Samuel Kaninda: « Les autorités Guinéennes doivent traduire leur intention par des actes »

Samuel Kaninda, conseiller régional Afrique de l’Ouest et du Centre à Transparency international

BERLIN-Transparency international a publié son classement 2020 de l'Indice de perception de la corruption dans le monde. Pour en savoir plus, Africaguinee a interrogé le conseiller régional Afrique de l’Ouest et du Centre à Transparency international. Samuel Kaninda explique que cette année la majorité des pays classés se trouvent en deçà de la moyenne. Par manque de volonté politique de ses dirigeants, l’Afrique reste le mauvais élève du classement. En ce qui concerne la Guinée qui a enregistré une régression d'un point, M. Kaninda indique que les autorités doivent fournir encore beaucoup d’efforts sur les questions de renforcement des organes de contrôle. Alors que certains dirigeants critiquent le rapport, l’expert rassure que les résultats ont été obtenus sur la base des critères bien définis et des “sources sérieuses et crédibles”.


AFRICAGUINEE.COM: Transparency international a publié, jeudi 28 janvier 2021, son classement mondial de l’Indice de la perception de la corruption (Ipc) dans le monde. Qu’est-ce qu’on peut retenir ?

SAMUEL KANINDA : Ce que nous retenons de l’édition 2020 de l’Indice de perception de la corruption (IPC), est que la majorité des pays qui ont été évalués se retrouvent en deçà de la moyenne de 50/100. L’Indice de perception de la corruption mesure, sur une échelle de 0 à 100, le degré de corruption perçu dans le secteur public des 180 pays et territoires qui en font partie. Zéro représente les pays les plus corrompus et 100 représente les pays avec un degré d’intégrité très élevée. Pour cette année, nous remarquons qu’il n’y a pas d’évolution majeure. Même à l’échelle africaine, le score moyen de 32 /100 demeure. Et nous avons les mêmes pays qui sont au-dessus la moyenne de 50/100.  C’est le cas des Seychelles, Botswana, Rwanda, Cap vert. Au bas de l’échelle, nous avons le Soudan du Sud, la Somalie et la Guinée-Bissau qui fait partie de l’espace Cedeao. C’est ce tableau peu reluisant qui persiste en Afrique et que nous voudrions bien voir changer. Pour cela, il faudra une action plus décisive de la part des décideurs, mais aussi de la part de toutes les parties prenantes.

Quels sont les critères sur lesquels vous vous êtes basés pour faire le classement ?

Nous avons trois sources que nous utilisions.  Parce que l’indice est une agrégation des différentes enquêtes qui se focalisent sur des avis des experts, des opérateurs économiques dans les pays qui sont classés. Je sais que, de temps en temps, des questions se posent sur la fiabilité des sources. Nous parlons ici des 13 sources réputées sérieuses et crédibles comme la Banque africaine de développement (Bad), la Banque mondiale (Bm) et le Forum économique mondial, entre autres, qui sont des institutions qui fonctionnent dans les pays classés. Cette perception n’est pas basée sur une vue de loin. Ce sont des avis des experts qui opèrent dans les pays qui sont inclus dans ce classement.   Ce sont ces sources-là qui permettent de dresser ce classement. Vous conviendrez avec moi que si nous n’utilisions pas les mêmes sources, nous n’aurions pas de base de classement. La note qui se dégage puisque c’est les mêmes sources pour tous les pays, cela permet de dresser ce classement qui varie d’année en année, selon le nombre des pays qui sont inclus et qui peut changer. Parce que si le seuil de 3 sources n’est pas atteint, on ne peut pas inclure un pays, scientifiquement.

L’Afrique subsaharienne reste le mauvais élève, comme par le passé. Qu'est-ce qui pourrait expliquer cela ?

A notre sens, le manque de volonté politique est un élément clé. Parce que lorsque la volonté politique y est, proportionnellement aux ressources de chaque pays, on peut allouer des ressources aux institutions chargées de la lutte contre la corruption et des organes classiques de contrôle qui existent dans tout pays, mais aussi les instances judiciaires en les mettant dans des conditions leur permettant de faire leur travail, ils pourraient prévenir, mais aussi enquêter et poursuivre les cas de corruption qui sont avérés.   

La Covid-19 pourrait-elle avoir eu des impacts sur le contrôle dans les différents pays ?

Nous nous sommes penchés sur la question. Les Etats où la gouvernance est faible où il n’y a pas de transparence et de redevabilité, où les structures opèrent dans l’opacité, la pandémie de Covid a simplement exacerbé ces questions. Cela s’est manifesté même dans la riposte. Il y a eu de cas qui ont fait la Une des journaux en Afrique du Sud, au Nigéria, au Kenya et dans plusieurs autres pays où l’aide destinée aux personnes qui en avaient besoin, à l’accès aux soins, a été détournée. D’une part, nous disons que les Etats où les défis de corruption sont plus accrus, la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver la situation parce que la riposte pouvait être plus efficace. Il y a aussi l’opacité, le manque de transparence en termes de passation des marchés pour la fourniture en médicaments et autres outils. Maintenant on va voir comment ça va se passer avec la gestion des questions liées au vaccin.

Est-ce que les autorités n’ont pas, parfois, utilisé le confinement comme prétexte pour empêcher le contrôle citoyen de l’action publique ?

Nous ne disons pas que le confinement était mauvais, c’était un besoin. Mais dans certains cas, certaines structures ou individus investis de pouvoir public s’en sont servis pour empêcher la Société civile de jouer son rôle de contrôle citoyen. Ainsi, nous avons vu beaucoup de cas de détournement des ressources. De ce point de vue, il y a eu cette corrélation. D’où nous disons que lorsqu’il n’y a pas de crise, il est important que les principes de bonne gouvernance soient respectés, les structures pertinentes soient en place de sorte que lorsqu’il y a lieu d’aller très vite en période d’urgence qu’il y ait la transparence et la redevabilité. Ce n’est que justice que des contribuables locaux, étrangers et partenaires privés mis en jeu, puissent voir que les ressources investies sont utilisées aux fins escomptés.

Les pays mal classés en Afrique dépendent beaucoup de l'aide extérieur. Parlez-nous en !

Vous conviendrez avec moi que la Guinée comme beaucoup de pays africains sont dotés des ressources naturelles immenses – je ne parle même pas encore des ressources humaines, la jeunesse et tout ce que nous avons comme potentiel- mais, ces ressources ne parviennent pas à rencontrer les besoins essentiels de ces Etats à cause des questions de gouvernance. D’où le recours de ces Etats à l’aide internationale. Même celle-ci, il y a de cas où les principes de transparence, de redevabilité, bref de bonne gouvernance, ne sont pas de mise et l’aide n’atteint pas les bénéficiaires. Souvent, l’aide vient pour la construction d’écoles, d’infrastructures routières et autres pour faciliter le développement. Mais dans un contexte où il y a de l’opacité comme mode de gestion, où l’impunité pour les cas de corruption est la règle du jeu, même cette aide n’est plus efficace. Nous nous retrouvons dans une situation où les Etats s’endettent sérieusement. Le service de la dette pèse sur le fisc national. Au même moment, les fonds qui viennent avec cette dette qui est contractée n’atteignent pas les objectifs escomptés.

La corruption a plusieurs effets néfastes puisqu’elle exacerbe les conditions de vie des citoyens qui évoluent de mal en pis. Nous en voulons pour preuve au fait que quand vous voyez les Etats qui sont mal classés sur l’Indice de perception de la corruption, en grande partie ces Etats sont aussi mal classés sur l’Indice de développement humain (IDH) qui est des Nations unies et qui n’a rien avoir avec Transparency international. En faisant un parallèle entre les deux, on peut constater que c’est dans ces Etats où il y a de fois, de taux de croissance avec des indicateurs macro-économiques positifs, mais les indicateurs de développement humain demeurent piètres. Ce sont les questions de bonne gouvernance qui peuvent faire que même quand les ressources sont limitées qu’elles soient vraiment utilisées pour l’intérêt général et non pas pour l’enrichissement illicite d’un groupe de personnes.

A voir le classement des pays africains, on a l’impression que les pays qui disposent des ressources naturelles sont les plus corrompus. Qu’est-ce qui explique cela ?

Cela peut s’explique par le fait que les ressources du sol et du sous-sol attirent les investisseurs, beaucoup de capitaux étrangers surtout qu’en Afrique, c’est le cas notamment du Nigéria, l’Angola, la Guinée, le Mali, la RD Congo, pour ne citer que ceux-ci. Lorsque ces pays attirent les capitaux extérieurs, mais qu’en amont il n’y a pas de gouvernance forte, des institutions fortes, des organes de contrôle cela fait qu’à la fin, même les dividendes que génèrent ces investissements sur le plan économique ne profitent pas à l’intérêt général. C’est ça le grand problème que nous avons. C’est pourquoi, nous avons ce tableau des pays qui sont des grands exportateurs des ressources brutes qui nous reviennent en produits finis parce qu’il y a encore ce problème d’industrialisation. Mais ça, c’est un autre débat.

Sur la question de la corruption, même quand ces Etats ont toutes ces ressources pour que ses citoyens se retrouvent sur le plan socio-économique, il faudrait qu’il y ait un système de gouvernance très efficace pour que les revenues soient, non seulement, déclarés comme dans le cadre de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie), mais qu’il y ait une traçabilité sur comment ces revenus sont injectés dans les programmes de développement économique qui font d’ailleurs l’essentiel des projets de société de nos responsables politiques lors des rendez-vous électoraux. Dans l’espace Cedeao, nous avons vu au cours de 2020, y compris en Guinée, ce sont les questions essentielles qui reviennent dans les rendez-vous électoraux : accès à l’eau, à l’électricité, sécurité, habitat, éducation, mais aussi une la lutte contre la corruption. Nous avons beaucoup de jeunes qui constituent la majorité de la population, mais qui, après l’obtention de leurs diplômes, n’ont pas de débouchés en termes d’emplois ou même pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Tellement que les questions de corruption, de pots-de-vin, de favoritisme, de népotisme etc; s’entremêlent et s’érigent en obstacles. Ce sont des questions qui doivent recevoir une attention particulière pour que les objectifs de développement durable (ODD) puissent devenir une réalité sur le continent. Sinon, nous irons de programme en programme, de slogan en slogan, mais ce tableau peu reluisant risque de persister s’il n’y a pas un sursaut pour changer les choses fondamentalement.      

Que dit le rapport sur le cas guinéen ?

Par rapport à l’année passée, nous voyons que la Guinée a enregistré une légère baisse du score de 29 en 2019 à 28/100 en 2020. Or, sur les 5 dernières années, il y a eu quand même une bonne progression. En 2016, le pays était à 25/100, 2017 et 2018 à 27/100. Mais cette année, nous voyons une régression par rapport à la dernière. Cela indique qu’il faut beaucoup d’efforts sur les questions de renforcement des organes de contrôle. Nous savons que les autorités ont exprimé leur intention et engagement de lutter contre la corruption, mais ceci doit se traduire par des actes concrets. La justice doit davantage être là pour sévir en ce qui concerne les cas de corruption, quel qu’en soit les auteurs, et même les autres cas qui touchent à l’intégrité politique dans les différents processus qui nourrissent la vie politique de la nation. Il y a aussi les défis liés à la passation de marchés publics dont nous avons parlé un peu plutôt, la Guinée n’en est pas exempte.  Il faut que ces aspects soient renforcés, mais aussi le cadre légal, institutionnel et s’assurer que les organes pertinents sont dans les conditions de remplir leurs rôles sans interférence aucune.

Peut-on évaluer le coût de la corruption en Afrique ?

C’est difficile de mettre un chiffre parce que la corruption prend différentes formes. L’IPC se focalise sur le secteur public et nous savons que ce n’est que le point de l’iceberg mais il y a des aspects également importants qui ne sont pas pris en compte dans cette enquête. Il y a notamment ce qui se passe dans le secteur privé, tout ce qui est lié aux flux financiers illicites et autres. Il est difficile de mettre un chiffre, mais on peut estimer le taux du produit national brut que perd chaque pays à travers la corruption. Nous savons que, par exemple, le FMI, la BM estiment à plusieurs milliards de dollars les fonds qui sont perdus chaque année à cause de la corruption à l’échelle mondiale. Le coût de la corruption n’est pas seulement financier, il est aussi humain. On détourne des ressources qui doivent servir à construire des hôpitaux, des écoles ou à des ponts qui sont mal construits et qui causent des accidents.

Quels retours avez-vous eu en Afrique après la sortie du rapport ?

Là où le résultat a connu une régression, je prendrai en exemple le cas du géant de l’Afrique de l’Ouest, le Nigeria qui est le 2e moins performant dans la zone Cedeao après la Guinée-Bissau avec 2 points de régression, les autorités ont formulé beaucoup de critiques par rapport à l’Ipc. Mais, nous disons que la perception est basée sur des expériences de ceux qui nous côtoient dans nos pays. Le plus important est de pouvoir s’armer des outils qui permettent de s’attaquer aux causes profondes pour combattre la corruption.

Interview réalisée par Abdoul Malick Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 669 91 93 06

Créé le 5 février 2021 14:35

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