Issa Diallo, vice-consul de Guinée en Ukraine : « Comment les guinéens vivent la guerre… »

ISSA SADIO DIALLO, vice-consul de Guinée en Ukraine

KIEV-C’est un témoignage inédit sur le quotidien des guinéens en Ukraine, agressée par la Russie depuis plus d'un mois. Depuis 12 ans, Diallo Issa Sadio est le vice-consul de Guinée en Ukraine. Il est également le président du conseil des guinéens de l’Étranger du pays éponyme. Avec sa femme, ses deux enfants, sa belle-mère, deux belles-sœurs… M. Diallo vit à Kiev, la capitale de l’Ukraine qui résiste encore aux forces russes.


Dans cette interview accordée à notre rédaction, il raconte son quotidien avec sa famille ainsi que celui des autres guinéens qui sont restés malgré la guerre. Originaire de Labé, le vice-consul revient aussi en détail sur le partage de l’aide humanitaire que l’État guinéen a accordé aux guinéens impactés par le conflit. Dans la première partie de l’interview, M. Diallo qui vit depuis 36 ans en Ukraine, fait des confidences inédites sur l’invasion russe.

 

AFRICAGUINEE.COM : Ça fait déjà un mois depuis que l’armée russe a envahi l’Ukraine. Quel est l’état des lieux à Kiev qui résiste encore à l’invasion russe ?

ISSA SADIO DIALLO : Depuis la nuit du 23 au 24 février 2022, comme vous le savez, il y a eu cette agression de la fédération de la Russie contre le territoire ukrainien. On se rappelle encore de ce jour.  Vers 5 heures du matin, nous avons entendu des détonations lourdes qui ont réveillé tout le pays en sursaut. Depuis cette date, c’est la peur, c’est les stress, les gens courent de la maison vers les bunkers ou les sous-sols ensuite rester terrés à la maison avec un couvre-feu total. Les mouvements sont strictement limités. En cas de déplacements, il y a des fouilles très strictes. Ce sont des épreuves difficiles que nous traversons. Ça c’est la situation générale du pays.

Là où je suis dans Kiev, nous avons eu beaucoup plus de chances par rapport aux autres villes. Pour le moment, dans la capitale les forces de défense et de sécurité, les comités d’autodéfense résistent comme ils peuvent avec des volontaires qui viennent les accompagner. Ils ont protégé la ville de telle sorte que les forces terrestres de la Russie n’ont pas pu pénétrer la ville. Mais il y a eu beaucoup de tentatives avec les chars et les blindés. Des missiles sont tirés. Bien que la majeure partie soit interceptée, malheureusement certains missiles ont fait assez de dégâts matériels et humains dans la capitale Kiev.

Malgré les bombardements, nous apprenons qu’il y a des guinéens, comme vous, qui restent encore dans ce pays avec tous les risques. Racontez-nous votre quotidien…

Effectivement, il y en a encore certains de nos compatriotes qui sont actuellement en Ukraine. Comme vous le savez, quel que soit les difficultés et ses effets, certains vont rester sans bouger. Nous avons beaucoup de guinéens encore sur place. Ils sont en deux catégories. Il y a des familles 100% guinéennes qui sont arrivées ici il y a plus de 40 ans pour certaines. Il y a des guinéens qui vivent en Ukraine depuis les années 1978, d’autres un peu plutôt que cette année. Ces familles ont déjà des enfants et des petits-enfants. Ils vivent tous ici. Il y a également d’autres qui sont venus récemment qui ont aussi fondé des familles. Parmi eux, il y a des étudiants. A l’origine, presque tout le monde est venu pour des raisons d’études, mais ils sont restés pour des raisons de famille, de travail, de business et autres. Nous sommes en contact avec eux, nous échangeons au téléphone et sur les réseaux sociaux.

L’autre catégorie, ce sont des familles mixtes, c’est-à-dire des guinéens mariés à des ukrainiennes, ils ont fait des enfants. Ces enfants sont considérés comme des guinéens. Ces couples aussi sont toujours là avec leurs enfants et leurs épouses ukrainiennes. Cette catégorie aussi, nous avons leurs renseignements.  Avant le début de la guerre, on connaissait exactement où ils étaient sur le territoire ukrainien. Mais il y a eu beaucoup de mobilités depuis le début de la crise. Avec la connexion internet, approximativement on connait leur position. Les liens sont toujours là.

A l’instar des autres, le quotidien n’est pas facile pour les guinéens ici. Tout le monde est d’ailleurs à la maison. Le déplacement est limité. On signale des infiltrés, il y a aussi des risques de prendre des balles perdues. Donc, mieux vaut rester à la maison en sécurité. C’est même inutile de sortir parce que tout est fermé partout. Chacun vit dans une sorte de prison chez lui. Les institutions travaillent en ligne, boutiques et magasins restent fermés. A certaines heures bien déterminées, certains commerces ouvrent pour permettre aux gens d’aller acheter des provisions. Là aussi, les boutiques qui font ce minimum de service sont presque vides, des ruptures sévères s’annoncent. Les livraisons ne sont pas évidentes actuellement. Les gens font la queue là où il y a encore des produits. L’eau est donnée gratuitement.

Je suis là avec ma femme, mes deux enfants, ma belle-mère, deux belles-sœurs et nos trois chats. Nous restons là. Dès que les sirènes d’alertes sonnent, on s’entasse au milieu du bâtiment ou aux sous-sols. Nous évitons les fenêtres. On ne regarde pas la télé parce que les informations que nous voyons amplifient notre peur. Nous lisons de temps en temps des livres réels pour tenter de résister moralement. Comme je vous le dis, on se soutient moralement avec les guinéens qui sont là. Nous remercions le bon Dieu, aucun guinéen n’est victime pour le moment. Le guinéen décédé récemment était malade avant la guerre. Il était hospitalisé sans accompagnement. Avec la guerre, l’attention n’était pas là, chacun se cherchait. Il est mort des suites de pneumonie.

Quelles sont les raisons qui maintiennent encore les guinéens alors que même des ukrainiens de souche ont fui la guerre ?

Les raisons sont diverses. Certains ont des problèmes de documents. Il a été dit à la frontière : ceux-là qui n’ont pas de documents, il y a une certaine amende à payer pour passer, 5000 grivina, environs 200 dollars US. Ceux qui n’avaient pas de documents, c’est ce qu’ils payaient à la frontière comme taxes avant de traverser. Une fois du côté de la Pologne, on demande à notre ambassade en Allemagne de certifier l’identité de la personne si elle est effectivement guinéenne ou d’origine guinéenne. L’ambassade a joué ce rôle de façon efficace et rapide. Chacun a eu l’occasion d’aller dans un pays de son choix partout en Europe. Mais j’avoue que les guinéens ont beaucoup plus de difficultés par rapport à tous les autres pour l’intégration. Parce que la plupart des guinéens n’avaient aucun document en leur possession. La protection sociale ne sera pas de longue durée pour eux. Avec cette situation, les personnes âgées n’ont pas voulu se prêter à ce jeu. Premièrement, elles n’ont pas d’argent à payer pour traverser, c’est pourquoi elles ont préféré rester sur place.

Ensuite, elles ont estimé que c’est une humiliation pour eux de marcher par-ci par-là, répondre à des tas de questions sur les documents, leurs origines et tout ça, voilà l’autre raison. Ces personnes voient mal le fait d’être mis dans un lot de gens à identifier dans de longues files d’attente. Ce n’est pas toujours respectueux, il faut le reconnaitre. Il y a eu aussi ceux qui sont restés faute de moyen mais ils voulaient partir. Avec l’assistance financière de l’État, beaucoup ont perçu leur argent. Parmi eux, certains tenaient à partir avec ce montant. Malheureusement pour certains, ils avaient des arriérés à payer. Donc, ils ont fait face à cela, ils étaient obligés de rester. J’ai d’ailleurs mentionné dans mon rapport l’insuffisance de ce montant alloué, j’ai demandé d’augmenter un peu afin de permettre ceux qui veulent, de partir. Ceux qui veulent rester aussi auront de quoi vivre ne serait-ce que pour quelques jours.

Justement avec ce montant de 103.000 euros annoncés par l’État guinéen en direction des guinéens d’Ukraine. Comment a-t-il été distribué ?

L’argent octroyé par l’État guinéen n’a pas été viré à mon niveau mais au niveau de l’ambassade de Guinée en Allemagne. Justement, c’est un montant de 103.000 euros. La gestion aussi a relevé directement de l’ambassade de Guinée en Allemagne. Les choses ont été gérées avec la cellule de gestion des fonds. Une tranche de 10.000 euros a été débloquée pour la première fois. Ce montant a été partagé entre 57 guinéens. Ensuite, il y a eu une seconde tranche de 10.000 euros. Dans ce deuxième montant, 26 personnes ont perçu leur part, il reste encore 7 personnes en attente. Le montant que les guinéens perçoivent, c’est entre 150 et 250 euros selon les zones à risque où vivez. Au total 83 personnes ont perçu. Vous pouvez vous-mêmes faire le calcul du montant qui reste encore non distribué. Sur les 103.000euros, c’est 20.000 euros qui sont décaissés. Nous plaidons pour une troisième tranche afin de permettre aux gens de partir ou de rester. Nous sommes conscients de l’effort des autorités guinéennes, mais nous voulons qu’il y ait un peu plus d’accompagnement parce que la vie est devenue excessivement chère pour ceux qui sont dans le pays et même pour ceux qui sont partis. Les gens ont dépensé leurs dernières économies pour bouger, il faut tenir compte de tout cela. Ces guinéens qui sont allés vers l’Allemagne ; la France ; la Belgique… ont besoin d’être enrôlés pour savoir leur nombre. Ensuite chercher à savoir leur besoin pour les aider parce que c’est un droit.

Je précise que tous ceux qui ont perçu l'aide ont les quittances de réception. Tout s'est fait par transfert bancaire. Toutes les données sont disponibles et ils ont tous attesté avoir reçu le montant par des écrits et des vidéos y compris la copie de leurs documents qui justifient leur identité. Donc la liste est correcte avec toute la transparence. 

Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué pendant ce bombardement en cours en Ukraine où vous vivez depuis des décennies ?

Nous sommes peinés, c’est vrai. Les gens sont dans la débandade, c’est le sauve qui peut parfois, mais une chose a retenu mon attention au cours de cette guerre : malgré les bombardements, les tirs de char, les services d’assainissement et de nettoyage n’ont pas arrêté leur travail un seul jour. Que ça soit ceux qui s’occupent des maisons, des rues et des poubelles, il n’y a eu aucun impact particulier. Ils fonctionnent normalement, ils sont réguliers, c’est quelque chose de très étrange.

Je souhaite voir un élan de patriotisme d’une telle envergure autour des rues de Conakry et des grandes villes du pays. C’est mon souhait le plus ardent. Je veux voir une propreté comme ça en Guinée, que ça soit en période de paix ou de crise.  La propreté reste l’identité d’un pays. C’est la première marque d’un pays, c’est ce que l’étranger voit dès son arrivée. C’est ce qui caractérise chaque pays. Ici, nous sommes en guerre, mais dès qu’il y a un petit calme c’est le nettoyage. Même les immeubles bombardés, après le feu les gens se précipitent pour nettoyer les alentours, ça fait plaisir.

Le consulat honoraire de la Guinée est fermé depuis plus d’un an à Kiev. Quel est le sort du personnel diplomatique depuis l’arrêt de vos activités ?

Oui c’est vrai Monsieur Bah. Notre sort est le suivant : Son excellence Monsieur Ramin Mansuriian, ukrainien était le consul honoraire de Guinée à Kiev, il est d’origine iranienne. Moi, j’étais le vice-consul. Mais il y avait aussi d’autres ukrainiens membres du personnel diplomatique guinéen qui travaillent avec nous. Nous avions une secrétaire et deux (2) vice-consuls. Dans les villes comme Odessa, Karkov où se concentrent les fortes communautés guinéennes, ils étaient là comme des guides et des aides pour faciliter la communication et la gestion de nos compatriotes. Mais depuis que le consulat a été fermé, c’est compliqué. Je vous rappelle la raison de la fermeture du consulat.

Les autorités ukrainiennes n’avaient pas prorogé l’accréditation. A partir de là, nos activités n’étaient plus légales. Le rapport a été expédié vers notre ambassade à Moscow, en ce moment on était sous tutelle de la Russie. Par la suite, le ministre guinéen des affaires étrangères s’était résolu de transférer le consul sous la tutelle de la Turquie, mais il s’est avéré que l’ambassade de Guinée en Turquie n’a pas pu encore présenter les lettres de créances au niveau de l’Ukraine. Ce qui fait que pour le moment Moscow ne contrôle plus l’Ukraine.

Le contrôle va vers la Turquie auprès de l’ambassade de Guinée à Ankara bien que tout reste soit paralysé par le retard de la lettre qui déclenche l’accréditation. Donc, pour le moment nous sommes dans cette situation. A l’heure qu’il fait, nous sommes dispersés ici, le consul honoraire est ici en Ukraine à l’ouest du pays à la frontière avec la Slovaquie avec certains membres de sa famille. Là-bas, c’est beaucoup plus calme. De mon côté, je suis toujours à Kiev avec ma famille, ma femme et mes deux enfants. Les autres membres du consulat pratiquement, certains sont sortis du pays pour s’installer dans les pays limitrophes, voilà un peu le sort du personnel de notre consulat en Ukraine.

Les autres représentants des compatriotes guinéens dans les villes d’Odessa et Karkov sont aussi partis.  Un est en Belgique et l’autre est en France pour le moment. Ils sont partis à cause de la guerre avec leurs familles. (…) Voici le sort du consulat, depuis qu’il est fermé tous les documents et le travail effectué par la Guinée depuis son ouverture sont dans les archives. Le bureau fermé était une propriété privée du consul honoraire. C’est lui qui avait donné des locaux qui faisaient jusque-là office de bureau. Nous gardons espoir avec le nouveau ministre des affaires étrangères que nous aurons un consulat général ou on se retrouvera avec un consulat honoraire

A suivre…

 

Interview réalisée par Alpha Ousmane AOB Bah

Pour Africaguinee.com

Tél. : (+224) 664 93 45 45

Créé le 29 mars 2022 14:07

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