Lettre ouverte au Colonel Mamadi Doumbouya

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Monsieur le Président, En cette matinée du 05 septembre 2021, nombreux concitoyens se sont réveillés, sans trop savoir que le pouvoir de Conakry avait changé de main depuis les premiers cris du coq. Un canular, se disait-on, tant la résignation face aux impairs graduels du régime défunt était devenue aux yeux de certains, une torture céleste.


Pourtant, c’est bien vrai qu’Alpha Condé – l’homme qui a fait rêver toute une génération, au-delà même des frontières guinéennes, de par la justesse de sa lutte d’hier pour l’instauration de la démocratie en Guinée – s’est affaissé. Avec lui aujourd’hui, une bonne clique d’arrogants excessifs. Mais aussi un régime jugé plutôt clivant. Foncièrement clanique. Irrémédiablement autocrate. Donc, bourreau de toutes les voix dissonantes : qu’elles soient syndicales, religieuses, politiques ou issues de la société civile. On a eu l’impression que ce calvaire et ceux qui l’entretiennent étaient impérissables. Le mépris était d’ailleurs perceptible. Il était cultivé jusque dans les entrailles de l’administration. Une administration où tout fonctionnait au rythme de l’humeur du manitou se faisant pousser les ailes et en se bombant le torse, parce que proche de la galaxie présidentielle, donc intouchable.

C’est pourquoi, peu de personnes se sont étonnées des scènes de liesses populaires qui ont rivalisé, avec à la fois, surprise générale, émotion forte de s’être débarrassées d’un régime oppresseur, sanglots, par endroits et indignation (c’est selon la position que l’on soit !), juste quelques heures seulement après avoir vu dépités, avoir scruté, partagé et commenté les images ubuesques du désormais ex locataire de Sékhoutouréya. C’était, à l’évidence, des signes qui ne trompaient plus, ceux de la délivrance, pourrait-on dire. Mais aussi ceux des angoisses, de la réalité crue pour tous ceux qui se croyaient éternels.

Monsieur le Président,

L’euphorie inaccoutumée et les autres états d’âme non dissimulés qui ont suivi la chute d’Alpha Condé ne doivent en aucune autre raison, masquer à ce jour, ces réalités : l’impatience et les grosses attentes de la population (la jouissance d’une justice équitable, de libertés individuelles et collectives, de prospérité partagée, de culture de la méritocratie, etc.) et les velléités de revanche probable de ceux qui sont encore et manifestement dans le déni absolu, mais qui affichent aussitôt sourire jaune, afin de réussir à opérer une possible forfaiture à travers une forte capacité de nuisance. Et de fait, compromettre davantage le pays.

A cet égard, Monsieur le président, un esprit de discernement s’impose à tous. Et à vous personnellement. C’est pourquoi, je vous invite à vous joindre à la majorité silencieuse, celle qui a été abusée, celle qui a payé le plus lourd tribut des déviations tous azimuts de la décennie antérieure, pour prendre part activement et en toute responsabilité historique, à la bataille qui s’ouvre, qui est avant tout la bataille de la Nation. Vous en conviendrez avec moi que, pour la sauvegarde de celle-ci, il n’y a pas que la junte. Je me fiche d’ailleurs de celle-ci. Je me fiche des anciens dignitaires qui ont maladroitement initié, perfidement accompagné et accueilli le forcing du 3è mandat. Je me fiche aussi de ces nombreux opportunistes qui volent d’occasions en occasions, pour tout simplement assurer leurs arrières. Je me fiche tout autant et dernier ressort, de cette kyrielle d’élites en faillite, de classe politique en longue pérégrination, de leaders religieux aphones, de cette jeunesse manipulée, de fait, peu encline à assurer un héritage responsable, car divisée, au nom de l’ethnie, de la tribu, des intérêts partisans ou d’appartenance politique.

Ce qui m’intéresse, vous en conviendrez, ce sont les vraies gens.  Celles qui croient encore que la Guinée est malmenée. Mais que cette Guinée-là existe et qu’elle a inlassablement des racines fortes. Et donc, qu’elle a toujours quelque chose à prouver, à produire surtout, pour faire émerger une nouvelle élite. Une élite disposée à garantir aux générations futures un havre de paix et d’union, un ilot de développement tous azimuts et de prospérité partagée, où le populisme, la justice à deux vitesses, le copinage, la corruption rampante et l’impunité, la médiocrité et les clivages ethniques n’auront plus droit de cité.

Monsieur le Président,

Je joigne vraiment ma voix, non pas au concert des déclarations de soutien ou d’invectives, de manipulations ou de médisances déclenché parfois par des bourreaux d’hier, petits rois d’autrefois, intouchables de la décennie Condé, etc., mais à la chorale, à la symphonie dite marginale qui s’efforce pour autant encore d’en appeler à votre capacité d’analyse approfondie de la situation, d’anticipation responsable des crises, de discernement tranchée des appels au soutien, de subtilité délicate dans les prises de décisions, de bienveillance sociale et d’autoprotection.

Lorsqu’un affidé par exemple du régime défunt, ancien dignitaire, fervent partisan du « mandat de trop » déboule aujourd’hui sur les ondes des médias locaux « Alpha Condé n’a pas voulu nous écouter. Alpha a été trompé…», il vous appartient, me semble-t-il, de rétablir dorénavant les règles du jeu démocratique et d’être capable de séparer le vrai de ce qui ne l’est pas.

Monsieur le Président,

Vous ne serez pas étonné que ma première requête, en tant que citoyen, et d’observateur avisé de la scène politique guinéenne, concerne les prochaines étapes que vous voudriez bien arpenter, dans l’intérêt du pays et de la démocratie dont vous êtes dorénavant le garant. N’attendez pas qu’il soit trop tard, sinon ceux qui vous adulent, idolâtrent – parfois avec excès de revanche – ou qui vous acclament très fort aujourd’hui, en longue standing ovation, agrandiront sans crier gare, demain, les rangs des frustrés de la délivrance, des indignés de la décadence et des revanchards escamotés, pour provoquer cette fois-ci, un tsunami populaire qui vous emportera. Sans nul doute !

Les consultations larges sont appréciées. Bien qu’elles deviennent aujourd’hui redondantes. Les Guinéens ont besoin de vous voir aller à l’essentiel. Les nombreuses préoccupations sont suffisamment égrenées. Mais, la patience des Guinéens, ceux portés sur le putsch et la garantie de la transition dépendent aussi, ne perdez pas de vue, entre autres de : la publication opportune du chronogramme de la transition, la mise en place d’un gouvernement d’union nationale (sans exclusion, mais sans recyclage hasardeux), la mise en place d’un Comité d’audit sérieux, avec une feuille de route claire, la mise en place d’un Conseil national de transition dont le choix des hommes et femmes est de rigueur. Bref la mise en route d’institutions fortes et pérennes qui prennent en charge toutes les préoccupations des populations guinéennes.

Vous qui, à la prise du pouvoir, avez déjà donné le bon ton en tâtant, voire en humant le vaste champ de ruines fumantes et en redonnant espoir à ces nombreux Guinéens désaxés, désorientés, embastillés, abusés et désabusés, il vous revient, sans populisme aucun, de marquer encore un autre acte. Celui-ci doit être absolument imminent. Au-delà du fait que vous ayez déjà assoupli par exemple le confinement, la réouverture progressive des frontières et bientôt les lieux de loisirs. Laissez respirer la Guinée dans toute sa splendeur, car elle était en train d’étouffe, surtout de mourir de précarité, pendant qu’un clan semble brasser indûment des milliards GNF et se prélasse dans une opulence insultante. Dans jets privés, avec belles de nuit et Caviar. Dans des aisés réceptifs hôteliers de la place, sans aucune modération. Ni gêne. Ni inquiétude. C’est plutôt outrageant, à la limite.

Monsieur le Président,

Par pitié à la majorité silencieuse, n’ajoutez plus à l’horreur. Votre prochaine intervention solennelle qui ne manquera pas de nous accorder, enfin, le droit de nous soigner dignement et autrement; la force de faire confiance en nos magistrats, en nos leaders politiques, en nos religieux, en nos dirigeants, bref en nos sauveurs quand nous sommes en situation de droit, de faiblesse, de détresse. Montrez à vos compatriotes que vous êtes l’homme du renouveau, pas du populisme. L’homme du réalisme, pas des promesses farfelues. L’homme équitable, pas le clivant. L’homme porté sur le développement, pas sur le mirage. L’homme de la rupture; celui-là qui peut bien faire ombrage et sans pitié, au recyclage hasardeux des cadres d’hier. J’ai cru en vous, si fort. Je vous crois encore.

A ce titre, je ne veux pas que vous laissiez dans l’Histoire l’image qui pourrait être injuste que vous collent d’ores et déjà par tant de broyés de la junte, d’angoissés par la prochaine machine répressive des audits, d’égarés par la détresse, de ne plus être dans la fertilisante mangeoire clanique et de révoltés de voir perturbées toutes les ambitions trop personnelles et égoïstes. Soyez, enfin, celui qui délivre la Guinée du joug de la peur foudroyante liée à la montée exponentielle du clivage ethnique déjà ancré, de l’impuissance face au populisme, à la folie répressive, du fatalisme écorcheur jusque-là devenu une donnée universelle chez nombreux Guinéens toutes catégories confondues, en manque de bouée sauvetage.

Les attentes sont grandes. L’urgence est là et la tâche très ardue. L’impatience est grandissante. Et l’euphorie cède de plus en plus la place au doute et à l’expectative. C’est bien le moment opportun de rentrer dans l’Histoire. Vous avez donc le choix.

Veuillez croire, Monsieur le Président du CNRD, à l’expression de ma considération jusque-là très vive mais, évidemment dynamique.

 

Thierno Fodé SOW 

Citoyen guinéen

fodesow@gmail.com

Créé le 30 septembre 2021 12:35

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