Aliou Barry : « Un Gouvernement de transition ne peut pas parler de refondation de l’Etat… »

Aliou Barry, Directeur du Centre d’Analyse et d’Etudes Stratégiques (CAES)

CONAKRY- Directeur du Centre d’Analyse et d’Etudes Stratégiques (CAES), Aliou Barry spécialiste en géopolitique exprime des inquiétudes par rapport aux tâtonnements de la junte dans la mise en place des organes de transition. Près de deux mois après le coup d’Etat, cet ancien officier français à la retraite prévient qu’il n’y a pas encore d’actes réels allant dans le sens du retour à l’ordre constitutionnel. Au micro d’Africaguinee.com, M. Barry invite la société civile notamment le FNDC d’être très vigilante pour ne pas que la transition 2021 soit une pâle copie de celle de 2010. Dans cet entretien accordé à Africaguinee.com, le Directeur du Centre d’Analyse et d’Etudes Stratégiques est revenu sur les actes posés par les autorités de la transition et s’est penché sur bien d’autres sujets.


AFRICAGUINEE.COM : Quelle analyse faites-vous des premiers actes posés par la junte au pouvoir en Guinée depuis le 05 septembre 2021 ?

ALIOU BARRY : Je dirais d’abord que la Guinée renoue avec les transitions. Il y a eu déjà une avec la mort de Sékou Touré en 1984, il y a eu une seconde avec la mort de Lansana Conté en 2010 et aujourd’hui c’est une autre transition qui s’ouvre. Mais cette dernière est différente des autres parce que là, c’est un président issu d’une élection -même si les élections ont été contestées- qui a été démis de ses fonctions de président de la République, vivant. Ce que la Guinée n’avait jamais connu.  C’est déjà une différence fondamentale. Donc, la Guinée rentre dans une nouvelle phase de transition. Mais ce que nous déplorons, nous avons comme l’impression que les nouvelles autorités ne tirent pas les leçons des échecs des transitions passées. En 1984, Lansana Conté a fermé le livre des 26 années de règne de Sékou Touré sans faire la lecture. En 2008 à l’arrivée de Dadis, elles ont fait la même chose avec le régime précédent. On espère cette fois-ci, avant d’entamer toute action, il faudra bien relire l’histoire de la Guinée pour pouvoir tirer les leçons de cet échec.

Les premiers pas que les nouvelles autorités ont posé, pour le moment on ne voit pas d’actes réels allant dans le sens du retour à l’ordre constitutionnel. Je crois que ce qu’ils ont fait est classique. Tout nouveau pouvoir qui arrive, il procède à la libération des détenus politiques, ensuite il y a la dissolution des institutions. Certes la visite des cimetières où sont enterrées des victimes est aussi un acte symbolique, le fait d’avoir accepté de participer à l’anniversaire des pendaisons de 1971, l’est également. La mise à la retraite des officiers généraux pour avoir une forme d’éclairci dans la hiérarchie militaire est une bonne chose. Mais à mon avis, à date les vraies actions commençant à rentrer dans la transition ne sont pas encore posés.

C’est un peu inquiétant puisqu’aujourd’hui, il n’y a aucun cadre permettant un dialogue entre la classe politique et le CNRD. Si ce cadre n’est pas mis en place, c’est une porte ouverte à des malentendus d’autant plus que la société civile à l’exception aujourd’hui du FNDC, nous avons l’impression qu’il n’y a plus de société civile en Guinée. Il faut absolument qu’il y ait très rapidement un cadre permettant de dialoguer parce que le CNT (conseil national de transition) encore n’est pas mis en place. Même si le CNT était en place, il faut absolument un lieu où ceux qui gouvernent et ceux qui doivent jouer un rôle dans la transition puissent trouver un endroit où ils peuvent échanger.

Le président de la transition a envoyé une quarantaine d’officiers généraux à la retraite. Peut-on parler de purge au sein de la hiérarchie militaire ?

Je ne parlerais pas de purge parce que la retraite est un droit. Il faut savoir que ce n’est pas la première fois qu’on met les gens à la retraite. M. Alpha Condé dans le cadre de la réforme des Forces de défense et de sécurité a mis plus de 4000 militaires à la retraite. Ce qui est réconfortant ici, il y avait eu tellement de nominations par des décrets collectifs que l’armée guinéenne s’était retrouvée avec tellement de généraux, que la pyramide était inversée. On avait beaucoup plus de sous-officiers, d’officiers que de militaires de rang. Et au niveau de cette catégorie d’officiers généraux, la Guinée était dans la sous-région la plus dotée en termes de généraux. Je pense que c’était salutaire de mettre ces gens qui avaient droit à la retraite, de les mettre à la retraite.   .

Je pense que les nouvelles autorités peuvent profiter de cette mise à la retraite, pour réfléchir sur l’architecture nouvelle de l’armée guinéenne pour éviter de se retrouver dans le futur avec autant d’officiers supérieurs qui ne correspondent pas aux besoins de l’armée même si c’est salutaire. C’est quelque chose qui était inévitable.

Plusieurs avantages ont été accordés à ces Généraux. Comment appréhendez-vous cette autre décision ?

Autant j’ai salué la mise à la retraite de ces officiers généraux, autant je suis resté dubitatif avec beaucoup de guinéens sur les avantages accordés à ces généraux mis à la retraite. Dans un contexte économique aussi difficile où nous avons vu des étudiants réclamer leur petit pécule, nous voyons des généraux qui ne sont pas aussi nécessiteux, bénéficier de tels avantages. En Guinée tout le monde sait qu’au vu de leur durée dans l’armée, ils ont eu droit à des avantages liés à leur grade. Doter des passeports diplomatiques à des généraux à la retraite avec leurs conjointes, je n’en vois pas l’utilité. C’est pareil lorsqu’on décide de leur doter de véhicules sortis d’usines quand on sait qu’ils ont tous pratiquement des véhicules. Je vois là une forme de reconnaissance.  Mais je n’ai pas les tenants et les aboutissants de ce qui a poussé les nouvelles autorités à leur doter autant d’avantages. Je pense que c’est très regrettable dans un contexte économique très difficile.

Parmi ces militaires à la retraite, d’anciennes figures du régime Alpha Condé apparaissent dans une ossature appelée Conseil Supérieur de la Défense. N’est-ce pas une forme de "recyclage" de la part du colonel Mamadi Doumbouya ?

C’est le second acte que j’ai trouvé un peu curieux. Si vous prenez le décret qui crée le conseil supérieur de défense, je ne pense pas qu’en le parcourant, il y ait des places réservées à autant de généraux. A mon avis, c’est une forme de récompense mais ce qu’on trouve de plus navrant, ce qu’on retrouve dans ce CSD des promoteurs du 3ème mandat de Alpha Condé qui a été d’ailleurs la cause du coup d’Etat. Donc, prendre des généraux qui ont participé activement au désordre constitutionnel et les remettre dans une structure qui est sensée conseiller l’Etat en matière de défense, je trouve cela un peu curieux et maladroit.

A votre avis ce coup d’Etat n’est-il pas la conséquence de la reforme que certains qualifient de "ratée" des Forces de Défense et de Sécurité ?

C’est une intéressante question qui va au-delà-même du cas guinéen. Au Mali, les militaires se sont incrustés au pouvoir par un coup d’Etat, au Burkina-Faso, il y a eu le cas de Compaoré avec la garde présidentielle qui a fait un coup et ce n’est pas toute l’armée qui a suivi. Quand on regarde ces trois cas y compris la Guinée, cela prouve que dans ces différents pays, il y a un véritable échec de la classe politique. Pour une raison très simple, si M. Alpha Condé avait respecté la constitution, (peut-être qu’on n’en serait pas là). Parce qu’en fait, dans ce pays, le plus grave lorsqu’on rédige ces constitutions, les gens pensent que ce sont les constitutions qui sont mauvaises. Or, si vous prenez celle de 2010, elle est sortie du CNT, de l’analyse de l’ensemble des guinéens puisque tous les guinéens y étaient représentés. Quelle soit imparfaite, à la limite, je peux comprendre mais elle était tout à fait adaptable. Ce qui s’est passé, c’est celui qui était chargé de faire respecter cette constitution qui ne l’a pas respecté. Il n’a pas respecté  la mise en place de la haute cour de justice et la non limitation du nombre de mandats par exemple. Il a voulu tripatouiller cette constitution. C’est exactement ce qui s’est passé au Mali. Donc l’émergence de l’armée dans les pouvoirs politiques en Afrique s’explique par l’échec des politiques en Afrique.

Selon vous quelle est la durée normale d’une bonne transition ?

J’ai été toujours dubitatif quand j’entends les acteurs politiques se prononcer. Il y en a qui parlent de cinq ans, trois ans, de quinze mois ou trente mois.  Je crois que pour fixer la durée de la transition, il faut déjà poser les actes qu’il faut faire au cours de la transition. A mon avis, un gouvernement de transition ne peut pas s’occuper de beaucoup de choses. Au Mali ils font la même erreur : un gouvernement de transition ne peut pas parler de refondation de l’Etat. Il peut à la limite jeter les bases, mais il appartient au gouvernement continuellement mis en place parler de refondation. Vous savez la refondation est quelque chose de pérenne.  Je ne peux pas imaginer que ça soit au cours d’une transition qu’on peut refonder l’Etat. Je pense aussi que c’est une erreur de rentrer dans des projets de développement. Si vous prenez des projets de développement, ce sont des projets à long terme.

Le rôle d’une équipe de transition, c’est de se limiter à mettre en place un processus électoral transparent fiable, permettant le retour de l’ordre constitutionnel.  La première tâche, c’est d’organiser les élections. Donc, il faudra mettre sur la table les différentes étapes notamment le recensement. Est-ce qu’il faut profiter de l’occasion pour faire un recensement global de la population qui n’a rien à voir avec le recensement électoral ?  Je pense qu’ils n’auront pas le temps de faire le recensement de la population mais par contre, ils peuvent faire un recensement électoral. C’est-à-dire, tout simplement prendre le fichier qui existe, le nettoyer en enlevant les doublons, recenser ceux qui ne sont pas recensés et qui ont le droit de voter. Mettre en place l’organe qui sera censé de conduire ces élections. Cela est une question fondamentale.

Tout le monde se focalise sur la CENI.  A la limite, comme je l’ai toujours dit, dans un processus électoral, nous n’avons pas besoin d’une CENI. Pour une raison très simple, lors d’élections, les gens vont voter dans des bureaux de vote (BV), comme vous le savez c’est au niveau des Procès-Verbaux (PV) que cela pose des problèmes.  Normalement on ne doit commander les PV qu’au vu du nombre d’électeurs qui sont dans le fichier et on peut commander une petite marge de PV au cas où il y a des déficits.

(…) Si les électeurs sont recensés sur un fichier transparent, si on s’assure que dans tous les BV tous les acteurs sont représentés, y compris Société civile, les parties prenantes au processus sont présents et que les résultats sont annoncés BV par BV, les résultats affichés et qu’on supprime les CACV, je pense qu’on n’a pas besoin d’une CENI pour organiser des élections.

Alors quelle forme de structure doit-on avoir en lieu et place d’une CENI ?

Qu’à cela ne tienne, si on veut absolument une CENI, elle peut être apolitique ou politique mais si le processus est transparent il n’y a pas de problème. Donc, si on met toutes ces étapes-là, on prendra combien de temps ? Moi je n’en sais rien. Après il faut annoncer les résultats, organiser les élections. Là aussi, est-ce qu’il faut coupler toutes les élections ou les séquencer, de commencer par les locales, les législatives et présidentielles ? Je n’en sais rien. Je suis effaré d’entendre des hommes politiques dire cinq ans, comme le Bloc Liberal. Je dirais que cinq ans ce n’est plus une transition. C’est un gouvernement légalement installé qui peut rentrer dans la refondation de l’Etat. A notre niveau au centre ici, nous avons transmis des recommandations très claires à la junte en disant qu’on risque de retomber dans la transition de 2010 si le CNRD va dans le sens de multiplier des actions à mener. Or son rôle, c’est uniquement stabiliser le pays, installer le processus de mécanisme électoral non contestable. S’ils sortent de ces deux schémas on craint fort qu’il y ait un accrochage entre les acteurs politiques, la société civile et le CNRD et on retombera sur ce qui s’est passé en 2010.

Voulez-vous faire allusion au ministère de l’Administration du territoire pour la gestion des élections ?

Si l’administration du territoire est neutre, si tout ce que j’ai cité plus haut y est d’accord, il n'y a pas de soucis de laisser l’administration organiser les élections. Vous savez normalement un fonctionnaire doit être neutre. Or, on a vu en Guinée des préfets, des gouverneurs, des secrétaires généraux et DAF qui sont partis faire campagne pour le parti au pouvoir. D’ailleurs, cela ne date pas de Alpha Condé, nous avons vécu ça depuis Sékou Touré et sous Lansana Conté. Si le vote et son contrôle est transparent, il est dépouillé de façon légale on n’a pas besoin d’une Ceni. Maintenant si on a besoin d’une CENI pour organiser une élection, elle devrait se limiter à l’équipement des bureaux de vote et à la limite vers la fin à la centralisation. Si les résultats sont enregistrés par Bureau de Vote (BV) y compris avec le concours de la presse dans la participation à l’annonce des résultats BV par BV, ça peut éviter même des contestations.

Vous savez, la CEDEAO et l’Union Européenne ont toujours commis l’erreur en envoyant des observateurs. Moi j’ai été observateur au Congo en 2018, je puis vous dire que les observateurs électoraux ne servent à rien. Le processus, il faut le suivre en amont, c’est à dire au moment de l’installation des BV, la distribution des PV. Moi en tant qu’observateur, lorsque vous arrivez dans un BV et que le vote se passe normalement, vous diriez qu’il s’est bien déroulé mais vous ne savez pas si à côté, dans une chambre ou pièce du préfet il n'y a pas déjà des PV qui sont pré-remplis, il suffit juste de changer les urnes qui sont déjà ficelées par une autre. Donc, l’observateur qui est là dans le BV va s’apercevoir que tout le monde a observé que les gens ont bien voté. Il ne sait pas qu’en amont tout a déjà été biaisé en avance.

Votre message de la fin…

J’ai deux préoccupations : je comprends l’euphorie quand de nouvelles autorités arrivent, tout le monde est content. Mais je pense que c’est mauvais pour le CNRD qu’il n’y ait pas d’autres acteurs qui sont là pour faire l’effet de miroir. Et c’est là, l’importance de la société civile. C’est pour cela que je recommande au FNDC de rester sur une position de veille. D’abord, de s’abstenir de participer à la nouvelle équipe gouvernementale parce qu’on ne peut pas être juge et parti et surtout rester dans ce cadre de veille. D’autres diront qu’ils n’ont plus raison d’exister, je dis NON car la Guinée sera toujours dotée d’une constitution. Actuellement, c’est la seule entité à mon avis qui peut faire l'effet de miroir.

Donc, il faut absolument qu’il y ait une coalition de société civile autour du FNDC. Ce n’est pas pour contester le CNRD mais c’est pour les regarder, les fixer pour les empêcher. Vous savez, le pouvoir c’est comme une drogue, on y prend goût vite. Notamment dans nos pays où tout est concentré autour d’un homme. Il nomme à tous les emplois civilo-militaires, il a tous les honneurs. Donc, on tombe facilement dans l’autoritarisme. Pour éviter ça, il faut absolument une société civile qui serve de veille et de miroir afin d’empêcher le CNRD de faire tout ce qui lui passe par la tête. Je dis à la société civile guinéenne d’être cette fois-ci très vigilante pour ne pas que la transition 2021 soit une pâle copie de celle de 2010.

Entretien réalisé par BAH Boubacar LOUDAH

Pour Africaguinee.com

Tel : (+224) 655 31 113

 
Créé le 25 octobre 2021 02:12

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