Une nouvelle normalité ? Une meilleure normalité !
En cette époque de COVID-19, le grand défi pour la plupart d’entre nous consiste à nous protéger du virus, nous et nos familles, et à nous accrocher à nos emplois. Cela se traduit, pour les décideurs politiques, par une lutte contre la pandémie sans pour autant entraîner de dommages irréversibles à l’économie.
Avec plus de 3 millions de cas et 217 000 victimes du virus dans le monde à ce jour, et la perte attendue de l’équivalent de 305 millions d’emplois dans le monde d’ici fin juin, les enjeux n’ont jamais été aussi élevés. Les gouvernements continuent de suivre les avis scientifiques à la recherche des meilleures solutions, tout en renonçant aux avantages évidents d’un renforcement de la coopération internationale pour construire la réponse mondiale nécessaire à ce défi mondial.
Alors qu’il faut encore gagner la guerre contre le COVID-19, il semble de plus en plus évident que ce qui nous attend après cette victoire, c’est une «nouvelle normalité» dans l’organisation de la société et la manière de travailler.
Ce n’est pas très rassurant.
Parce que personne n’est en mesure de dire ce que sera cette nouvelle normalité. Car le message est qu’elle sera dictée par les contraintes imposées par la pandémie, et non pas par nos choix et nos préférences. Et parce qu’on a déjà entendu ce refrain. Le mantra à la mode durant le crash de 2008-09 était qu’une fois qu’on aurait trouvé et appliqué un vaccin contre le virus des excès financiers, l’économie mondiale serait plus sûre, plus équitable et plus durable. Or il n’en a rien été. On a restauré plus que jamais l’ancienne normalité, et ceux qui étaient tout en bas de l’échelle des marchés du travail se sont retrouvés encore plus bas.
Le 1er mai, Journée internationale du travail, est donc une bonne occasion pour examiner de plus près cette nouvelle normalité, en commençant par en faire une normalité meilleure, non pas pour ceux qui sont déjà très riches, mais pour ceux qui ne le sont manifestement pas assez.
Cette pandémie a mis cruellement en évidence la précarité et les injustices extraordinaires de notre monde du travail. Les moyens de subsistance de ceux qui sont dans l’économie informelle sont décimés – là où se situent six travailleurs sur dix – et nos collègues du Programme alimentaire mondial ont déclenché l’alerte sur la pandémie de faim qui arrive. Ce sont les lacunes béantes des systèmes de protection sociale, même dans les pays les plus riches, qui ont plongé des millions de personnes dans la misère. C’est l’incapacité à garantir la sécurité sur les lieux de travail qui condamne près de 3 millions de personnes à mourir chaque année à cause de leur travail. Et c’est la dynamique incontrôlée de l’accroissement des inégalités qui révèle que si, au niveau médical, le virus ne fait pas de discrimination entre ses victimes, son impact socioéconomique crée une discrimination brutale contre les plus pauvres et ceux qui n’ont aucun pouvoir.
Devant ce phénomène, la seule chose qui devrait nous surprendre, c’est que nous sommes surpris. Avant la pandémie, ces déficits manifestes de travail décent se manifestaient la plupart du temps par des épisodes individuels de désespoir silencieux. Il a fallu la catastrophe du COVID-19 pour les rassembler en ce cataclysme social collectif que le monde connaît actuellement. Mais on l’a toujours su: on a tout simplement choisi de ne pas s’en occuper. En gros, les choix politiques, par action ou par omission, ont accentué le problème au lieu de le réduire.
Il y a cinquante-deux ans, Martin Luther King, dans un discours adressé aux travailleurs en grève des services d’assainissement la veille de son assassinat, rappelait au monde la dignité de tout travail. Aujourd’hui, le virus met aussi en évidence le rôle toujours essentiel et parfois héroïque des travailleurs de cette pandémie qui sont des héros. Des gens qui sont habituellement invisibles, mal considérés, sous-évalués, souvent ignorés. Le personnel de santé et les travailleurs des soins à la personne, les agents de nettoyage, les caissiers des supermarchés, les travailleurs du transport – qui font trop souvent partie des travailleurs pauvres qui vivent dans la précarité.
Aujourd’hui, ce déni de leur dignité, et de celle de millions d’autres travailleurs, est le symbole des échecs politiques passés et de nos responsabilités de demain.
Nous espérons que le 1er mai de l’année prochaine, l’urgence pressante du COVID-19 sera derrière nous. Nous devrons alors nous atteler à la construction d’un avenir du travail qui s’attaque aux injustices mises en lumière par la pandémie, et aux défis permanents du climat et de la transition numérique et démographique qui ne peuvent plus être repoussés.
Voilà la définition de la nouvelle normalité qui doit être un héritage durable de l’urgence sanitaire mondiale de 2020.
Guy Ryder, Directeur Général, Organisation Internationale du Travail
Créé le 1 mai 2020 01:33Nous vous proposons aussi
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