Ibrahima Chérif Bah : « Le secteur de l’énergie est un échec pour Alpha Condé… »
CONAKRY- Quelles pourraient être les conséquences de la mise en circulation de nouvelles coupures de billets en Guinée ? Doit-on craindre une nouvelle inflation qui entraînerait une hausse généralisée des prix des produits sur le marché ? Ce sont là quelques questions que nous avons posées à Ibrahima Chérif Bah, l’ancien Gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée. Avec lui, il a également été question du secteur énergétique qu’il a dépend à sa façon.
AFRICAGUINEEE.COM : La Banque Centrale a mis en circulation de nouvelles coupures monétaires ce 1ermars. Est-ce qu’il n’y aura pas d’effets pervers pour l’économie ?
IBRAHIMA CHERIF BAH : C’est une question de monnaie qui touche la souveraineté nationale. Tous les guinéens seraient touchés par la monnaie, c’est pourquoi nous en parlerons de manière technique. Nous ne voyons pas d’effets pervers dans cela, parce qu’une Banque Centrale y compris la nôtre, a pour rôle de protéger la valeur interne et externe de la monnaie. C’est-à-dire lutter contre l’inflation, avoir un taux de change acceptable par rapport à d’autres monnaies du monde. Et l’autre rôle, il s’agit de l’assainissement de la circulation fiduciaire. Les monnaies qui circulent dans nos poches, dans nos calepins, dans nos maisons, ce sont des billets de banque. Ils doivent être sains, c’est-à-dire propres. Chaque Banque Centrale procède de temps à temps au changement, à l’assainissement de la circulation fiduciaire, en émettant de nouvelles coupures plus propres et plus sécurisées.
Ce qu’on a compris cette fois-ci, il y a bien des coupures plus petites en taille certainement plus sécurisées encore. C’est important parce qu’il faut toujours être en avance sur les faussaires. Chaque fois, il faut un billet de banque plus sécurisé.
Certainement la BCRG veut profiter des dernières technologies en matière de sécurité pour faire ces nouvelles coupures. Un billet de banque est fait sur du papier spécial qui est très cher. Et quand vous fabriquez la monnaie vous y mettez des éléments de sécurité : des symboles nationaux, un barrage, un champ de riz, un arbre, une statuette, une valeur nationale. Tout ceci contribue à rendre le billet bien visible du point de vue artistique. C’est de l’art, la peinture mais aussi pour la sécurité. Certainement, quand les coupures sont plus petites, la BCRG dépense moins d’argent pour la confection. N’oublions pas que produire un billet de 100 francs, de 2 mille francs, de 5 mille, de 10 mille, de 20 mille jusqu’à ailleurs ça coûte beaucoup d’argent. Plus la valeur faciale est faible, plus le coût est élevé. C’est pour cela que les valeurs importantes sont moins chers chez le fabriquant.
Je pense qu’il n’y aucun effet perturbateur, il n’y a pas d’inflation induite, il n’y a rien du tout puisqu’on y met la monnaie en remplacement de la monnaie qu’on retire de la circulation. Vous aurez pendant un certain temps deux valeurs faciales de formats différents qui vont circuler concomitamment. Mais progressivement les anciens billets seront retirés de la circulation et détruits. Et on met à la place des nouvelles coupures. Donc c’est une émission monétaire qui va se produire normalement, on le saura même pas. Il n’y a pas d’inflation induite à cela.
Une nouvelle coupure de 2 mille francs a été mise en circulation cette fois-ci. Qu’est-ce qui selon vous pourrait expliquer cette innovation ?
Peut-être que la BCRG a fait l’étude du marché pour voir que ce billet de 2 mille correspond à une demande. Certainement sur le marché guinéen, il y a plusieurs produits ou marchandises qu’on peut acheter à 2 mille francs. Si le besoin de 2 mille francs se fait ressentir, on le produit et on l’utilise. Surtout que c’est une valeur faciale très faible. Remarquez bien, si les gens veulent tricher ce n’est pas sur les petites coupures, c’est sur les grosses coupures. En Europe, vous ne verrez pratiquement jamais un billet de 500 euros. Pourtant il existe. Mais il ne circule pas beaucoup parce que c’est des billets très prisés par les faussaires eux-mêmes. Ils aiment travailler sérieusement sur ces billets qui ont une grosse valeur. Donc, un billet de 2 mille francs correspond à un besoin du marché en Guinée. Les petites coupures sont utilisables tant que l’économie le demande. Par exemple, si on dit aujourd’hui, le taximètre me demande ma course de Bambeto à Hamdallaye est de 50 francs, sur le marché il y a un besoin de 50 francs qui se produit. Si cette pièce existe, elle aura de la valeur. Elle sera utilisée parce qu’il y a un besoin. Plus la monnaie est forte, ça veut dire plus elle a un pouvoir d’achat local, plus les petites coupures sont utilisées.
Quelle lecture avez-vous du niveau de l’inflation actuellement ?
L’inflation est encore là, apparemment elle est entre 8% et 10% selon le Gouvernement. On n’a pas calculé en tant que parti de l’opposition pour critiquer le Gouvernement. On se fiera au chiffre du Fonds Monétaire qui dit qu’elle est entre 8% et 10% selon les prévisions. Nous allons voir en fin d’année. Il est bien évident que si nous ne travaillons pas, si nous ne produisons pas, si l’agriculture reste faible, si les mines continuent à être exploitées de manière dont cela est fait actuellement, il n’y aura pas assez d’argent pour financer les besoins locaux des guinéens selon leur budget. Et s’il n’y a pas d’argent, et si on fait recours à la BCRG pour les financer, il y aura l’inflation. Cela dépendra de ce que l’économie va faire durant l’année. On est encore au premier trimestre mais les perturbations en matière d’énergie et autres, ne sont pas de bons signes. Les routes qui sont embouteillées, l’économie est ralentie parce qu’il y a des intrants qui lui manquent, notamment ce produit de base important qui est le courant électrique. Les industries vont retarder et vont produire plus cher et vendre plus cher pour récupérer la marge. Ce n’est pas reluisant ce que nous voyons déjà sur le terrain. L’autre côté on transporte encore de la terre. La bauxite est transportée par les camions alors que nous voulons qu’il y ait de l’alumine transportée dans des wagons sécurisés pour avoir une valeur ajoutée locale. Ce qui n’existe nullement aujourd’hui, donc tout ceci fait qu’une valeur ajoutée faible entraine un financement de budget faible par rapport à des besoins qui sont en croissance, l’inflation peut rebondir.
Comment expliquez-vous la reprise des délestages ?
C’est un échec de ce régime du RPG-arc-en-ciel et de son Gouvernement. Il n’y a pas longtemps notre professeur national nous a dit qu’il a mis dans l’énergie plus d’un milliard de dollars. Depuis qu’il est là, cela fait 9 ans et on n’arrive pas à fournir du courant et de l’eau potable aux citoyens pendant que le pays est le château d’Afrique occidentale. Ce sont des erreurs de politique d’investissement, des marchés de gré à gré qui ont été mal faits. Des gens sont partis avec des montants faramineux sans fournir le travail nécessaire. Quand je prends Kaléta, personne ne connait encore le coût réel de Kaléta. Il est certain, ce qui pourrait arriver, qu’il y ait du courant et qui soit très cher. L’accessibilité va manquer. Même actuellement on a ce phénomène-là. Aujourd’hui EDG (Électricité De Guinée, Ndlrà vend le courant à 30% de son coût. Les autres pourcents sont payés par l’Etat dans son budget en termes de subvention. Puisque le Gouvernement sait qu’il n’ose pas facturer le consommateur le coût réel du courant produit au kilowattheure. S’il produit, s’il le fait ce serait une révolte, ce serait insupportable. Ce qui fait qu’il nous facture ce qu’on pourrait payer et le reste l’Etat subventionne.
Cette subvention est due au faite que les coûts de productions sont élevés. Les coûts d’investissement ont été élevés déjà. Ces coûts sont élevés parce qu’il y a eu de la corruption dans l’acquisition d’un groupe, la construction d’un barrage, etc. Tout le chemin, il y a eu de la corruption, des surfacturations et des pertes d’argent. Nous guinéens aujourd’hui, nous payons par notre budget le coût de la corruption dans l’énergie depuis 8 ans, dans le gaspillage. Nous remboursons.
Le Gouvernement se vante pourtant de son bilan dans le secteur énergétique…
Ce n’est pas ce qui important. Il doit pouvoir dire j’ai pu en huit ans satisfaire les besoins des guinéens en terme d’énergie. C’est le résultat de ce qui est fait qui est important. Or aujourd’hui, nous sommes comme il y a dix ans. Il n’y a aucun progrès, les guinéens augmentent en nombre, nos besoins augmentent en quantité, ils font de nouvelles maisons, ils ont de nouvelles machines, il faut des industries pour développer le pays. C’est ce qu’il faut satisfaire, mais ne pas se mettre à citer le passé. Il faut que notre professeur national cesse de parler en opposant. Il faut qu’il parle en Chef d’Etat censé régler nos problèmes actuels. C’est ça que nous voulons. Nous de l’énergie, de l’eau potable, l’emploi des jeunes et l’école guinéenne, etc. Mais rien n’est fait, on piétine et le pays est en panne.
Entretien réalisé par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tél. : (00224) 655 311 112
Créé le 3 mars 2019 11:38Nous vous proposons aussi
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