Cas du FMI, suspension des importations: Ce qu’en pense Bah Oury…

BAH Oury dans les locaux d'Africaguinee.com

CONAKRY-Invoquant des alertes sur des menaces d’attaques terroristes, le gouvernement guinéen a décidé de suspendre toutes les importations de marchandises par voie terrestre. Cette mesure controversée  qui irrite la colère des transporteurs et des opérateurs économiques, interpelle Bah Oury. Dans une interview qu’il nous a accordée ce lundi 10 février 2020, le leader de l’UDD prévient le gouvernement sur le retour du bâton. Dans cet entretien exclusif, l’opposant a aussi donné sa lecture sur la suspension des activités du FMI en Guinée.


AFRICAGUINEE.COM : Le Fond Monétaire International (FMI) a décidé de suspendre toutes ses activités en Guinée. Comment vous appréciez  cette décision du FMI ?

BAH OURY : Je pense que cette décision est une forme d’alerte pour indiquer aux autorités guinéennes de faire de beaucoup plus de retenues et de responsabilités dans les circonstances particulièrement tendues où les autorités souhaitent changer la constitution. Donc cette décision est un signal pour indiquer que la situation n’est pas bonne en Guinée.

La représentation de l’institution en Guinée a indiqué que c’est n’est pas une situation spécifique à la Guinée. Vous y croyez ?

Vous savez, il y a des moyens très diplomatiques de ne pas s’impliquer dans le débat interne où les positions sont relativement très tendues entre les différents protagonistes. Le FMI ne demande pas à être utilisé dans une campagne pour ou contre. Elle préfère se mettre en marge dans une position de retrait relatif, c’est tout à fait diplomatique. Dans les pays où les choses fonctionnent  correctement au point de vue de l’organisation des processus politiques, le FMI n’a pas besoin de suspendre  ses activités dans ses pays. Si tel était le cas en Guinée, il n’aurait pas suspendu. Comme je l’ai dit tantôt, c’est une forme d’alerte pour marquer leur défiance par rapport à une opération politique qui présente des dangers pour la stabilité et même pour la gestion macro-économique de la Guinée dans son ensemble.

La Guinée a entamé un programme avec le FMI, nous sommes à la 4ème revue qui a été conclue en octobre dernier. Pensez-vous que cette suspension aura un impact négatif sur l’économie du pays ?

La Guinée a eu droit à beaucoup de mansuétudes  de la part du FMI durant ces dernières années. Nous avons obtenu très tardivement l’atteinte du point d’achèvement en 2011. Les instances internationales ont dans une certaine mesure été relativement complaisantes en estimant que la Guinée vient de loin. Donc ça ne sert à rien et c’est de loin contre-productif d’être extrêmement rigoureux par rapport au respect des recommandations. Il vaut mieux avoir une position relativement souple à l’égard d’un pays qui a été marqué par des instabilités politiques sur une très longue durée et qui a été aussi victime de l’épidémie d’Ebola. Ces éléments ont joué pour permettre aux autorités guinéennes de surfer sur une relative complaisance de ces organisations financières. Maintenant les choses deviennent beaucoup plus ardues.

Si au début il y avait une certaine empathie vis-à-vis des programmes gouvernementaux, beaucoup d’acteurs estiment que maintenant les masques sont tombés et qu’il y a une volonté effrénée d’aller à l’encontre de l’indispensable nécessité de promouvoir une meilleure gouvernance. Donc d’asseoir une économie beaucoup plus performante, des ambitions à caractère beaucoup plus politicienne l’emporte sur toutes les questions de rigueur et de responsabilité dans la gestion économique. Donc il faut faire preuve de beaucoup plus de fermeté pour ne pas être accusé d’être complaisant vis-à-vis d’une gestion gouvernementale qui ne correspond pas à un certain respect de l’orthodoxie telle que le FMI le fait prévaloir dans certains pays.

Dans la même foulée le gouvernement a pris une décision qui a surpris plus d’un. Il s’agit de l’interdiction des importations des marchandises par les voies terrestres. Quelles conséquences cette décision peut-elle engendrées pour la Guinée dont l’économie est déjà groggy ?

Lorsque des décisions de ce genre interviennent dans un pays, c’est un réflexe qui est ancré dans une mentalité d’autoritarisme croyant que d’une manière autoritaire influer sur les situations économiques. Pour être beaucoup plus explicite, lorsque vous faites ça, vous étouffez l’activité économique à l’intérieur du pays par rapports aux besoins des devises. Puisque les importations par voie terrestre ne pourront pas être reçues. Les acteurs économiques ne pourront plus importer et n’auront  pas besoins de devises. La loi économique de l’offre et de la demande (…), si la demande en devise devient faible, il va de soi que le cours des devises va baisser. Par conséquent cela peut avoir un effet automatique de relever le cours du Francs guinéens par rapport à ces devises. Vous savez, l’impact de l’inflation en Guinée c’est beaucoup plus l’impact monétaire qui joue plus sur les autres aspects. Donc le cours du GNF (franc guinéen) monte, ils espèrent par ce biais-là faire baisser ou stabiliser le prix des denrées de premières nécessités au niveau des ménages. Parce que derrière cela il faut éviter une explosion de la colère populaire avec des prix qui vont monter et les populations dans ce cadre-là risquent d’exprimer de manière beaucoup plus bruyante leur colère.

Cela va pousser à cette hausse de prix en plus de la pénurie et c’est surtout ce qui est encore plus grave. Politiquement aussi, vous vous heurtez au facteur essentiel de la croissance économique. Les gens savent que près de 70% de l’économie guinéenne est issue du secteur informel. Vous vous attaquer par ce biais au secteur informel qui produit plus de 70%  à votre croissance économique, vous êtes en train dans une certaine mesure de détruire votre économie. Là, les effets pervers tant sur le plan, économique, social et politique sont de loin beaucoup plus désastreux qu’une gestion traditionnelle de l’économie en ne fermant pas les frontières.

Pour  motiver  cette décision, les autorités ont invoqué des alertes de menaces d’attaques terroristes qu’elles auraient reçues. Qu’en pensez-vous ?

Cela n’a pas de réalité ! Si ce sont des attaques ou la présence des armes à l’intérieur du pays, il ne faut pas oublier que la région Ouest africaine est sujette au trafic d’armes. Ce qui existe depuis très longtemps d’ailleurs. S’ils craignent que des armes n’entrent dans le territoire national il va de soi que c’est peine perdue puisqu’en réalité les armes sont dans le territoire national depuis très longtemps.

Cette décision n’est-elle pas aux antipodes du souhait de la CEDEAO et de l’Union africaine dans l’objectif d’une zone de libre-échange continentale ?

Je ne sais pas ce qui motive les autorités gouvernementales guinéennes dans leurs choix économiques et même dans leurs décisions tel qu’on le constate maintenant. Ça manque de sens, de retenue. J’ai l’impression que ce sont beaucoup plus des réflexes qui sont hérités de la gestion d’il y a plus de quarante ans de ce pays qui consiste à se retrouver dans un ilot croyant qu’on peut reconstituer une entité complètement isolée du reste de l’ouest africain. C’est peine perdue, au contraire tout cela est contreproductif. Cela remet en cause les conventions que la Guinée a signées tant en ce qui concerne la liberté de circulation des biens et des personnes pour le cas de la CEDEAO et aussi cette zone économique continentale que la Guinée a ratifié. Tout cela ne cadre pas avec cette logique où il faut avoir un marché beaucoup plus vaste. Vous ne pouvez pas fermer les importations et croire que les autres pays vont aussi vous laisser faire. Cette réciprocité se pose, je sais que d’autres pays essayent de manager les autorités guinéennes mais si les importations par voie terrestre ne peuvent pas rentrer dans leur territoire national, les autres pays par réaction vont aussi interdire l’entrée dans leur territoire les exportations guinéennes. C’est de bonne guerre.

Là on aura que nos yeux pour pleurer parce qu’en fin  de compte on aggrave la situation économique du pays, on tuera un secteur informel qui est depuis des décennies l’un des principaux facteurs de croissance dans le pays. La pénurie existera parce qu’une bonne partie de ce que nous consommons vient de l’étranger et en plus la pauvreté va s’accentuer, les marchés qui existent à l’intérieur du pays vont être brimés. Cela a vraiment manqué de réflexion et de prise en compte des réalités et des enjeux tant économiques que sociaux que cela va poser.

Est-ce que tout  ceci ne témoigne pas une certaine panique par rapport à une situation qui s’annonce explosive ?

Quand vous avez beaucoup d’adversité, la règle de sagesse demande à ce que vous diminuez le nombre d’adversités auxquelles vous êtes confrontés. Mais si vous en rajoutez par votre propre faute, alors peut être que c’est une certaine forme de malédiction qui vous poursuit.

A suivre…

Interview réalisée par Diallo Boubacar 1 &

Bah Boubacar Loudah

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224)  655 311 112

Créé le 10 février 2020 19:42

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