour nous, autant qu’il l’est pour le gouvernement de la Guinée. Donc, nous pensons que ce projet peut apporter beaucoup d’opportunités aux entreprises guinéennes, aussi bien dans la phase de développement, de construction du projet que dans la phase d’opération. Sachant que c’est un projet qui va durer une soixantaine d’années. Il bénéficiera aux Guinéens sur plusieurs générations.
Le constat révèle qu’à chaque fois qu’un projet de ce genre arrive dans un pays, il y a un flux migratoire qui vient s’installer autour de la mine. Qu’est-ce que Rio Tinto est en train de faire pour gérer de telles éventualités ?
C’est une question pertinente. Les migrations sont à la fois un risque et une opportunité. Opportunité parce que partout où il y a migration, il y a développement. Nous voulons que toute cette migration puisse bien être gérée et encadrée par la communauté.
Pour gérer cela, nous avons fait venir des experts internationaux de la migration qui viennent travailler sur le projet. Nous avons développé un plan d’atténuation de la migration. Ce qui est sûr, un projet comme celui-là va attirer de la migration, mais nous comptons beaucoup sur les communautés locales et nous travaillerons de concert avec elles pour pouvoir gérer ce phénomène.
L’année dernière quand nous avons discuté du projet avec le conseil d’Administration de Rio Tinto et le bureau exécutif, la migration est l’une des questions qu’ils ont voulu vraiment comprendre de manière approfondie. C’est une question qui est central pour nous.
Certains accusent Rio Tinto et même votre partenaire Winning Consortium Simandou (WSC) de trainer les pas dans la mise en œuvre de ce projet. Qu’avez-vous à dire comme message d’assurance aux guinéens qui attendent beaucoup de ce projet ?
Rio Tinto a travaillé pour la première fois sur Simandou en fin 1999. L’échelle de ce projet est extrêmement large et une seule compagnie ne peut pas le réaliser seul. Nous avons un consortium qui regroupe : la meilleure compagnie minière au monde : Rio Tinto ; le plus grand producteur d’acier au monde, China Baowu et une compagnie comme WCS qui est très forte en exécution de projets.
Ce projet est très complexe. Mais nous sommes confiants, car nous regroupons tous les ingrédients en termes de partenariat pour y arriver. C’est un projet infrastructurel important pour le groupe. 650 Km de chemin de fer à construire, deux ports qui doivent exporter 120 millions de tonnes produits dont 60 millions par port. C’est pour vous dire que c’est un projet dont la complexité est assez importante.
Rio Tinto a 15 mines de fer en Australie, et une au Canada. Ce projet sera le plus large au monde. Il est très important qu’il soit développé correctement , mais j’ai particulièrement confiance parce qu’en ce moment, nous avons le bon partenariat, le bon financement et le marché est favorable à la production de ce fer.
Fin janvier, la présidence guinéenne a annoncé citation : « China Baowu, WCS et Rio Tinto se sont engagés pour le redémarrage effectif des travaux de construction en mars 2023 sous réserve de la finalisation des négociations des documents du projet au plus tard le 28 février 2023 ». Ce rendez-vous est-il tenable à votre avis ?
Les discussions avancent plutôt bien. En décembre, nous avons signé les accords commerciaux Term sheet. Ces accords sont une base importante pour les négociations que nous avons aujourd’hui. Ces négociations continuent mais elles sont complexes et c’est dû à la complexité du projet même. Mais je suis très confiant sur le fait que nous allons y arriver très rapidement.
C’est un investissement de 15 milliards de dollars, cela n’arrive pas facilement comme ça sur du papier. Donc, nous avons besoin d’avoir un accord qui soit très clair, bien formulé entre tous les partenaires.
Notre concession minière dure 35 ans, ce document doit pouvoir engager ce gouvernement mais également tous les gouvernements qui viendront jusqu’aux prochaines décennies. Nous devons bien faire les choses maintenant pour que ce projet connaisse du succès pour des décennies.
L’autre volet, c’est par rapport à la cohabitation de votre entreprise avec les communautés locales (impactées). Souvent ce n’est pas facile. Comment comptez-vous y prendre ?
Tout dépendra de nous. Cela dépendra de comment nous travaillons avec les communautés. Pour nous, la manière dont nous mènerons nos opérations est aussi importante que la manière dont nous gérons nos relations avec les communautés. Donc, si nous travaillons bien avec les communautés, elles seront notre protection. C’est une chose très importante, si nous y arrivons, c’est la communauté elle-même qui va nous protéger.
Votre mot pour clore cette interview…
Ce projet est une grande opportunité pour la Guinée, pour Rio Tinto et pour tous les partenaires. Nous croyons que le moment est arrivé (de le développer) parce que tous les ingrédients sont réunis pour que le projet se fasse bien. Nous avons confiance que les discussions en cours aboutiront très prochainement pour que le projet soit définitivement lancé. Nous savons qu’il y a eu beaucoup de déception par le passé, par moment, mais nous pensons que cette fois-ci sera la bonne et nous y croyons.
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1 &
Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 655 311 11 12