Crise à la SOGUIPAH : Les révélations de l’ancien ministre Boubacar Barry…
CONAKRY-La société guinéenne de palmier à huile et d'hévéa (SOGUIPAH), traverse depuis quelques années une crise. La direction et la plupart des travailleurs (planteurs, transporteurs, ouvriers) ne conjuguent plus les mêmes verbes depuis quelques temps au sein de cette unité industrielle, la plus grande de la Guinée forestière. Accusé de s’être rendu coupable de malversation financière, Michel Béimy nommé en février 2019 a été limogé récemment.
Notre rédaction est allée à la rencontre de M. Boubacar Barry, l'ex ministre de la pêche et de l'élevage de la République de Guinée entre 1996 en 1999. Ce cadre guinéen fait partie des premiers décideurs qui ont assisté à l'implantation de la SOGUIPAH. Il a servi à la SOGUIPAH depuis son implantation entre 1986-1887 avant d'être nommé ministre. Selon lui, le problème de la SOGUIPAH n'est pas lié au changement de son leadership. Le mal est plus profond. Il faut, selon lui, un audit global sur le plan technique, administratif et financier, pour apporter des correctifs vigoureux, pour pouvoir relancer ce fleuron de l’industrie guinéenne. Il fait des recommandations pertinentes pour aider cette société à se relever.
AFRICAGUINEE.COM : Vous avez servi durant 10 ans à la SOGUIPAH. Parlez-nous cette de cette unité industrielle…
BOUBACAR BARRY : Cette unité agro-industrielle a connu des hauts et des bas. J'ai eu l'occasion de suivre ça plus ou moins directement parce que la SOGUIPAH est une société à laquelle j'ai contribué énormément pour la création et la gestion. Au fil des années, j'ai eu à constater un certain nombre de disfonctionnement et de problème de gestion.
Parlez-nous du processus de création de cette société…
Je suis rentré à la SOGUIPAH à la date de sa création, même un peu avant. Puisque je faisais partie de la première équipe qui était venue en Guinée pour négocier une convention pour la mise en place de cette société à partir de 1985, 1986. Mais la société a été officiellement créée à partir de 1987. Donc, de 1986 à 1996, j'étais à la SOGUIPAH. Après les études de faisabilité, nous avons pu valider le plan de financement des différents bailleurs de fonds. Ça été dans un premier temps avec la caisse centrale de développement économique, l'institution bilatérale de financement français, devenue aujourd'hui Agence Française de développement. Par la suite, on a eu un financement avec la Banque Africaine de Développement notamment le fonds africain de développement. Nous avons eu le financement du fonds européen de développement pour le volet plantations famille, ensuite il y a eu le financement des industries, l'huilerie par la banque européenne d'investissement. Donc, toutes ces périodes c'était la phase de construction de la SOGUIPAH en tant que telle.
Le plan de financement a permis effectivement de réaliser toutes les infrastructures, tous les investissements identifiés, que ce soit au niveau des plantations, que ce soit au niveau des infrastructures d'habitation, des infrastructures industrielles. C'était une phase assez extraordinaire en terme de challenge parce que Diécké, c'est au fin fond de la Guinée, où on approvisionnait la SOGUIPAH à partir de la Côte d'Ivoire et du Libéria. C'était les moyens d'entrée à Diécké, puisque le réseau routier à partir du port de Conakry était impraticable à l'époque.
De nos jours cette société traverse une crise très aiguë. Quelle analyse en faites-vous ?
La SOGUIPAH est une société d'Etat, le président du conseil d'administration, c'est le ministre d'agriculture, et un certain membre du conseil, c'est le ministère du plan, le ministère des Finances, de l'industrie etc. Malheureusement, le management dans sa globalité n'a pas pu anticiper sur ce qui devrait être une société agro-industrielle. Il y a toute la phase d'investissement qui est importante, qu'il faut encadrer, mais après on a eu ce qu'on appelle la phase de renouvellement. On parle quand-même non seulement d'équipements qu'il faut renouveler, mais aussi de plantation qu'il faut renouveler qui ont une durée de vie dans le temps. Donc, il faut anticiper avant que les plantations n'arrivent à leur durée de vie. Pour les plantations de palmiers ou les plantations d'hévéas, il faut pouvoir déjà commencer à faire de l'anticipation, pourque la société soit dans la pérennité. Qu'il n'y ait pas d'interruption et de rupture. Parce que, plus les plantations vieillissent, plus leurs rendements baissent. Plus les équipements vieillissent, ils ne sont pas renouvelés, plus il y'a des pannes techniques. Donc, il s'agit dans un contexte comme celui-là, il faut faire des investissements nécessaires pour l'extension des plantations, avoir un outil important.
Par type de comparaison, quand vous prenez le plan palmier de Côte d'Ivoire, on a réalisé entre 15-20 ans, 100.000 hectares, dont 60.000 de plantations familiales, vous prenez dans le domaine de l'hévéa plus de 40.000 hectares, à côté au Libéria, on était dans les alentours de 45.000 à 50.000 hectares, la Guinée avec SOGUIPAH, on est resté autour de 10, 12, ou 15.000 hectares. Bien qu'on avait une concession de 25.000 hectares. L'objectif c'était vraiment de développer toute la filière, au niveau de l'ensemble de la Guinée forestière, qui était la zone la plus favorable, la plus propice. Mais il n'y a pas eu d'anticipation. On s'est laissé surprendre par rapport à la vieillesse des équipements et des plantations, on n'a pas fait des extensions nécessaires, surtout on n’a pas anticipé sur la nature du partenariat. Une fois que tous les investissements sont réalisés, il fallait passer à une étape de partenariat public-privé.
Michel Béimy l'ex directeur vient d'être limogé. Mais à vous écouter, le problème de la SOGUIPAH ne se limite pas là…
Écoutez, ce n'est qu'un processus. Avant lui, on avait constaté aussi des disfonctionnements avec l'ancienne directrice. Donc, c'est un secret de polichinelle. On ne s'est pas adressé directement au problème structurel de la société, on a fait que gérer les circonstances ou la conjoncture. Changer les hommes quand les fondamentaux de l'entreprise ne sont pas réglés, en ce moment-là quelque soit la nature du management au niveau de la direction générale, je ne pense pas que ça puisse aboutir à un bon résultat. Donc, il aurait fallu faire véritablement, après avoir constaté la crise, un audit global. Que ce soit sur le plan technique, administratif et financier, et apporter les correctifs vigoureux, pour pouvoir relancer cette unité industrielle qui devrait à mon avis être une fierté au niveau guinéen. Mais malheureusement le manque de décision lié aux difficultés structurelles, nous amène à cette situation où on va continuer à faire du pilotage à vue, sans s'adresser à la question de fond.
La situation des ristournes préoccupe énormément les planteurs de la SOGUIPAH de nos jours. Qu’en savez-vous ?
Dans le processus qui avait été mis en place, il y avait un réel volet de développement local, que la SOGUIPAH dans sa conception, avait mis en place. C'est ce qu'on a appelé les plantations industrielles liées directement à l'activité agro-industrielle de la société. Et puis des plantations familiales apportant l'expertise de la société industrielle à l'ensemble des planteurs de la zone. Les initier, encadrer, accompagner, leur fournir toute l'expertise nécessaire, pour qu'ils développent l'outil végétal de grande qualité. Que ce soit au niveau des intrants comme des semences, que ce soit des engrais, que ce soit l'encadrement pour les techniques agricoles, tout ça c'était le soutien que la SOGUIPAH industrielle devait apporter aux planteurs familiaux.
Effectivement dans ce cadre-là, un fonds de développement avait été identifié, qui devait être prélevé sur les ventes des planteurs familiaux. C'est une sorte d'accompagnement sous forme de prêt, on vous préfinance une campagne, et là c'est une campagne sur plusieurs années. Et quand vous commencez à récolter, vous vendez à l'usine, à la société industrielle qui prélève en ce moment-là, l'avance qui vous a été accordée. Mais cette avance qui doit être logée dans un fonds permettrait évidemment de faire face à ces questions sociales. Notamment, des dispensaires, des écoles, des pistes et pourquoi pas une sorte d'épargne, pour éviter que les planteurs ne gaspillent leur épargne. Du coup, effectivement des revenus importants se créaient dans une zone où les gens n'étaient pas habitués à gérer des grands montants. Donc, il fallait cet accompagnement, ce partenariat entre les parties. J'imagine que c'est de cela qu'il s'agit et effectivement la destination de cette ristourne, à la source c'était d'accompagner le développement de toute la localité dans son ensemble, au profit des populations.
Selon vous qu’est-ce qu’il faut pour relancer cette usine ?
Je pense qu'il faut vraiment faire un pont d'arrêt, faire une sorte d'audit de manière indépendante, pour évaluer. Que ce soit au niveau des aspects techniques, des aspects administratifs et des aspects financiers de SOGUIPAH, il faut tout passer au peigne fin. Il y a encore une menace supplémentaire qui s'ajoute, on parle que des partenaires techniques. Sofinco a décidé de se retirer de la société au plus tard à la fin de l'année. Sofinco apportait quand-même un certain soutien en terme d'expertise parce que c'est une société qui est spécialisée dans la création et la gestion des complexes agro-industrielles.
Donc, Sofinco apportait une sorte d'appui à la commercialisation. Ça veut dire que ça c'est une menace supplémentaire, il faut vraiment prendre le temps de faire sérieusement cet audit et voir comment réorienter la société, pour essayer sur la base de cet audit et des recommandations, apporter des corrections nécessaires et surtout chercher à identifier un partenaire stratégique dans le cadre des PPP. Un partenariat public-privé.
La vocation de la société au départ, c'était de mettre l'outil d'accompagner des planteurs, et ce n'est pas du tout une sorte d'échec que d'ouvrir ce partenariat à des sociétés spécialisées que ce soit des partenaires qui existent déjà en Côte d'Ivoire. Il y'a plein de sociétés qui gèrent des complexes agro-industrielles dans le cadre du palmier à huile et de l'hévéa. Vous en avez au niveau du Libéria. Donc, tout ça dans un environnement sous-régional peut permettre de faire des accords, pour aider à la production en Guinée, les transformer sur place éventuellement et les intégrer dans une sorte de marché sous-régional -Libéria, Côte d'Ivoire, Guinée-.
Interview réalisée par SAKOUVOGUI Paul Foromo
Correspondant régional d'Africaguinee.com
A Nzérékoré.
Tél : (00224) 628 80 17 43
Créé le 11 juin 2022 20:26Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: Boubacar Barry, Interviews