Hadja Andrée Touré : « Avant de rendre l’âme, mon mari a dit… » (Interview)
CONAKRY- De quoi est mort le premier Président guinéen ? Comment Sékou Touré a vécu ses derniers moments ? Hadja Andrée Touré se souvient encore de la dernière qu’a prononcée son défunt mari avant de rendre l’âme.
Dans cette dernière partie de la longue interview qu’elle nous a accordée, Hadja Andrée Touré est revenue sur les derniers instants qu’elle a passés avec Sékou Touré. De sa maladie jusqu’à son enterrement en passant par son évacuation au Maroc.
Hadja André Touré parle également de l’épineuse question relative à la réconciliation nationale, mais aussi de l’héritage de son mari, notamment des cases Belle-Vue. Exclusivité Africaguinee.com !
Comment avez-vous vécu la période allant de la maladie de votre défunt mari, son évacuation aux Etats-Unis jusqu’à son décès ?
HADJA ANDREE TOURE :Vous savez le président Sékou Touré était quelqu’un qui travaillait beaucoup, il s’est vraiment usé à la tâche, il n’avait pas d’heures ou de jours de repos. Je lui ai même dit de diminuer ce rythme avec son âge qui avançait (…), mais croyez-moi, c’était un bourreau du travail. Le jour où il est tombé malade, il y avait un meeting des jeunes et femmes de la CEDEAO sur l’esplanade du palais du peuple (…), ce jour d’ailleurs, il a confié les destinées du pays à la jeunesse. Après ce meeting il est rentré à la maison puisque la présidence était en rénovation à cause du sommet de l’OUA qui devrait se tenir à Conakry. Mais quand il est rentré, il est allé directement au bureau au lieu d’aller dans sa chambre. C’est quand son frère Ismaël est venu me demander où il était que j’ai compris qu’il était dans son bureau. Lorsqu’on l’a appelé au téléphone il a dit qu’il ne savait pas que sa porte était fermée et qu’il l’avait fait instinctivement. Quand Ismaël est rentré le voir, moi je suis sorti pour aller faire ma toilette et mes prières. A mon retour vers sa chambre, je lui ai apporté sa carafe de quinqueliba (thé chaud à base de feuilles, ndlr) puisqu’il aimait bien ce jus. Dans notre discussion, je lui ai fait savoir qu‘il devait se reposer (…), d’ailleurs moi j’avais commencé à préparer sa retraite politique, c’est ce qui m’a même poussé à faire une plantation à Faranah je me suis dite, certes qu’il ne peut pas abandonner complètement la politique mais il pouvait s’occuper d’autres choses en parallèle. Lui-même il était d’accord pour cela, mais entre-temps il est tombé malade, mais je vous assure que c’est quelqu’un qui tombait rarement malade. Dans son bureau il ne mettait jamais la climatisation et il s’enfermait tout le temps (…), une fois il me dit tu vois, j’ai la fièvre, je lui ai ouvert les volets et il s’est bien senti. Ce jour donc il est rentré dans son bureau, il était un peu malade sans que je ne le sache (…), les gens appelaient de partout y compris les chefs d’Etat parce qu’il préparait la réunion de l’OUA, mais j’ai menti à plusieurs reprises pour leur dire qu’il était à l’intérieur du pays. Pour l’anecdote, le président Seyni Kountché du Niger était fâché avec moi en disant que je lui cachais son frère. J’étais vraiment débordée parce que le numéro du bureau de mon mari était celui de la chambre aussi (…), donc il répondait à tous les appels. Comme j’étais débordée, j’ai appelé le ministre des Affaires Etrangères d’alors qui était Abdoulaye Touré pour m’aider à répondre. C’est au moment où Elhadj Abdoulaye Touré recevait des appels que le roi Hassan II du Maroc a appelé puisque tous voulaient que ce sommet ait lieu à Conakry pour régler assez de problèmes dont celui du Sahara Occidental. C’est ainsi que le ministre a fait savoir au roi que le président est malade ; Etonné, le souverain du Maroc dit qu’il n’a jamais entendu que Sékou Touré est malade. Pour éviter donc que les gens soient alertés, j’ai profité de la nuit pour faire envoyer la voiture présidentielle par la porte de derrière pour le sortir discrètement en compagnie de mon fils Mohamed et mon chauffeur en direction des cases Belle-vue. Il n’avait jamais passé la nuit à la Belle-vue (…), il me disait que ces diables n’aimaient pas là-bas, mais ce jour je l’ai amené à cet endroit. C’est ainsi que le roi Hassan II a fait immédiatement envoyer des médecins généralistes (…). Ce sont ces médecins qui ont diagnostiqué qu’il s’agissait du cœur. C’est le roi du Maroc d’ailleurs qui a prévenu à son tour le roi Fahd de l’Arabie Saoudite, puisque selon Hassan II, la famille Saoud a souvent des problèmes cardiologiques, c’est ainsi que le roi Fahd a dépêché son avion médicalisé avec un spécialiste des maladies du cœur à son bord. C’est après qu’ils se sont décidés de l’évacuer vers les Etats-Unis à Cleveland, chose qu’a réfutée mon mari qui voulait se faire soigner ici en Afrique mais pas aux Etats-Unis. Il fallait donc faire vite et quand on a fini par le convaincre il a accepté d’aller. Mais croyez-moi il n’était pas à ce point malade parce qu’il est monté tout seul dans l’avion sans l’aide de quelqu’un (…), d’ailleurs cet effort nous a été reproché par les médecins. Une fois dans le centre hospitalier qui avait son aéroport d’atterrissage, nous sommes allés directement à la clinique. Directement, on nous a conduits dans notre hôtel qui était à côté aussi et n’ont autorisé que Mohamed à rester aux côtés de son père. Après, le médecin nous a d’ailleurs rassuré qu’il avait 98% de chance de s’en sortir, quand il a entendu cela, le président Sékou Touré même de son lit de malade dit : « l’Homme propose, Dieu dispose », cela a été l’une de ses dernières phrases. Il a ensuite enlevé sa montre, sa bague et me les a tendues. A côté de moi, outre Mohamed, Ami Touré était aussi là (…), elle était contente parce qu’après ce qu’a dit le médecin, elle était rassurée mais moi je n’étais pas tranquille (…), je suis rentrée mais je n’ai pas pu manger. Quelques heures après, dans mon sommeil, à trois reprises, j’entendais une voix qui m’interpellait et à chaque fois que j’ouvre les yeux je ne vois personne, Aminata, stupéfaite me demandait à qui je parlais. D’ailleurs je me suis dit que c’est pendant ce temps même que mon mari rendait l’âme, mais comme on attendait le signal des médecins vers 18 heures je n’ai pas voulu précipité les choses. A l’arrivée des médecins, j’ai directement compris que mon mari était décédé parce que leurs yeux étaient bouffis. Mais comme il l’a dit « l’Homme propose, Dieu dispose ».
Après s’en est suivi les préparatifs du rapatriement du corps, les obsèques. Mais il y a une rumeur qui a circulé pour dire que le corps de Sékou Touré n’a pas atterri en Guinée. Qu’en savez-vous ?
Il y a tellement de mensonges dans ce pays (…). Le corps a été préparé là-bas, il y avait des médecins marocains. Nous avons quitté Cleveland la nuit même pour Conakry sans escale. Ce qui a dérangé les guinéens, ils pensaient qu’on aurait exposé le corps, mais moi je n’ai pas voulu que le corps de mon mari soit exposé. Mais sur le cercueil il y avait une partie ou l’on pouvait voir son visage (…). Après ces rumeurs, je me suis demandé pourquoi le corps du président Sékou Touré ne viendrait pas en Guinée, il était aimé par son peuple, pourquoi donc ne pas envoyer son corps dans son pays. Vous savez, quand sa mort a été annoncée, tous les pays arabes ont organisé la prière des morts pour lui, en général cela ne se fait pas en l’absence du corps. Mais le président Sékou Touré a eu cette exception quand-même. Quand on est arrivé ici à Conakry, le Roi Hassan II a envoyé des oulémas pour recevoir le corps et faire la toilette funèbre et parmi eux, il y avait un descendant directe du prophète Mahomet (PSL). Une fois ici, ils nous ont demandé le linceul, c’est parmi ses tenues de pèlerinage que j’avais préparées qu’on a pris le tissu. Après cette toilette ils m’ont demandé de venir faire les derniers adieux mais pas en compagnie de personnes souillées, parce que ce qu’ils ont vu en lui était rare. Au terme de la toilette et des ablutions, le président Ahmed Sékou Touré a eu comme un sourire, ceci m’a été rapporté par les oulémas même.
A sa mort, nous avons assisté à l’arrivée au pouvoir du CMRN dirigé par Lansana Conté. Comment avez-vous vécu cette époque ?
Ce fut une période assez difficile pour moi quand-même. Le président Sékou Touré est enterré et une semaine après, j’ai été arrêtée et mise en prison pendant quatre années avec mes frères, mes enfants, les compagnons de mon mari. Ce qui m’a fait mal ; ce n’est pas le fait d’être en prison mais le fait que j’avais assez de projets que je devais faire pour la jeunesse. J’avais eu des accords avec le Canada pour la construction d’une école des aveugles pour Kankan, que ce genre de projet échoue comme cela, c’est ce qui me faisait mal. Quand des journalistes ont demandé à ces militaires pourquoi j’étais en prison, ils ont dit que j’y étais pour crime contre l’humanité. J’ai dit qu’ils n’ont qu’à diminuer et dire au moins crime contre la Guinée (Rires…). J’ai fait comme cela à cause de cette bêtise humaine quatre années de prison.
Selon vous, qu’est-ce qui a empêché le premier ministre d’alors, dauphin constitutionnel de votre mari de prendre le pouvoir à l’époque ?
Béavogui qui était Premier Ministre a été pris par les sentiments et n’a pas réagi rapidement (…), moi le président Houphouët Boigny m’avait dit que le pouvoir n’a pas de vacance et il fallait faire vite. Nous n’avons pas réagi rapidement et c’est ce qui a permis aux militaires de prendre le pouvoir. Ils se sont laissés aller par les sentiments, moi je crois que c’est ça.
Ces derniers jours, nous avons suivi la sortie d’un livre intitulé mémoire collective de notre pays dans lequel on raconte un peu les violences qui ont marqué l’histoire politique de la Guinée. Comment l’avez-vous accueilli ?
Moi je n’ai pas eu connaissance de ce livre (…), mais ce qui m’a surtout étonnée et choquée, c’est le fait que ce soit des français ou des étrangers qui vont venir expliquer l’Histoire de la Guinée aux guinéens.
Mais il y a eu des auteurs guinéens qui ont signé dans ce livre…
Je n’ai pas vu le livre, mais quand-même il a été financé par l’Union Européenne. Vous savez, je vous ai dit tantôt qu’aucune action humaine n’est parfaite et que la perfection n’appartient qu’à Dieu. Je ne dis que tout ce qui a été fait sous la première République était bon ou mauvais. Je ne peux pas le juger ; mais vous savez dans quelles conditions nous avons eu l’indépendance et cette indépendance, n’a pas plu à la France qui était la puissance coloniale de l’époque. De-Gaulle est allé jusqu’à dire qu’il voulait Sékou Touré à plat ventre (…), tout a été fait pour détruire la Guinée. A cause de cela, il n’a jamais pardonné à Sékou d’être la locomotive de tous les pays francophones d’alors qui ont eux aussi pris l’indépendance deux ans après.
Soixante années après il y a toujours cet épineux problème de réconciliation, les guinéens n’arrivent toujours pas à se pardonner. Qu’est-ce qu’il faut réellement selon vous pour arriver à une véritable réconciliation nationale ?
Je pense qu’il faut dire la vérité. Moi je ne parle pas parce que c’est mon mari, mais il faut que je dise ma part de vérité. Tant qu’on ne dira pas la vérité, on ne pourra pas se réconcilier.
La plaie est toujours là chez les victimes ?
Mais ceux qui se disent victimes, comment sont-elles victimes ? C’est ce qu’il faut aussi demander.
Après le régime de Sékou Touré il y a eu assez de documents qui ont été dérobés. Qu’est-ce qu’il faut concrètement faire parce que ces archives peuvent concourir à l’éclosion de la vérité ?
Qui détient des archives ? Il faut qu’ils les sortent. Tout ce que nous avions a été pris par ceux qui ont pris le pouvoir en 1984. Je n’ai même pas un seul souvenir de mon mari par devers moi (…) sauf une seule tenue de lui que le blanchisseur avait. Il a gardé cela précieusement et il l’a porté à ma mère, c’est cette tenue manche courte que j’ai comme souvenir de lui et que j’ai donnée à mon fils Mohamed qui la porte souvent pour se rappeler de son père. Nous n’avons aucune archive, ils ont tout pris.
Parlant des avoirs que vous a légués Sékou Touré, on parle souvent des cases Belle-vue, mais qui sont toujours occupés par l’Etat. Recevez-vous des dividendes ?
Nous ne recevons absolument rien du tout de la part de l’Etat. Ils ont confisqué là-bas. Pour une fois je vais raconter l’histoire des Cases de Belle-vue. C’était un terrain vague et c’est d’ailleurs le dépotoir de la poubelle du quartier. Un jour, un ami à mon mari est venu lui dire d’acheter cet endroit puisque c’est un terrain d’avenir, lui ça ne l’intéressait pas du tout. Il est resté longtemps hésitant mais il a fini par l’acheter. Nous avons nettoyé cet endroit et la première année nous y avons cultivé du riz qui a très bien donné. J’ai récolté plus de 10 sacs et ceux qui sont venus m’aider en ont aussi eu suffisamment. Quand les gens viennent lui dire bonjour il leur dit d’aller à Belle-vue, ma femme a du riz (rires), c’était aussi notre potager où on faisait des légumes. Ces cases ont été construites par un architecte français du nom de Mr Debo (…), mon mari a voulu que ça soit des cases, on a commencé par deux cases et ensuite on a agrandi, et une grande case comme restaurant. Et c’est comme cela qu’on a commencé à recevoir des hôtes.
Avez-vous engagé une action judiciaire pour les récupérer ?
Je n’ai rien engagé et je n’ai rien fait jusqu’aujourd’hui. Je me suis résignée et dit tout compte fait celui qui les a construits n’est plus des nôtres et chacun répondra de ses actes devant Dieu. A un moment donné j’avais appris que le président actuel voulait déménager là-bas, vrai ou faux je n’en sais rien. Je n’ai même pas le droit d’y rentrer.
Nous avions appris qu’on vous avait rétrocédé la partie qui faisait face à l’Héliport. Donc c’était une intox ?
C’est un mensonge, ils n’ont rien donné. Certains disent même qu’on me paye très cher en guise de location. Mais cela ne me dit rien du tout, vraiment je suis absolument indifférente à cela. Au Maroc, le roi Hassan II avait donné une résidence privée à mon mari avec tout le luxe qui sied, il a dit à l’ambassadeur qu’il, faisait ça pour son frère Sékou Touré et sa famille pour qu’ils viennent se reposer. Quand cela lui a été rapporté par l’ambassadeur Kékoura, le président Sékou Touré lui a immédiatement intimé l’ordre de déménager à cet endroit. Ce dernier a eu peur, c’est ainsi que le président lui a dit, si tu ne déménages pas je t’enlève de ton poste et ton remplaçant habitera ici. Depuis ce temps cette résidence est la résidence de l’ambassadeur de Guinée (…), mais qui parle de cela. C’est une maison qui a été offerte par le roi du Maroc au président Sékou Touré. Il a dit qu’on ne lui donne rien et ce qu’il reçoit c’est pour le peuple. Jusqu’à nos jours l’ambassade de Guinée est dans cette maison.
Nous vous remercions pour votre disponibilité
C’est à moi de vous remercier !
Entretien réalisé par
Diallo Boubacar 1
&
BAH Boubacar LOUDAH
Pour Africaguinee.com
Tél.: (+224) 655 31 11 13
Créé le 11 octobre 2018 12:57Nous vous proposons aussi
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