La corruption au cœur de la délivrance du passeport : une gangrène qui « ruine » les guinéens…
CONAKRY-Obtenir un passeport est devenu un véritable casse-tête pour les citoyens guinéens. Si officiellement le prix du fameux sésame est fixé à 500 mille francs guinéens, soit un peu moins de 50 euros, aujourd’hui certains déboursent des fortunes pour avoir ce document de voyage. Surtout lorsqu'ils ont envie d’obtenir dans un délai raisonnable, le "carnet" indispensable au voyage par voie aérienne.
Nombreux sont ces citoyens qui se rendent chaque matin au ministère de la sécurité sise au quartier Coléah dans la commune de Matam pour renouveler ou pour faire leur passeport. Ils se font écumer par des intermédiaires mercantiles qui proposent leurs services pour accélérer le processus de délivrance du passeport. Sur les lieux, on constate une corruption presque qu'à ciel ouvert. Des citoyens acceptent "la mort dans l'âme", malgré eux, de payer des frais supplémentaires sur le prix officiel pour l'obtention du passeport, qui leur revient portant de DROIT. A entendre certains, c'est comme si cette forme de corruption était la norme. Le refus de "graisser" les pattes d'un intermédiaire serait l'exception. Du coup, ce sont des millions de nos francs que les agents soutirent chaque jour à des citoyens "indolents" qui souhaitent rentrer vite en possession de leur document de voyage.
Selon le constat fait par un journaliste de notre rédaction, parmi ces citoyens, il y en a de toutes les catégories. Des jeunes étudiants qui veulent voyager à l'étranger pour continuer leurs études, des personnes qui traînent des maladies qui veulent se rendre à l’étranger pour se faire soigner, mais aussi d'autres citoyens guinéens de la diaspora venus, pour certains, uniquement pour renouveler leur passeport, ou des commerçants qui veulent voyager pour acheter des marchandises à l’étranger.
Sur place, notre reporter a interrogé certains parmi eux. Mais par peur d’être démasqué par les agents qui leur soutirent de l'argent, ces personnes ont témoigné sous couvert d’anonymat. ‘’Nous avons peur d’intervenir pour ne pas qu’ils nous reconnaissent et qu’ils bloquent nos dossiers ou qu’ils gâtent nos passeports’', nous a murmuré ces quelques rares citoyens qui ont accepté de témoigner.
M.B réside actuellement à Kindia. Ce citoyen guinéen veut retourner en Europe où il vit depuis maintenant plusieurs années. Venu rendre visite à sa famille dans sa ville natale, ce quadragénaire dit être bloqué ici à cause du coronavirus. Il profite de cette occasion pour renouveler son passeport qui va expirer dans quelques jours. Chose qui lui coûte "les yeux de la tête".
« A Coléah ici nous souffrons énormément. Personnellement je viens de Kindia et c’est la deuxième fois que je viens à Conakry pour le renouvellement de mon passeport. Mais jusqu’à présent, je n’arrive pas à le faire. Pour la première fois, je suis venu ici, j’ai rencontré un monsieur qui a promis de m’aider, il m’a demandé tous mes documents et il les a déposés. Ensuite il m’a demandé de rentrer et de revenir le lendemain avec le ‘’prix de cola’’ 300 mille fg (un peu moins de 30 euros). Chose que j’avais faite. Après il m’a demandé de rentrer en me promettant que lorsque le document sera prêt, il allait me contacter. Dès qu’il m’a contacté, j’ai bougé et depuis hier je suis là mais je ne comprends rien. J’ai dépensé de l’argent dans le vide. Imaginez le transport entre Conakry-Kindia en plus l'état de la route. Si j'évalue les dépenses, ça avoisine un million de francs guinéens, sans compter les frais du voyage Conakry-Kindia. J’ai dépensé 800 mille francs guinéens juste pour le prix de mon passeport », nous a confié MB avant de lancer un appel aux autorités.
« Je demande aux autorités de revoir leur stratégie. Ils n’ont qu’à aider leurs citoyens. Ce n’est pas forcément les riches qui viennent ici pour chercher des passeports. Il y a de ces personnes qui viennent ici pour chercher des passeports uniquement pour aller se faire soigner, d’autres pour aller étudier, ainsi de suite. Ça fait plus de deux semaines depuis que j’ai engagé cette procédure mais jusqu’à présent on nous fait tourner ici comme des bébés », dénonce M.B.
A.A.D lui nous a fait savoir que ses documents ont fait de 10 jours à Coléah mais jusqu’à présent il ne connait pas la suite. Et pour accélérer les choses, il a dû graisser la patte à quelqu'un, en payant encore un montant équivalent à la moitié du prix initial du passeport.
« Cela fait maintenant plus de 10 jours depuis que j’ai déposé mes documents pour renouveler mon passeport. Mais comme je n’avais pas quelqu’un qui appuyait mon dossier jusqu’à présent ça traine. L’autre fois on m’a programmé, je suis venu et on m’a dit que leurs machines étaient tombées en panne et qu'ils n’avaient pas pu travailler. Ensuite on m’a demandé de revenir. Lorsque je suis revenu, je me suis arrangé à trouver quelqu’un ici qui s’occupe maintenant de mon dossier. Je l’ai payé à 250 mille fg. Maintenant pour un simple passeport, j’ai payé 750 mille sans compter les frais de mon déplacement », explique AAD.
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A.B que nous avons trouvé sur les lieux confie qu'elle étudie à l’étranger. Mais faute d’avoir un nouveau passeport, elle risque de perdre cette année scolaire. Pour le renouvellement de son passeport, A.D nous dit avoir dépensé pour le moment 950.000 GNF, soit près de 100 euros.
«Moi je suis là juste pour renouveler mon passeport afin que je puisse rentrer au Sénégal pour continuer mes études. Mais depuis 2 jours maintenant je suis là. Hier on est restés là du matin au soir juste pour l’interview. Pour que mon dossier passe en priorité, on m’a proposé de payer 250 mille, j’ai payé ça hier. Aujourd’hui je suis venue le monsieur qui avait pris mon argent, je l'ai pas vu, il est 14h comme ça alors que depuis 8h je suis là. Un ami m’a mis en contact avec quelqu’un qui travaille ici pour qu’il puisse suivre mon dossier. Je suis obligée maintenant de le payer lui aussi. Ce dernier me demande de payer 200 mille encore. Maintenant en tout je vais payer 950 mille fg juste pour le prix du passeport. En plus de ça, je dois payer 650.000 gnf pour faire le test de COVID-19 avant de bouger d'ici. Une fois arrivée au Sénégal on me dit encore que je dois payer aussi 40 mille Fcfa pour le test de COVID-avant de quitter l’aéroport. Vous imaginez toutes ces dépenses pour une étudiante comme moi ou quelqu’un dont les parents n’ont pas les moyens », s'insurge cette étudiante avant d’évoquer une autre inquiétude.
« Si je ne récupère pas mon passeport vite je risque de perdre cette année universitaire puisque les frontières terrestres sont toujours fermées et mes camarades ont déjà débuté les cours pour finaliser l’année scolaire 2019-2020. Déjà moi, j’ai perdu plus de 10h de cours et dès après la fin des cours ils vont donner les devoirs de fin d’année », s'inquiète-t-elle.
Au niveau du Ministère de la Sécurité, nous n'avons pas eu de répondant. Aucun responsable n'a accepté de faire un commentaire sur le sujet. Faute de statistiques officielles, il est difficile de chiffrer les sommes versées chaque année comme pot de vin par des citoyens, à des agents travaillant au ministère de la sécurité pour obtenir leur passeport. La corruption est une gangrène devenue presqu'incurable en Guinée. Tous les secteurs sont touchés. Selon les derniers chiffres fournis par l’Agence nationale de lutte contre la corruption, la Guinée accumule chaque année une perte de plus de six cents milliards de francs guinéens (600.000.000.000GNF). C'est dire à quel point l'ampleur du phénomène est grande.
Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel: (00224) 666 134 023
Créé le 31 août 2020 20:14Nous vous proposons aussi
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