Guinée :Une mesure du Gouvernement passe mal chez les commerçants !
KOUNDARA-La décision du gouvernement guinéen d’interdire les importations de marchandises par la voie terrestre engendre de lourdes conséquences. La mesure controversée prise de manière unilatérale risque de plomber l’activité économique, et entrainer une hausse des prix sur le marché alors que le Fonds Monétaire International (FMI) a décidé d’arrêter son programme en Guinée. Les opérateurs économiques sont dans le qui-vive depuis la rentrée en vigueur de cette mesure.
Les commerçants qui font la navette entre la Guinée et les pays voisins n’ont pas l’esprit tranquille. L’anxiété est palpable alors que les autorités guinéennes qui n’ont donné aucun préavis justifient leur décision par des alertes «de menaces d’attaques terroristes et d’introduction d’armes sur le territoire national ». Conséquences du climat politique tendu depuis octobre dernier, la prise de cette mesure est vertement critiquée. Quand la mesure tombait, beaucoup de gros porteurs étaient bloqués à la frontière de Sambailo. Ils viennent d’être libérés suite à une fouille systématique, mais l’anxiété est présente chez les commerçants qui demandent l’intervention du Chef de l’Etat.
« Au moment où la décision tombait, beaucoup de véhicules étaient en route pour sortir de la Guinée ou pour rentrer. Donc hier vendredi, beaucoup de véhicules étaient arrivés à la frontière. Comme c’est une mesure sécuritaire pas restrictive, il a été décidé de faire une fouille systématique des véhicules arrivés notamment les camions. Ils ont été libérés pour ne pas que les produits chargés pourrissent sur place. Je pense que la mesure s’appliquera à partir de la semaine prochaine parce qu’au moment où elle tombait des véhicules étaient en route. Les autres informations c’est au niveau de nos chefs. À l’heure qu’il fait, la frontière est vide de camions, mais le mouvement des personnes qui voyagent simplement est libre. Même cela risque de baisser dans les prochains jours pour la simple raison que ce qui fait l’affluence c’est ceux qui font le commerce entre la Guinée, le Sénégal et la Gambie mais si la marchandise ne passe pas par là, ils seront obligés de rester chez eux jusqu’à ce que la mesure finissent ou passer par le port », a expliqué un douanier en service à la frontière de Sambailo (Koundara) qui a requis l’anonymat.
Kadiatou Barry, 46 ans fait le commerce entre la Guinée et le Sénégal depuis 21 ans, elle trouve cette mesure gouvernementale difficile à avaler pour quelqu’un qui a un faible capital de commerce. « Je prends des condiments et des fruits dans la périphérie de Labé que je vends sur le territoire sénégalais, après j’achète des tissus ou des habits cousus pour ramener en Guinée revendre aussi. Je n’ai pas assez de moyens, même les frais de douanes payés à la frontière est exorbitant maintenant si on ramène tout au port, c’est une façon d’exclure certains du commerce. Sinon le port est fait pour les conteneurs. Moi, mon fond de commercer ne fait pas 30 millions, je me débrouille juste avec d’autres femmes veuves depuis des années. Quelqu’un qui a 30 millions ne peut pas aller au port, même ceux importent des conteneurs en Guinée se plaignent des taux élevés des frais de dédouanement au port. Nous sommes inquiètes et touchées par la mesure. Si le président Alpha Condé peut entendre le cri de cœur des pauvres, ils peuvent le faire maintenant, nous sommes sans soutien », se lamente cette mère de famille.
Elhadj Sarifou Sengouma Diallo, opérateur économique importe depuis plusieurs années de l’alimentation générale du Sénégal et de la Gambie vers la Guinée par voie terrestre. Trouvé à sa place ce matin, il trouve la décision inadmissible mais se réjouit tout de même de la libération des camions qui étaient à la frontière avant le début de la mesure.
« Cette mesure est difficile pour un pays pauvre comme la Guinée, le pays le plus puissant au monde c’est les USA, même aux Etats-Unis le trafic transfrontalier existe, il est libre. Il faut que l’Etat guinéen revoit cette mesure, ce qui passe par le port n’est pas à la portée de tous. Nous, nous importons du lait, des jus, des boites de conserve en quelque sorte , nous achetons avec des grossistes au Sénégal que nous amenons en Guinée, maintenant si une boite de gloria vendue entre 3500 et 5500 selon la qualité en Guinée qui est arrivé par voie terrestre passe par le port, elle ne sera pas vendu à moins 8000 ou 9000gnf. Si les frontières sont fermées pendant un mois, les prix connaitront une hausse énorme parce que la rareté va s’imposer. On risque d’accuser les commerçants de faire la surenchère alors que c’est l’Etat qui n’a pas pensé aux conséquences d’une telle décision sur sa population. Il faut que le gouvernement revienne sur sa décision pour favoriser les pauvres. La marchandise qui entre par la voie terrestre arrange mieux les citoyens. Le port ce n’est pas pour n’importe quel commerçant. Quelqu’un dont la marchandise se charge sur un taxi ou un camion ne peut pas faire face aux frais du port. Ils seront obligés d’abandonner. Nous prions l’Etat de changer la mesure. Il faut qu’on évolue à l’image de tous les pays, nous ne pouvons pas faire chemin seul surtout en matière de commerce. Dieu merci les camions qui étaient bloqués à la frontière sont libérés cette fois ci. Mais je ne sais pas pour la prochaine fois ce qui va se passer », se plaint cet opérateur économique.
Mamadou Barry faisait le commerce en Guinée Bissau avant de rentrer au pays. Il dit ne pas comprendre la position de l’Etat guinéen vis-à-vis de sa population. « Je ne comprends pas une chose. Alors que tout est cher, on cherche à rendre plus cher encore. L’Etat guinéen devrait réfléchir un peu. Le Sénégal et la Gambie ont des ports comme la Guinée, tout le monde s’approvisionne en Asie. Un guinéen peut acheter quelques choses au Sénégal ou en Gambie tu viens vendre en Guinée avec une marge bénéficiaire bien que légère. (…) Maintenant ils interdisent la marchandise par voie terrestre. A ce que je sache, toutes les marchandises qui viennent au port de Conakry arrivent de l’Asie, de l’Europe ou l’Amérique, personne ne prendra de la marchandise à Dakar pour l’envoyer à Conakry via le port», a indiqué ce commerçant.
Elhadj Sarifou Sengouma Diallo explique que les conséquences de cette mesure sont graves. « Depuis bientôt 40 ans je fais le commerce. Mais les colas, les fruits comme les oranges ou les mangues passent depuis toujours par la voie terrestre même au temps de Sekou Touré. Ce n’est pas des produits industriels comme le Café ou autres. Pour remplir un camion d’orange il faut l’association d’au moins 50 femmes, un camion de colas peut appartenir à une dizaine de personnes, vous verrez quelqu’un qui a moins de 20 kilos dans un camion associé par plusieurs. Ce qu’ils gagnent dedans c’est juste pour nourrir les familles. Le port c’est pour ceux qui importent des véhicules, des motos des conteneurs de téléphones, des bijoux ou autre chose mais pour des produits qu’on consomme localement, ce n’est pas nécessaire à moins qu’il ait une intention de faire souffrir le consommateur. Je prie l’Etat de revoir la mesure. Ce n’est pas seulement les commerçants que ça va toucher. Même le transport sera affecté parce que faute de marchandise à transporter, les chauffeurs et les propriétaires de véhicules seront aussi au chômage. Tout ce que l’Etat percevait à ces postes frontaliers sera aussi affecté », a expliqué ce commerçant.
Il faut noter que l’Etat guinéen indique la mesure fait suite à des problèmes sécuritaires au niveau de nos frontières. La douane envisage d’installer des scanners afin de bien contrôler les contenus des véhicules au niveau des frontières avant que toute marchandise ne passe par la frontière.
Alpha Ousmane Bah (AOB)
Pour africaguinee.com
Tél. :(+224) 664 93 45 45
Créé le 8 février 2020 19:48Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: Economie