L’économiste Aliou Barry avertit : « La guerre en Ukraine va être préjudiciable pour la Guinée… »

Aliou Barry

CONAKRY-Quelles conséquences l’invasion russe en Ukraine aura-t-elle sur la Guinée ? Votre quotidien en ligne Africaguinee.com a interrogé l’expert en gouvernance, Aliou Barry. Dans cette interview, cet économiste qui dirige l’agence Statview international, spécialisée dans des études en matière de gouvernance analyse les conséquences de cette guerre pour l’Afrique en général, la Guinée en particulier.


AFRICAGUINEE.COM : Quelles conséquences la guerre d'Ukraine peut-elle avoir sur la Guinée ?

ALIOU BARRY : Du point de vue de la gouvernance mondiale, on est en train d’enregistrer un recul.  C’est regrettable que nous soyons au 21e siècle et vivre ce qui se passe en Ukraine.  En ce qui concerne les conséquences, elles seront énormes pour le monde d’une manière générale. Nous risquons d’enregistrer une inflation importante. C’est-à-dire une hausse généralisée des prix, notamment des denrées alimentaires dans plusieurs parties du monde, précisément en Afrique. A l’échelle mondiale, la Russie et l’Ukraine pourvoient à près de 30% des besoins en blé. L’Afrique risque d’être touchée. Et la Guinée, elle-même, étant le deuxième exportateur mondial de bauxite, parmi les pays qui exploite notre minerai, il y a la Russie. Sachant que les matières premières constituent une importante source de devises pour notre pays, forcément, cette guerre va être préjudiciable pour nous.

Le prix du baril de pétrole a dépassé la barre de 100 Usd. Est-ce qu’on peut s’attendre à une hausse du prix du carburant dans notre pays ?

Comme vous l'avez dit, déjà, le prix du baril a dépassé 100 Usd à l’international. Comme nous ne sommes pas un pays producteur, il faut s’attendre à l’augmentation du prix à la pompe dans les jours et semaines à venir si la guerre continue. Il y a également d’autres conséquences auxquelles nous sommes exposés. Vous savez que l’Ukraine qui fait l’objet de cette attaque est une importante source d’approvisionnement en blé et en équipements agricoles. Sachant que les 2/3 de la population guinéenne travaillent dans le secteur agricole et la plupart des engrais chimiques que les pays africains importent, viennent de l'Ukraine, tout cela peut avoir des conséquences sur la Guinée.  Il faut rappeler d'ailleurs que les rapports commerciaux  avec l’Ukraine ne datent pas d’aujourd’hui. La Guinée a toujours entretenu de bonnes relations avec l’Ex Union Soviétique.

Il y a quelques mois l’augmentation du prix du blé à l'international a provoqué une hausse du prix du pain en Guinée. Faut-il s’attendre à un scenario similaire alors que le panier de la ménagère est très secoué?

Le panier de la ménagère est déjà secoué, mais la situation actuelle va l’aggraver. Souvenez-vous que le printemps arabe est parti du prix du pain. Cela avait touché la plupart des pays du Maghreb, en Tunisie, Égypte, Libye, Algérie et un peu au Maroc. La Guinée ne sera pas à l’abri. Après le riz qui est notre aliment de base, il y a le pain et forcément nous allons être frappés de plein fouet par cette crise.

Est-ce qu’on a une idée sur le volume des échanges commerciaux entre la Guinée et l’Ukraine ?

Je n’ai pas un chiffre clair en ce qui concerne les échanges commerciaux puisque nos statistiques ne sont pas bien tenues. Mais les échanges commerciaux entre l’Afrique et l’Ukraine représentaient 4 milliards Usd en 2020 et les investissements directs étrangers de l’Ukraine en Afrique sont estimés à 810 millions Usd. Ce sont des investissements colossaux. Si vous prenez la Russie, ses investissements sont très importants en Afrique du Sud, en Algérie. Si on prend l’Afrique de manière globale, on pourrait estimer les investissements ou les échanges commerciaux en des milliards de dollars US sans compter les investissements directs étrangers qui viendraient de la Russie. L’un dans l’autre, l’Afrique n’a aucun intérêt à ce qu’il y ait cette guerre parce que et la Russie et l’Ukraine sont des partenaires stratégiques.

L’Union africaine n’a pas condamné l’invasion russe sur l’Ukraine. Comment comprenez-vous cette prudence ?

Il y a plusieurs raisons qu’on peut évoquer. D’abord, c’est vrai qu’on ne maîtrise pas trop les dessous de cette invasion. Même si d’une manière générale, il faut condamner l’annexion d’un pays souverain par un autre. Les pays africains ont intérêt à ne pas froisser les deux parties puisque personne ne sait comment ça va se terminer. Généralement, l’Union africaine s’aligne sur la position des Nations unies. La communauté internationale est en train de s’organiser et voir comment réagir face à cette crise. Pour le moment, la prudence doit être de mise aussi bien au niveau de l’Union africaine qu’au niveau des pays.

A cause d’un courrier qui a fait énormément polémique, le ministre guinéen des Affaires étrangères a annoncé la suspension du consul honoraire de l’Ukraine en Guinée. Qu’en pensez-vous ?

Je voulais simplement dire que c’était une bonne décision parce que le consul honoraire a voulu faire dire aux autorités guinéennes ce qu’elles n’ont pas dit. Du point de vue diplomatique, ce n’est quand même pas tolérable que quelqu’un dise quelque chose qui n’a pas été prononcée par les autorités. C’est condamnable. La Guinée est membre de la Cédeao, de l’Union africaine, nous sommes obligés de nous concerter avec les autres. Même s’il faut condamner, il faut aller avec les autres dans le cadre des instruments internationaux qui existent.

Est-ce que les sanctions économiques imposées par les occidentaux à la Russie ne risquent pas de freiner l’activité minière dans notre pays ?  

C’est sûr que ça va impacter l’activité minière et ça va aussi impacter le système financier de manière globale. Ce qui risque de se passer avec les décisions prises par les Etats Unis, la Russie risque d’être exclue des systèmes de paiement internationaux. Ça va être très difficile. Quand la Russie doit procéder à des paiements à la Guinée ou à d’autres pays africains ça va se compliquer. Vous savez que le système monétaire international est régi par des règles.

Quand un pays est sanctionné, ça va être très difficile de faire une transaction avec ce pays. Les conséquences c’est aussi les étudiants qui vivent dans ces pays notamment en Russie. A un moment donné, il sera difficile à un parent guinéen d’envoyer de l’argent à son fils qui est en Russie et vice-versa. Les conséquences vont être drastiques.

D’une manière ou d’une autre, la Russie est un géant et sa sortie du système des paiements internationaux constitue un gros trou. Comme les sanctions sont prises, elles vont produire des effets et cela risque d’impacter la démocratie en Afrique parce que nos pays sont fragiles. Un pays fragile est un pays vulnérable et s’il est touché par des mesures plus caustiques que celles que nous connaissons avec la Covid, ça risque d’amener des mécontentements dans certains pays qui peuvent conduire à ce qu’on a connu avec le printemps arabe.

La situation en Ukraine focalise toute l’attention de la communauté internationale. Est-ce du pain béni pour le Cnrd de dérouler son agenda pour s’éterniser ?

Ça va être un couteau à double tranchant. C’est vrai que l’attention de la communauté internationale est portée sur l’Ukraine, et dans une moindre mesure en Afrique par rapport à ce qui se passe au Mali. Mais ce qu’il faut savoir, ce que l’ennemie redoutable, c’est la misère, la pauvreté. Il suffit que le panier de la ménagère soit suffisamment secoué pour que les gens commencent à se remuer. Je pense qu’on n’a pas intérêt à ce que cette guerre perdure. Même le Cnrd, pour dérouler les objectifs qu’il s’est assigné pour le bien-être de la population, va avoir besoin de l’accompagnement de la communauté internationale. 

Si la communauté internationale a les yeux rivés ailleurs, la Guinée ne sera pas une priorité et ça va nous affecter. Ça va être compliqué aussi bien pour la population que pour le Cnrd. Actuellement, nous sommes dans une phase de transition, nous avons besoin d’appuis financiers et techniques pour pouvoir traverser cette période de transition.

Comment pourrait on limiter les conséquences ?

Je crois, ce qu’il faut c’est le dialogue. J’ai bien aimé l’appel lancé par les dirigeants du monde qui ont incité à ce qu’on nous évite l’escalade des tensions. Le président américain l’a clairement dit que les Etats-Unis ne vont pas envoyer des militaires. Le président français s’est directement adressé au président russe pour dire qu’il faut discuter, négocier. Je pense qu’il faut absolument qu’il y ait un dialogue franc dans le cadre du rôle régalien des Nations-unies.

Entretien réalisé par Diallo Boubacar 1

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 655 311 112

Créé le 27 février 2022 15:29

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