À la rencontre de Neene Foutah, artiste et fille de muezzin…

Nene Foutah

PITA- Fille d’un muezzin, Aissatou Bah à l’état-civil, et Neene Foutah son nom d’artiste, a opté pour la musique. Née à Timbi Tounny, localité relevant de la préfecture de Pita, cette artiste pastorale a un parcours singulier.  


Née en 1992, cette étoile montante de la musique pastorale guinéenne a fait ses débuts en musique au Sénégal où elle a passé son enfance auprès de sa tante. Neene Foutah abandonne tôt l’école pour se verser dans la musique urbaine. Mais avant, elle avait suivi une formation en couture pendant neuf ans. 

Dans cette interview, elle nous a parlé de son parcours, de ses projets. Elle a également livré un message à l’endroit des jeunes filles. Exclusif !!!

 

AFRICAGUINEE.COM : Dites-nous d’où est partie l’idée de choisir la musique plutôt qu’un autre métier ?

AISSATOU BAH « NEENE FOUUTAH » : Bonjour mon cher frère. C’est à moi de vous remercier d’avoir effectué le déplacement pour me rencontrer ! Tout a commencé quand j’avais un très jeune âge. Au début, je faisais la danse. Derrière notre domicile à Dakar, des troupes se retrouvaient là pour danser. J’ai commencé par venir suivre leurs pas. Finalement je dansais, mais la passion pour la musique me tenait à cœur. Au moment où il fallait chanter ce qu’on danse dans les balaies africains on me demandait de chanter. Au fur et à mesure j’ai adapté ma voix. C’est comme ça que tout a commencé. 

Vous chantez uniquement la musique pastorale peulh ? 

La musique pastorale est récente. A mes débuts, je faisais du Rap avec un groupe qu’on appel Gun-Sen à Dakar. Ensuite j’ai voulu changer pour faire le reggae. Je suis allée en Gambie où je connaissais une fille qui faisait le reggae. C’est en Gambie que j’ai commencé la mamaya .

Par miracle vous avez abandonné le reggae et la musique urbaine pour vous retrouver dans la musique pastorale ?

C’est à l’occasion d’un spectacle organisé à Senegambia en collaboration avec l’Alliance franco où était invité le groupe africando, quand j’ai fini de jouer sur scène, à ma descente, l’un d’entre eux m’a appelé. Il m’a dit tu es haali poular pourquoi tu ne chantes pas en pular. J’ai répondu que j’aime le reggae.Il me dit ma sœur le reggae que tu fais, c’est la culture d’autrui ce n’est pas propre aux Haalipular. Le groupe Africando avait un contrat de 3 mois avec l’Alliance franco. Quand ils jouaient là je venais suivre. On m’a dit que j’ai une semaine pour faire un tube en pular. Du coup je me suis appliquée, j’ai chanté un premier son en hommage à l’ex président gambien Yaya Jammeh. Il était encore au pouvoir. Ils ont vraiment aimé, ils m’ont dit qu’il n’y a pas mieux que de chanter dans sa propre langue. Les artistes guinéens qui vont en Gambie comme Thierno Mamadou et d’autres me voyaient, m’encourageaient. C’est eux-mêmes qui m’ont motivé à rentrer en Guinée.

Le président Jammeh avait-il su que vous avez chanté pour lui ou quelqu’un de son entourage ?

Et lui, et son entourage avaient découvert le son. Je l’avais même rencontré après, mais je n’avais pas imaginé que ça pouvait arriver à ce point. Mais Dieu réserve à sa créature des surprises inattendues dans la vie. C’était à l’occasion de la célébration annuelle du 22 juillet (date à laquelle Yaya Jammeh a pris le pouvoir en Gambie, en 1994 NDLR). Des artistes se sont mobilisés, accompagnés des associations  et des sérés à la télévision nationale(GRTS) pour faire la fête comme il est de tradition, y compris des Haalipular. Ils se sont mis à chercher un artiste qui a chanté pour le président dans une musique locale alors que tous ceux qui sont connus c’est des jeunes rappeurs. C’est là qu’une dame a dit qu’elle connait une fille qui a chanté pour le président Jammeh. Elle détenait le son sur dans son téléphone, ils ont écouté le son. Par la suite ils m’ont appelé. Le tube n’avait que 4 mois. De passage, j’exprime toute ma reconnaissance à cette dame tante Ragui. On m’a dit de me rendre immédiatement à la télé, j’ai dit que je n’avais pas prévu cela, ils sont venus me chercher à la maison. J’ai présenté le son à la télé. Ce jour, le président Jammeh était absent du pays. Deux semaines après il y a eu la rediffusion à la télé. Il était de retour déjà. C’est là qu’il m’a vu à la télé. 

L’une des ministres de Jammeh du nom de Adjaratou Ndiaye Seydi m’a contacté et m’a invité à me rendre à Kannilai (village natal de Jammeh NDLR), où il y avait une cérémonie grandiose à l’honneur du président aussi. À mon arrivée le président Jammeh m’a exprimé toute sa satisfaction, il m’a fait sourire avec un geste symbolique de reconnaissance. Beaucoup de projets ont été émis ce jour pour m’aider dans ma carrière à travers ses ministres. Malheureusement, c’est dans les mois qui ont suivi qu’il a perdu le pouvoir.  Je me suis dit tout simplement que le destin n’avait pas prévu la suite de mes relations avec le président Jammeh

Le montant que le président vous avait offert s’élevait à combien ?

(Éclats de rires), Ce n’était pas beaucoup comme certains le pensaient mais je peux dire aussi que c’est beaucoup parce que l’honneur que j’ai eu a suffi pour mon bonheur ce jour. J’ai reçu de lui 500.000 dalassi, la monnaie locale gambienne (environs 10 millions de francs guinéens, Ndlr). On m’avait promis un orchestre complet pour m’appuyer, des instructions avaient été données à quelqu’un de l’entourage du président.  Mais comme je vous ai dit, la fin de son règne avait sonné.

Quel est le contenu de la chanson en hommage au président de Jammeh ?

Le contenu était simple. Vous savez que le président Jammeh avait plusieurs surnoms mais il aimait particulièrement ‘’ Djilanka’’. À mon arrivée en Gambie j’ai demandé aux gens pourquoi le président aimait tant ce surnom. On m’a fait savoir que Djilanka veut dire d’abord ‘’le digne qui ne mange pas du restant’’. J’ai pris ça pour le faire en Pular avec quelques phrases et ça m’a ouvert une porte vraiment. Je me suis dit que c’est un grand pas, sachant qu’il y a eu de gens qui ont chanté pour des chefs avec tous les moyens nécessaires, des artistes reconnus mais jamais ils ne les ont rencontrés. 

Après ce son quels sont les autres qui ont suivi qui marquent actuellement vos fans ?

D’abord, après le son Jammeh avec lequel j’ai commencé la musique pastorale, j’ai trouvé nécessaire de faire un tube de reconnaissance à l’endroit de l’association qui m’a ouvert les portes de la présidence gambienne. Ce tube s’appelait Sabou.

Quels sont les centres d’intérêts de vos musiques et vos sources d’inspiration ?

Je ne sais pas ce qui va arriver demain, mais ma vision dans la musique c’est d’abord la paix, l’éducation, l’hygiène, mais aussi et surtout le retour à la source, notre culture, nos coutumes. C’est vrai, pour le moment je ne connais pas très bien la Guinée. Mais le peu que je vois depuis mon retour m’inspire vraiment. Faire ressortir notre mode vestimentaire, nos coutumes, nos villages, la façon de vivre au Foutah dans mes clips, ça me tient à cœur. J’aime chanter sur ça vraiment. Il n’y a pas mieux que ça. C’est à cause de cet amour pour la tradition que certaines personnes m’appellent Mama Africa. J’ai demandé aux gens au lieu de m’appeler Mama Africa, je préfère Neene Fouta. 

Au Foutah, rares sont les familles qui acceptent que leur fils ou fille opte pour la musique. Comment avez-vous réussi à convaincre la vôtre avant de vous lancer dans cette aventure ?

C’est vrai, dans nos familles c’est difficile, mais il faut avouer que kse défaire de quelque chose que nous aimons n’est pas une chose aisée. Même si c’est ramasser les ordures, il faut le faire avec conviction. C’est la même façon qu’il faut expliquer à la famille la portée de ce que vous voulez faire. C’est comme ça que j’ai convaincu la mienne. Je leur ai expliqué qu’on ne sait jamais d’où viendra notre bonheur. Parce que le bien peut sortir du mal comme le mal peut venir du bien. Il suffit de tout faire avec dignité. J’ai dit à ma famille que la culture n’est pas mauvaise et elle n’a pas de frontières. Toute personne peut évoluer dedans sans distinction de lignée. La culture reste la culture, elle ne rejette personne. J’avoue que ça n’a pas été facile au début mais maintenant, ils comprennent que mon travail a de l’importance.

Vous savez aussi, quel que soit ce que vous devenez dans la vie, même si vous êtes un bandit, l’amour de vos parents se manifestera toujours à votre égard. Si je prends le cas de ma mère par exemple, elle n’aime pas la musique du tout, mais elle se demande souvent comment je dois réussir ? Elle s’inquiète pour moi, elle veut que je sois épargnée de tout mal. Le rôle d’une mère se manifeste à tout moment en elle. S’agissant de mon père, il est le principal muezzin du village, je dois le révéler. La famille ou des voisins lui disaient tu laisses ta fille chanter alors que tu es muezzin. Mon père a fini par leur dire « moi je prends le micro pour appeler les fidèles à la prière, si ma fille prend le micro pour chanter, ça ne vient pas de moi. Mais je n’ai pas où la jeter surtout si elle se limite à la musique sans me rapporter d’autres problèmes ».

Neene Fouta ! Avez-vous eu la chance d’aller à l’école ?

Oui j’avais bénéficié de l’égalité des chances comme beaucoup d’autres enfants nés au Sénégal. J’ai étudié jusqu’au niveau du CM2 (6ème année Ndlr), j’ai abandonné après avoir échoué à l’examen CEP. 

L’abandon de vos études ne constitue-t-il pas aujourd’hui un obstacle qui vous freine dans votre carrière ?

Bon c’est vraiment un obstacle. Je rencontre assez de difficultés du fait d’avoir abandonné les études. Je n’ai pas pu continuer, c’est un regret. Imaginez si tu étudies jusqu’à un niveau supérieur tu n’as pas besoin  d’être épaulé par quelqu’un sur certaines choses. A défaut, il faut trouver une personne pour le faire à ta place parce que nous sommes dans un monde de technologie qui exclue ceux qui ne sont pas instruits. C’est pourquoi je demande à tout le monde notamment les enfants de ne pas abandonner les études, parce que l’instruction c’est la clé du monde. 

Parmi les voix pastorales du Foutah, Binta Laly, Fatou Linsan, Lega Bah et autres,  quelle est celle qui vous inspire réellement ?

Parmi toutes les artistes au-delà même de celles que vous venez de citer, c’est Lega Bah que j’aime. Elle m’inspire beaucoup. Mais je vais vous décevoir, je ne l’ai jamais rencontré. Que ça soit dans la vie courante où à un concert. J’aime sa personne et j’aime ses sons. Je l’écoute avec fidélité. De façon générale j’écoute beaucoup les anciens. Comme je vous dis Tantie Lega Bah je l’aime, elle constitue une source d’information pour moi. S’il s’agit d’imiter, c’est chez elle, je ne prends pas ailleurs.  

Quelle est votre situation matrimoniale Neene Fouta ?

Bon Neene Fouta n’est pas mariée et je n’ai pas d’enfants pour le moment. Le mari n’est pas venu d’abord. Dans la vie, chacun a sa chance. Pour les uns, elle arrive tôt pour d’autre ça vient tardivement. Mais dans tout ça, il faut implorer le bonheur. L’autre aspect, quand tu es artiste chez nous, ce n’est pas tout le monde qui va demander votre main, surtout ceux qui ne sont pas artistes. Je n’espère pas avoir un mari artiste parce que je sais que mon père ne me donnera pas à un artiste, je l’ai répété partout. Moi, sa fille d’abord il se demande comment je vais quitter ce monde, sinon beaucoup d’artistes sont venus chez mon père. Mais il a dit clairement il voudrait un mari pour moi qui ne soit pas artiste. Mais étant croyante, je sais que le dernier mot revient à Dieu.

Aujourd’hui le tube le plus consommé, c’est le titre Neene Diaara, ‘’chère mère’’. Est ce qu’il y a d’autres qui marquent le grand public ?

C’est vrai « Neene an Neene Diaara » est aujourd’hui beaucoup consommée par mes fans. Mais il y a d’autres aussi qui cartonnent comme  « Guidho Gagno » ou « Si Guiggol Tabity no yourmi » ; Beaucoup voulaient que je fasse le clip de ce morceau  mais je tenais vraiment à faire sortir la tradition et l’éducation au Fouta qui collaient avec Nene Diaara.

Quelles sont les difficultés majeures au sein de votre équipe ? 

En toute chose il faut être rassembleur. Le propre de l’artiste même c’est de ressembler tout le monde. Pour se faire, il faut être celui qui supporte tout, il faut être celui qui accepte tout, bref il faut avoir le dos large pour diriger une équipe. Chacun vient avec son comportement, son éducation, des caractères difficiles, mais il faut coordonner tout et être au-dessus pour avancer sinon tu risques d’être abandonné par tous. La cohabitation n’est pas facile.

Aujourd’hui je travaille avec une équipe de 7 personnes. C’est avec elle que je compose mon orchestre. J’ai une fille apprentie de Télémelé , un joueur de batterie que j’ai recruté à partir de Conakry, un technicien, deux joueurs de claviers dont l’un qui est venu de Dakar, une autre fille artiste. Donc l’équipe ne fait que grandir. Il arrive des moments où nous ne pouvons pas tout faire seuls. Nous sommes obligés de tendre la main à d’autres, c’est comme ça la vie. Nous faisons tout ensemble ici. J’essaye d’être transparent avec eux en tout, on se partage tout comme dans une famille.

Est-ce que vous avez un album en préparation ?

Bon j’ai rencontré des producteurs ainsi que des structures qui font le management et la production. Mon clip Neene Diaara devrait être coordonné par une structure mais la façon de travailler ici en Guinée n’est pas facile. Pour se plonger dedans il faut négocier pour une bonne issue pour toi, une finalité en quelque sorte, qu’ils gagnent mais toi aussi tu dois gagner. Ceux qui sont derrière toi matin et soir doivent profiter à la hauteur de leurs efforts pour les motiver. Si par exemple tu as un contrat de 3 ans, après cette période il faut qu’on sente un changement positif en toi mais pas de recul. Mais c’est inadmissible de travailler avec un producteur qui t’a trouvé au point 1, après 3 ans tu restes toujours au même point ou tu recules. Si tu prends la musique pastorale aussi il y a une chose qu’il faut corriger, avec un seul morceau ou un clip comme dans mon état actuel, on vous prend pour une star alors que tu n’es rien. On te met dans les tournées jusqu’en Europe si tu veux. À ton retour tu te considères comme une vedette, entre temps on découvre quelqu’un d’autre on t’abandonne pour cette autre personne alors que tu es en retard. Maintenant tu te fais star, vedette tu ne travailles plus et tu t’isoles pour rien. 

S’ils trouvent aussi que tu es inspiré pour faire des chansons à tout moment on te pousse à faire un album à la hâte. Si tu ne fais pas attention c’est le jour de la dédicace qu’un bras de fer va s’engager entre toi et ton producteur, ça peut être la cause la fin de ta carrière. D’autres aussi continuent avec après la dédicace alors qu’ils ne font que manger ta part même si tu tombes malade tu ne peux pas te soigner. Aujourd’hui il y a combien d’artistes qui souffrent sans être en mesure de se soigner, ils s’attendent à des SOS. Ils sont nombreux. 

Voyant tout ça, je préfère travailler pour moi-même à la hauteur de mes moyens. Je vais avancer petit à petit. La musique nécessite la patience pour mieux faire. C’est vrai que l’autoproduction est difficile mais je la préfère à défaut d’avoir un producteur de bonne foi.

Comment la musique vous rapporte actuellement quand on sait que vous n’avez pas un manager ? 

Je me débrouille dans des petits concerts et les mariages. Je fais aussi des tournées dans les différentes localités du Foutah. Mais ce sont les contrats d’animation dans les mariages qui me rapportent beaucoup. S’agissant des tournées je travaille avec quelqu’un dans ce sens. C’est récemment que j’ai commencé une collaboration avec Diawo production. C’est lui qui coordonne les tournées.

Avez-vous embrassez un autre métier avant de virer définitivement dans la musique ?

Effectivement ! J’aime la musique, mais j’ai fait la couture pendant 9 ans. Je suis maitresse déjà dedans. J’ai mon diplôme en couture. Je n’ai pas ouvert un atelier mais je suis ma propre couturière, tous les habits que je porte je les fais-moi-mêmes. Tout ce que vous voyez dans mes clips, c’est cousu par moi et pour moi. Quand-même dans mes projets j’ai envie de faire un grand atelier de couture dans les prochaines années afin de mélanger les deux. 

Un dernier mot ?

Je remercie Africaguinée.com d’être venu me voir. Je suis très touchée par cette opportunité que vous m’avez offerte. Je remercie votre équipe. Je sais que je ne suis pas en mesure de vous déplacer. Reconnaissance à mon équipe aussi. Si vous entendez un artiste c’est aussi ceux qui sont derrière lui. Nous vivons ensemble malgré les difficultés. Ma famille aussi et tous les gens de Pita. Je me rappelle quand je suis venue ici, je n’avais même pas de micro, je prenais tout en location. Aujourd’hui j’ai presque mon matériel au complet. Ce n’est ni mon intelligence, ni ma force c’est grâce au soutien des uns et des autres. Je remercie Monsieur Alpha Oumar Mosquée, directeur de la radio rurale de Pita. Il m’a présenté partout et m’a encouragé. 

 

Interview réalisée par Alpha Ousmane Bah

Pour Africaguinee.com

Tél. : (+224) 664 93 45 45

Créé le 30 novembre 2019 11:06

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