Excision en Guinée : un tabou qui change de visage…
CONAKRY- La Guinée est le deuxième pays au monde qui pratique l’excision. 97% des filles et femmes dont l’âge varie entre 15 et 49 ans ont subi la mutilation génitale féminine selon les données de la dernière enquête démographie de Santé en 2016. Ce fléau qui a des répercussions graves sur la santé physique et psychologie chez la femme se passe aujourd'hui en cachette.
Selon l’UNICEF, près de 200 millions de filles et de femmes sont excisées dans le monde. En Guinée, suite aux multiples répressions, le phénomène de l’excision prend une autre tournure. Les communautés ne font parfois plus de cérémonies traditionnelles. Les méthodes rituelles ont changé dans certaines régions où les exciseuses sont très discrètes pour éviter d’être sanctionnées.
F.N, étudiante de 21 ans a subi l’excision de type clitoridienne à l’âge de 5 ans à Kankan. Elle témoigne le traumatisme qu'elle a vécu ce jour et les séquelles actuelles.
« Le jour de mon excision, c'est mon cousin qui m'as pris avec ma petite sœur ; Il nous a envoyées dans une maison où il n’y avait que des vieilles. On m’a pris avec force et elles ont fait ce qu'elles devaient faire. J’ai pleuré et j’ai crié parce que ça faisait mal. Je me rappelle bien c'était des couteaux, il y avait des lames et ciseaux qu'elles ont utilisées. Quand on est reparti à la maison c'était difficile pour nous d’uriner. Tout était difficile. Aujourd'hui, je ressens des douleurs quand la période arrive (les menstrues, Ndlr) jusqu'à la fin de mes règles. Cette pratique est nuisible aussi aux besoins sexuels. Je refuserais que mon enfant soit mutilé», a raconté F.N sous l’anonymat.
L’excision a de nombreuses conséquences chez la femme, explique un spécialiste de la santé. Selon lui, l’excision peut entrainer la mort, des complications lors de l’accouchement ; elle peut aussi occasionner des fistules obstétricales.
« La petite fille qui subit l’excision peut saigner. Ces saignements peuvent entraîner un état de choc. Elle peut mourir par l’hémorragie et elle a des douleurs intenses parce qu’on le fait sans anesthésie. Ceux qui font l’excision ne savent pas comment s’y prendre avec une hémorragie, ça peut parfois finir par le décès de la personne. A court terme la personne peut avoir une infection sur la zone mutilée. A long terme, quand elle va commencer à entretenir son mari, elle va avoir mal. (…). Il y a aussi des conséquences obstétricales. Si elles tombent enceintes, elles peuvent saigner, avoir des déchirures entrainant des fistules », explique Dr Diallo Boubacar, médecin à la maternité de Donka à Conakry.
Sur le plan psychologie, l’excision peut être à l’origine d’un manque de désire sexuel chez la femme, explique le médecin. « Ce sont des complications psychiques, la femme excisée a des douleurs et souvent elle a des réticences. Deuxièmement, les organes génitaux qu’on enlève, le clitoris est un organe érectile, la femme peut ne pas être sur le plan psychique satisfaite de sa vie conjugale. Dans sa tête, elle peut se dire qu’elle a subi quelque chose qui est en train d’impacter sa vie parce qu’elle s’attend toujours à des complications lors de l’accouchement surtout si c’est le type 3 qui est l’infibulation qui tourne au tour de 6% à 10% en Guinée », précise-t-il, tout en regrettant l'implication du personnel médical dans l’opération de la mutilation génitale féminine.
Poids de l’excision dans la société
L’excision est un phénomène social et une vieille coutume perpétuée de génération en génération dans toutes les régions de la Guinée. Dans certaines communautés guinéennes, on continue à croire qu’exciser une fille, c’est l’inculquer une bonne éducation sexuelle et la conduire à la chasteté jusqu’au mariage.
Rencontrée, une mère de famille nous a expliqué le motif de l’excision. « Nous avons trouvé que nos parents sont en train de faire l’excision. C’est la tradition parce que si la fille n’est pas excisée, elle n’aura pas peur d’un homme sur le plan sexuel comme les femmes sénégalaises. J’ai excisée toutes mes filles et je n’ai jamais demandé leur avis. Elles-mêmes en sont contentes. Leurs amies ont été excisées. A notre temps, quand on excise une fille et qu’elle pleure, ses copines se moquaient d’elles. Donc même si elle avait des douleurs elle était obligée de les dissimuler pour dire qu’elle est forte et courageuse. Après notre excision, nous sommes toujours en bonne santé. Si mes filles me donnent l’autorisation j’exciserais aussi mes petites-filles parce qu’elles pourront s’abstenir des rapports sexuels jusqu’au mariage », explique Mariam, une mère de famille à Conakry.
L’excision et les religions
Pour l’imam Mohamed Ramadan Bah, l’islam recommande l’excision mais dit-il, la sunna à travers des hadiths pose des conditions.
« Lorsque le prophète a trouvé une veille qui pratiquait l’excision à Médine, il l’a conseillée de ne pas abuser et couper de trop (le clitoris, Ndlr). Le prophète ne l’a pas interdit. En ce qui concerne la religion, il n’y a pas un verset coranique qui dit qu’il faut le faire mais il y a des hadiths, c’est-à-dire des paroles du prophète qui l’évoquent. Il dit lorsque les deux circoncis l’homme et la femme se rencontrent, il est obligatoire de faire les grandes ablutions et la purification. C’est à partir de là que la religion se base », soutient Mohamed Ramadan Bah.
Un chrétien interrogé estime à son tour que l’excision n’est nulle part citée dans la bible. « L’excision n’est pas écrite dans la bible. On ne parle que de la circoncision. Le seigneur Jésus avait été circoncis », a déclaré Monsieur Sagno.
Peines et condamnations…
En 2018, 23 cas ont été déférés devant des tribunaux de Guinée pour des faits d’excision, par le ministère de la sécurité à travers l’office pour la protection du genre de l’enfant et des mœurs (l’OPROGEM).
« Quand nous sommes saisis d’un cas d’excision, soit par les plaignants, soit nous l’apprenons comme ça, les auteurs sont poursuivis par la loi. Le code pénal condamne l’excision. Mais avant, nous passons par la phase de la sensibilisation en faisant comprendre aux parents qui pratiquent cette coutume qu’elle n’est pas bonne, de l’abandonner. Au-delà, nous avons la phase répressive, c’est-à-dire quand les auteurs sont dans nos verrous, nous les écoutons, nous les auditionnons sous procès verbal et nous les envoyons devant le tribunal compétent. Pendant l’année 2018, nous avons eu 23 cas d’excision et tous ont été déférés devant les différents tribunaux », affirme Marie Gomez, directrice générale adjointe de l'OPROGEM.
La Guinée a ratifié plusieurs conventions et traités internationaux relatifs à la lutte contre les MGF (mutilations génitales féminines) et l’excision. La Guinée a mis en place des mesures préventives liées aux MGF en votant la loi L10 du 10 juillet 2000 promulguant la loi portant sur la santé de la reproduction. Le code de l’enfant guinéenprévoit des peines contre les MGF dans ses articles 407 à 409.
L’ONG AGUIAS (l'association guinéenne des assistantes sociales) s’active dans tout le pays dans la prévention et la prise en charge des victimes. Cette ONG a mis en place un numéro vert, le 116. Depuis 19 ans, la Présidente de cette structure lutte contre l'excision.
« Nous avons pensé qu'il fallait mettre en place un système d'alerte précoce pour les victimes. Nous avons pu empêcher 92 cas d’excision et il y a un suivi. A ce jour il y a 17 cas de condamnation des exciseuses et leurs complices. Sur ces cas, nous avons rencontré 12 complications chez les victimes qui ont été prises en charge par des médecins à Ignace Deen et au CHU de Donka. Nous avons des médecins avec lesquels nous travaillons », soutient Hadja Aissatou Barry.
En Guinée, cette bataille est aussi celle des hommes. Le directeur exécutif de l’ONG « accompagnement des forces des actions sociocommunautaires (AFASCO) », Fara Djiba Kamano s’implique malgré le tabou.
« Notre ONG travaille pour l’habilitation communautaire qui constitue à faire des sensibilisations dans les villages à travers les dispositions de la protection de l’enfant pour l’accélération de l’abandon des mutilations génitales féminines. J’anime des rencontres et des sensibilisations en communauté. On a aussi des animateurs hommes. L’homme est aussi une victime parce que c’est sa femme qui est excisée dans le pire des cas, il peut vivre les conséquences de cette excision. Aujourd’hui, nous sommes en train de travailler pour que les hommes se lèvent pour dire que cette excision n’est pas une affaire de femmes mais une affaire de développement », a expliqué Fara Djiba Kamano.
Selon ce responsable d'ONG, l’Etat guinéen a engagé des reformes pour améliorer leur travail par la mise en place d’un plan stratégique d’abandon des MGF élaboré en janvier 2019 et en cours de validation pour une durée de 5 ans.
Pourquoi l’excision continue en Guinée ?
Depuis 2009, Plan international accompagne le Gouvernement guinéen à travers des projets sur l’abandon des MGF.
« Il y a des difficultés à changer cette norme sociale. Des fois, il y a le rejet des activités dans certaines communautés, le mépris des agents. Nous utilisons le dialogue pour intégrer les communautés les plus difficiles. Les gens sont hésitants pour ne pas perdre la crédibilité des femmes qui soutiennent leur autorité. D’’autres difficultés liées à l’abandon de la pratique, c’est l’insuffisance de la vulgarisation de la loi du pays et la non application vigoureuse de la loi », interpelle Finda Iffono, Cheffe Projet à Plan International Guinée.
Toutefois, elle se réjouit de la condamnation entre 2014-2018 de plus de 10 exciseuses notamment à Guéckedou. A Kissidougou une infirmière a également été condamnée. Toute chose qui fait dire à madame Iffono qu’il y a des avancées dans cette lutte.
« A ce jour, 40 districts ont déclaré publiquement l’abandon de l’excision. Et ils maintiennent le statut de district sans excision il y a de ça 4 ans. Grâce à la mise en œuvre du projet ‘’Sauvons nos filles de l’excision’’ nous avons à ce jour plus de 1 000 filles sauvées de l’excision dans les 40 districts et 10 quartiers des communes de Kissidougou et Guéckedou ; L’âge de ces filles varie entre 5 à 15 ans. Il y a aussi plus de 10 filles sauvées de l’excision à travers les rites alternatifs d’initiation sans excision qui permet d’éduquer et de transmettre les valeurs positives aux filles sans acte chirurgical. Ces filles sont recensées et passent par une formation dans la case de l’excision. Pendant 4 à 5 jours on utilise les exciseuses reconverties qui vont transmettre les valeurs positives à ces filles. En 2021 nous avons un projet qui sera mise en œuvre à Kissidougou, Guéckédou avec une extension pour Coyah pour une large couverture », annonce-t-elle.
Bah Aissatou
Pour Africaguinee.com
Tél. : (0224) 655 31 11 14
Créé le 9 mars 2019 19:15Nous vous proposons aussi
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