Abdallah Sow tire la sonnette d’alarme : « Beaucoup de filles meurent en Égypte… »
LE CAIRE- Située en Afrique du Nord, la République Arabe d’Égypte accueille une forte communauté guinéenne. Au moins 7000 guinéens sont installés dans le pays des Pharaons et sont presque dans tous les secteurs d’activités. Certains sont étudiants, d’autres travaillent dans les télécommunications ou encore dans les ménages. Quelles sont les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans cet Etat de 109 millions d’habitants ? Que fait le Conseil des guinéens face au trafic d’être humain ? Qu’est-ce qui est à l’origine des décès touchant notamment les filles ? Abdallah Sow, le nouveau président du conseil des guinéens d’Égypte a répondu aux questions d’Africaguinee.com.
AFRICAGUINEE.COM : Vous avez été élu récemment président du Conseil des guineens d’Égypte. Quelles sont vos impressions ?
ABDALLAH SOW : Je commence par vous remercier Monsieur Bah, pour l’intérêt que vous portez au quotidien sur nos compatriotes vivants en Égypte. Pour revenir à votre question, l’élection s’est bien passée. Les candidats aux différents postes sont bien connus au sein de la communauté pour leur disponibilité et leur dévouement pour la cause des guinéens. En ce qui concerne ma personne, j’ai été plébiscité par la communauté guinéenne.
J’étais le seul candidat pour le poste de Président. La communauté m’a récompensé en me laissant librement briguer la présidence du conseil des guinéens pour la mandature 2022-2026. D’ailleurs, je profite de cette occasion pour remercier mes compatriotes pour la confiance placée en ma modeste personne. Pour ce qui est du fonctionnement de l’institution, elle fonctionne comme toute autre institution,mais sous la direction du ministère des affaires étrangères et des guinéens établis à l’étranger et de l’Ambassade de la République de Guinée au Caire. C’est une institution qui a une quinzaine de secrétariats avec un bureau de neuf (9) personnes au Soudan qui représente un des ses points. Le Soudan relève de la représentation diplomatique de Guinée au Caire.
Avez-vous une idée sur le nombre de guinéens vivants en Égypte ?
Le nombre de Guinéens vivants en Égypte est estimé à plus de 7000. Ils sont établis dans différents quartiers du Caire et d’Alexandrie. Certains travaillent dans des centres d’appels, d’autres dans les ménages, une autre catégorie de guinéens travaille dans les usines et les restaurants.
Ces dernières années des tristes nouvelles nous parviennent au pays. C’est notamment des décès en cascades. Qu’est ce qui explique cette situation ?
Oui monsieur Bah ! C’est la triste réalité que nous vivions au Caire. Permettez-moi de saisir cette occasion pour présenter mes condoléances à toutes les familles qui ont perdu un proche en Égypte. Chaque année, nous enregistrons des cas importants de décès dans notre communauté. Cela est dû à plusieurs facteurs. Il y a des cas de maladies graves causées par les travaux pénibles que certaines filles font dans ce pays.
La plupart d’entre elles sont envoyées par d’autres compatriotes pour travailleur sous contrat. Quand elles tombent malades, les tuteurs ou tutrices les abandonnent à elles-mêmes. Certaines deviennent folles sous l’effet du travail. Comme ici, il n’y a que des immeubles, certains arrivent à tomber et meurent. D’autres meurent à cause des avortements mal faits suite à une grossesse non désirée. D’autres sont victimes de l’automédication. Je profite de cette occasion pour demander au gouvernement de nous venir en aide pour la prise en charge des personnes malades.
Quel est le nombre exact de guinéens décédés en Égypte ?
L’année dernière, il y a eu une vingtaine de Guinéens décédés. Plusieurs d’entre eux, les corps ont été rapatriés. Je vous partage la liste des guinéens en majorité des filles et des femmes décédées ici courant 2022 au nombre de 21. Il s’agit de :
1-Aissata Bangoura
2-Nafissatou Youla
3-Makoura Fofana
4-Heriette Youla
5-Aissata Cissé
6-Housseinatou Condé
7-Fatoumata Yarie camara
8-Maimouna Camara
9-Makoya Cissé
10-Marie Bilivogui
11-Hawa Sylla
12-Aissata Kalabane
13-Ibrahima Diallo
14-Bafofe Mabintygbe Soumah
15-Tolno Komba Esther
16-Mohamed Sylla
17-Johana Tall
18-Bamba Alhassane
19-Mohamed camara
20-Makoura Kourouma
21-M’Balou Kourouma
En général comment arrivez-vous à résoudre les différends qui naissent entre nos compatriotes surtout entre ceux qui envoient des filles en Egypte ?
En fait, pour permettre à l’ambassade de jouer son rôle régalien pleinement, nous nous sommes partagés les tâches. Le conseil des guinéens d’Égypte s’occupe de tout ce qui est communautaire, nous agissons en étroite collaboration avec l’ambassade si nous sommes bloqués, ou bien si on n’arrive pas à trouver des solutions.
C’est en ce moment qu’on fait appel à l’Ambassade qui, à son tour prend le dossier en charge avec nos rapports. Au conseil, nous sommes formels là-dessus. En 2017, nous avions pris une décision ferme contre ceux qui envoient les Guinéens pour les exploiter. N’ayant pas tous les moyens à notre disposition, le fléau et ses corollaires continuent à nous défier.
Comment les guineens se mobilisent-ils pour aider leurs compatriotes en difficulté ?
La mobilisation est faite à travers le bureau exécutif du conseil des guinéens d’Égypte. Nous nous réunissons pour examiner la situation, si elle nécessite une mobilisation financière, c’est par des cotisations volontaires que la communauté intervient. Nous avons des plateformes wattsap, Facebook et Imo dans lesquelles nous lançons les informations, mais pour mieux coordonner tout ça, le bureau exécutif du conseil a ses antennes dans tous les coins de l’Égypte où vivent nos compatriotes.
Est ce qu’aujourd’hui il y a des guinéens qui soient en conflit avec la loi ou qui sont en prison?
Oui, il ya des compatriotes en conflit avec l’autorité égyptienne. En général, ce sont des compatriotes qui n’ont pas de titre de séjour. Souvent des compatriotes tombent dans les mailles de la police. À l’heure où je vous parle, il y a une guinéenne qui attend le jour de son expulsion. Son billet d’avion est déjà acheté. Deux autres filles attendent leur billet retour en Guinée. Il y a trois autres personnes qui viennent d’être arrêtées dont les démarches ne sont pas encore finies. Donc, au total il y a six (6) personnes.
Est-ce qu’il y a des domaines où des guinéens excellent en Égypte ?
Bien sûr que oui. Il y a beaucoup de nos compatriotes qui sont bien placés dans des entreprises. Dans plusieurs mosquées en Égypte, ce sont des guinéens qui dirigent la prière surtout lors du mois saint de ramadan. Il y a un compatriote qui s’appelle Camara qui est superviseur dans une des plus grandes compagnies de télécommunications en Égypte (XCEED). Il ya d’autres qui sont des gestionnaires, des formateurs. Il y a même des guinéens qui enseignent dans les écoles et centres de formation égyptiens.
Est-ce que vous vous adressez de temps en temps aux parents qui laissent leurs fils surtout les filles partir en Égypte ?
Nous leur parlerons sans sans langue de bois. La solution c’est de ne pas laisser les jeunes quitter le pays. S’il n’y a vraiment pas d’objectif qui accompagne le voyage, il n’y a pas mieux que chez soi. Pour le cas particulier d’Égypte, si ce n’est pas pour les études, le foot ou le travail (des hommes) je déconseille les parents de laisser leurs filles venir. Ici on a enterré beaucoup de filles guinéennes qui viennent dans le cadre du travail, mais qui n’arrivent pas à tenir le coup. Sous l’effet du poids du travail, elles décèdent. C’est vraiment triste. Je demande aux parents de veiller aux filles de ne pas les laisser venir en Égypte.
Ces derniers temps certains guinéennes rentrent volontairement au pays. Comment vous arrivez à les convaincre ?
C’est vrai ! beaucoup de Guinéens d’Égypte sont là depuis des années sans situation, d’autres viennent d’arriver et dans chaque catégorie, nous utilisons une approche qui lui est favorable pour l’encourager de rentrer au pays. Il ne fait plus bon vivre en Egypte avec la chute du livre (monnaie locale égyptienne) face au dollar américain. Avant tu pouvais avoir un travail où tu peux gagner 400 à 500$ , mais aujourd’hui avoir un lieu de travail qui paye 150$ est difficile à obtenir. Imaginez que tu payes tes factures mensuelles qui sont soit 150$ ou plus , il ne te restera rien. Alors à quoi bon de vivre dans ce pays là maintenant ? La demande de certains guinéens qui veulent rentrer est reçue.
Certains ont compris qu’il n’y a plus rien à faire ici. D’ailleurs je profite de votre question pour demander au gouvernement de nous venir en aide financière afin que nous puissions aider nos compatriotes qui n’ont pas les moyens pour retourner en Guinée. Nous avons une très bonne coopération avec l’OIM (organisation internationale pour les migrations) qui répond souvent à nos demandes. Elle nous aide dans le cadre des retours volontaires au pays, dans la prise en charge des concitoyens malades. Elle nous invite également à des séminaires formation. À côté, le conseil des guinéens d’Égypte aussi fait de son mieux pour aider. En plus des aides financières, nous donnons des conseils aux candidats. Une fois que tout est mis en place, la personne est accompagnée par le bureau exécutif du conseil des guinéens d’Égypte jusqu’à l’aéroport.
Un dernier mot ?
Les guinéens de la diaspora veulent voir notre pays aller de l’avant. Nous voulons avoir la chance en tant que guinéens de l’étranger, de rentrer pour servir le pays. Renforcer les liens d’amitié et de fraternité avec les pays hôte dans tous les domaines pour que les bénéfices soient profitables aux différentes communautés guinéennes de l’étranger en particulier ma communauté d’Égypte. Je profite de votre question pour appeler à la mise en place du haut conseil des guinéens de l’étranger qui va beaucoup aider les Guinéens de la diaspora à s’organiser pour participer activement au développement socioéconomique du pays de façon formelle.
Interview réalisée par Alpha Ousmane Bah
Pour Africaguinee.com
Tel : (+224) 664 93 45 45
Créé le 21 février 2023 17:25Nous vous proposons aussi
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