Hadja Andrée: « Sékou Touré était un homme très droit qui aimait son peuple… »

Hadja Andrée Touré

CONAKRY-Hadja Andrée Touré, la veuve de feu Ahmed Sékou Touré, premier président de la Guinée indépendante vient de briser le silence à nouveau. A l'occasion de la célébration du 62ème anniversaire de l'indépendance de la Guinée, Africaguinee.com l'a rencontré chez elle à Coléah. Dans cette interview, l'ex première dame revient sur cette date historique qui symbolise la fin de l'occupation coloniale française. Pour en arriver là, les acteurs politiques d’alors, ont mis de côté leurs égos pour le vote du Non le 28 septembre 1958, qui a débouché sur la proclamation de l'indépendance le 02 octobre de la même année.


L’épouse de feu Ahmed Sékou Touré, Mme Andrée Touré aujourd’hui âgée de 86 ans, nous a replongé dans cette page de l'histoire de de la Guinée.

AFRICAGUINEE.COM : La Guinée a 62 ans en ce 2 octobre 2020. Que représente cette date pour vous ?

HADJA ANDREE TOURE : Cette date représente beaucoup pour moi et tous les guinéens. Parce que c’est la date à laquelle nous avons proclamé notre indépendance. Ça c’est une chose inoubliable. Etre indépendant c’est une grande signification. Mais je vois maintenant que ça se passe, comme si ça ne représentait pas grand-chose. Au temps de Sékou Touré, quand l’anniversaire arrivait, c’est le peuple entier qui célébrait. On faisait des grandes cérémonies : défiler au stade, des jeunes défilaient, il y avait la tribune colorée, tout le monde participait. Les femmes préparaient à manger très tôt, couvrir le repas pour que ça reste chaud, et allait aux défilés. Tout le monde assistait. 

Parlez-nous du vote historique du 28 septembre…

Le Général De gaule à l’époque chef de l’Etat français, a fait une tournée sur tous les territoires colonies françaises d’Afrique. Il a demandé de voter Oui au référendum qui sera organisé. En votant, Oui, l’Afrique acceptait de rester sur le territoire colonial français. Conakry n’était pas prévue. Mais quelqu’un lui a dit de venir, De gaule tout ce que Sékou Touré dira, c’est ce qu’il fera. Quand mon mari a su que De gaule devait venir, il a sensibilisé la population. Il dit qu’il faut faire une grande réception pour le général De gaule parce que c’est un patriote, il aime son pays, nous devons l’accueillir avec tous les honneurs. La population s’est mobilisée De gaule a été reçu de l’aéroport jusqu’au palais du gouverneur, les deux côtés de la route étaient bondés du monde. Les gens sont sortis massivement l’accueillir.  

Et quand ils sont arrivés maintenant chez le gouverneur, c’est là où De gaule devrait habiter. Mon mari est resté avec eux pendant longtemps, ils causaient. Mon mari avait fait son discours, il lui a remis copie de son discours. Peut-être que De gaule n’a pas eu le temps de lire, ou en tout cas il n’avait bien compris le contenu. Et à l’heure convenue, ils sont allés à pieds. La conférence devrait se tenir à l’Assemblée territoriale qui n’est pas loin du palais du gouverneur. Là-bas, la population s’était fortement mobilisée pour accueillir De gaule.

Le président de l’Assemblée territoriale c’était Diallo Sayfoulaye. Celui-ci a fait le discours de bienvenu, avec des mots très chaleureux. Après lui, c’est le président Sékou Touré qui a pris la parole. Il a dit entre autre, ‘’que l’histoire ne retiendra pas que la France a voulu nous donner l’indépendance et que nous avons dit que nous préférons rester colonisés. Lui il dit au nom de l’Afrique et au nom de la Guinée, qu’il votera Non à ce référendum’’. Alors c’est là que De gaule s’est fâché. Il a changé de visage parce que tous les autres avaient promis que Sékou Touré allait voter pour le ‘’Oui’’ à ce référendum-là.

C’est ainsi que De gaule a pris la parole, il a dit : « on a parlé d’indépendance ici ou d’ailleurs, que l’indépendance est à la disposition de la Guinée, elle peut la prendre en votant Non à la proposition qui lui ait faite au référendum. Dans ces conditions la France ne fera pas d’opposition. Elle en tirera les conséquences et la Guinée prendra la voie qu’elle désire. » Alors-là c’est toute la population qui a acclamé cela parce que De gaule s’était engagé. Ces paroles De gaule, les français ont tout fait mais ils ne pouvaient rien changer. C’est à partir de cela que tout a commencé. Après là-bas, ils se sont retournés chez le gouverneur, mais l’atmosphère était déjà très tendue. Parce que les colons savaient, ce que Sékou Touré disait, c’est ce qu’il faisait. Il y avait un banquet qui était prévu, ils ont annulé cela. Moi j’étais à la maison, ce sont les amis, (les Fodéba Keita) qui sont venus me chercher pour que nous allions à la réception chez le gouverneur. En rentrant, c’est mon mari et de Gaulle qui réceptionnaient les hôtes, dès que nous sommes arrivés, ce sont les huissiers qui me connaissaient mais ils n’ont pas fait attention, ils ont dit ‘’AH monsieur et Madame Sékou Touré’’ alors que je n'étais pas avec mon mari. J’ai vu Dé Gaulle sursauter alors qu’il était avec Sékou Touré. Le banquet a été annulé, mais l’essentiel est qu’on a eu ce qu’on cherchait.

Quelle stratégie le PGD-RDA a utilisé pendant la campagne ?

Le PDG-RDA s’est mis à sensibiliser parce qu’il fallait tout pour qu’il n’y ait pas de désordre parce que n’importe quel petit désordre pouvait annuler les résultats du référendum. Et le jour du scrutin, les populations qui étaient préparées par le PDG sont massivement sortis pour aller voter. La consigne qui a été donnée est d’aller voter et rentrer tranquillement à la maison. Il y a un journaliste qui m’a dit que ce jour-là Conakry était comme une ville morte. Le seul bruit qu’on pouvait entendre, c’est celui des chars de combat qui étaient sortis du camp et sillonnaient la ville. Tout était calme.

Après la victoire du NON, la France décide de punir le jeune Etat qu’est la Guinée. Comment le jeune Etat a-t-il pu faire face à cela ?  

Après le référendum, le nouveau commissaire de la France qui était là, a décidé de faire venir plusieurs militaires français. Il a profité de ce temps puisque Sékou Touré était occupé avec les élections, ce commissaire a envoyé ces militaires à la banque de Guinée. Ils sont allés à la banque, l’ont ouvert et pris tous les avoirs de la Guinée. Tout ce qu’on avait comme argent dans la banque, ils ont tout pris. Les militaires français qui étaient venus pour cette mission, ont mis ces biens dans un bateau. L’expert, 30 ans après l’évènement, lui a prévenu son gouvernement que le bateau était en route. Le ministre des finances de France de l’époque a dit que ‘’ l’argent-là n’appartient pas à la France. C’est pour a Guinée’’.

La Guinée devient un Etat indépendant qui débute avec zéro franc. C’est le président du Ghana, Kwame Kourouma qui a fait un prêt sans intérêt à la Guinée. C’est avec ça qu’on commencé.

Qui sont ces compagnons de luttes de Sékou Touré ?

Il y avait les Sayfoulaye, Lansana Béavogui, et puis les autres et mêmes ceux qui à l’époque, n’étaient pas avec lui, mais chacun voulait l’indépendance. Mais ils sont venus voir Sékou Touré pour adhérer à sa démarche parce qu’ils ont dit qu’ils allaient demander leurs militants de voter pour l’indépendance. C’est la Guinée entière qui était mobilisée.

Le président Ahmed Sékou Touré c’est 26 ans de règne. Un dictateur sanguinaire pour certains, un héros pour d’autres. Comment le décririez-vous, si on vous posait cette question ?

Peut-être que je ne suis pas la mieux placée pour parler de ça. Mais moi, l’homme que j’ai connu était un homme très droit et il aimait son peuple. Il aimait la Guinée et les guinéens. Vous imaginez qu’à l’époque les études étaient gratuites pour tous les enfants. D’abord, dès que l’enfant avait l’âge d’aller à l’école, il était obligatoirement inscrit. Les parents ne payaient rien. Et si par chance, l’enfant était intelligent, il avait une bourse. On avait des boursiers dans plusieurs pays, en France, aux Etats-Unis, tous payés par l’Etat guinéen. Les tenues-là ont été faites par le président Sékou Touré pour que tout mode ait la chance d’en avoir. C’est pour cela, il a pris le blanc, ‘’ il a dit, ça c’est facile à avoir’’.

L’unité nationale est en difficulté aujourd’hui, quel appel avez-vous à lancer au peuple de Guinée ?

Je pense que nous devons nous unir. Sans l’union le pays ne se développe pas. Il faut qu’on se donne la main. Personne d’autre ne viendra le faire. Nous devons être conscients de cela pour développer ce pays. Je pense que les femmes ont un grand rôle à jouer, parce que c’est nous qui élevons les enfants, nous donnons le sentiment à nos enfants que l’unité dans la diversité. 

Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 664-72-76-28

Créé le 3 octobre 2020 19:07

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