Boubacar Barry s’insurge : « Célébrer Sékou Touré qui a tué nos parents… »
CONAKRY-La célébration du centenaire de Sékou Touré prévue ce dimanche 09 janvier aux cases Bellevue ne fait pas que des heureux. Les victimes de son régime dénoncent une manipulation de l’histoire. C’est le cas de l’ancien ministre Boubacar Barry, membre de l’Association des victimes du Camp Boiro (AVCB). Il s’est prêté aux questions d’Africaguinee.com.
AFRICAGUINEE.COM : Quelle lecture faites-vous de la célébration du centenaire de Sékou Touré ?
BOUBACAR BARRY : Je mets ça sur le compte de l’instrumentalisation et de la manipulation de l’histoire. On ne peut pas dire que c’est l’initiative des citoyens. C’est le fait d’un certain nombre de courants politiques qui veulent absolument honorer Sékou Touré malgré son passif extrêmement lourd. Ce qui est clair : son histoire est extrêmement controversée. Personne ne peut nier que sous le régime de Sékou Touré il y a eu des pendaisons, personne ne peut nier qu’il y a eu des assassinats politiques, personne ne peut nier qu’il y a eu des tortures et des disparitions forcées. Ce sont des éléments dont on doit tenir en compte.
Nous, on considère qu’aujourd’hui, avec le baptême de l’aéroport et la restitution de ces cases, le CNRD a ouvert une brèche dans laquelle vont s’engouffrer tous les opportunistes pour qu’on voit là un moyen d’exprimer une partie de cette histoire. En ce qui nous concerne, nous avions estimé qu’il y avait un processus de réconciliation qui devait amener à célébrer ou à ne pas célébrer tel ou tel évènement, à baptiser ou à ne pas baptiser tel édifice public. Mais malheureusement, on voit que le CNRD participe en prenant partie pour le dictateur au détriment de ses victimes. Malheureusement.
Que compte faire votre association par rapport ça ?
Ça fait plus de 40 ans que nous sommes dans cette lutte. Nous avons subi beaucoup de pressions, nous avons vu beaucoup d’évènements comme la rebaptisation du palais présidentiel « Sékhoutoureyah ». Notre combat est légitime parce qu’en réalité nous nous battons pour l’honneur de nos parents qui font partie des pères fondateurs de cette République de Guinée. Quand on dit pères de l’indépendance, ce n’est pas un individu, tout le monde le sait.
C’est un groupe parce qu’il y avait plusieurs partis politiques à l’époque. Tous avaient décidé de manière responsable et souveraine de défendre l’indépendance de la République. Même cela mériterait effectivement qu’on cite les autres. Malheureusement Barry 3 a été pendu, Barry Dianwadou a été tué. Les Kaman Diaby et plusieurs autres l’ont été. Tous sont dans les fosses communes. Donc les autres compagnons de l’indépendance sont dans des fosses communes et on célèbre une seule personne en lui attribuant tous les mérites. C’est ça le paradoxe de la Guinée.
Alors que les pères fondateurs de la République de Guinée sont dans des fosses communes, on fait des célébrations pour un individu qui a quand même fait des torts. Or, on ne peut pas lire une partie de cette page et oublier le reste. Il faudrait qu’il y ait l’honnêteté intellectuelle, la probité morale pour pouvoir en toute objectivité faire la part des choses. Comme on est dans un processus de réconciliation, à ce moment-là, on peut avancer de manière apaisée. Mais la façon dont ça se passe en ce moment, on voit bien qu’il n’y en a que pour Sékou Touré et sa famille, pour le moment.
Avez-vous un message à livrer à l’endroit du CNRD ?
Ils ont complètement faussé dès au départ ce processus de réconciliation. On leur a écrit dès leur avènement, on les a félicités, on les a encouragés. Ils ont commencé à poser des actes que nous avons tous salués. Et on leur a donné une sorte de boussole comme ils aiment le dire. Il y a un rapport final sur la réconciliation nationale en Guinée. Ce document a été élaboré pendant deux ans, il est disponible avec le soutien de la communauté internationale dans le concept de la justice transitionnel.
Mais malheureusement, j’ai l’impression qu’ils ont carrément mis de côté ce document pour initier des démarches unilatérales difficiles pour une grande partie des guinéens. Aujourd’hui, c’est encore une manière de faire couler nos larmes, de nous rappeler que l’homme qui a tué nos parents et les jetés dans fosses communes, et en pendu d’autres, on est en train de célébrer cet individu avec le feu vert des nouvelles autorités.
Entretien réalisé par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 655 311 112
Créé le 9 janvier 2022 13:11Nous vous proposons aussi
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