Le grand chantier d’Emmanuel Macron sur l’organisation d’un «islam de France»
Emmanuel Macron a confié au «JDD» multiplier les entretiens en vue de «poser les jalons» d'une nouvelle organisation de l'islam de France…
« Avancer touche par touche. » Telle est la méthode prônée par Emmanuel Macron pour repenser l’organisation de l’islam en France. Dans une courte interview au Journal du Dimanche, le président de la République a confié espérer « poser les jalons » de cette nouvelle structuration « au premier semestre 2018 », sans toutefois préciser les pistes privilégiées. Pour ce faire, il multiplie les consultations et entretiens, parmi les experts mais également les responsables religieux. « Quelle que soit l’option retenue, mon objectif est en tout cas de retrouver ce qui est le cœur de la laïcité, la possibilité de croire ou de ne pas croire, afin de préserver la cohésion nationale et la possibilité d’avoir des consciences libres. »
Pourquoi cette volonté de réformer l’islam ?
Structurer l’islam de France, l’idée n’est pas nouvelle. Contrairement aux autres cultes, l'islam n’est pas pourvu d’une organisation hiérarchique claire et incontestable. L’État manque donc d’un interlocuteur privilégié et tente depuis 30 ans, pour combler ce manque, de créer cette structure. Mais depuis le Corif (Conseil de réflexion sur l’islam de France) de Pierre Joxe jusqu’au CFCM (Conseil français du culte musulman) créé par Nicolas Sarkozy, aucune de ces instances n’a eu le succès escompté. Conscient de son manque de représentativité, le CFCM a d’ailleurs lancé en interne un groupe de réflexion pour se réformer. Les grandes lignes seront dévoilées en juin au gouvernement.
La principale difficulté de créer une instance représentative vient du fait qu’il existe, en France, une diversité de courants. Si la majorité des musulmans de l’hexagone sont sunnites – environ 90 % – les pratiques varient en fonction des pays d’origine (Maroc, Algérie, Tunisie…). « Au lieu de vouloir copier le catholicisme ou le judaïsme, il vaut mieux s’inspirer du protestantisme qui prend en compte différents courants », préconise l’islamologue, Rachid Benzine, chercheur associé au fonds Paul Ricoeur. D’autant, précise-t-il, qu’il n’y a pas, en France, une véritable volonté chez les fidèles de voir naître une telle institution.
Réduire l’influence des pays étrangers
Parmi les pistes de réflexion engagées par Emmanuel Macron : limiter l’influence des pays étrangers, qui passe notamment par la construction des mosquées. La loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État interdit aux autorités de construire des lieux de culte : si les musulmans veulent une mosquée, ce sont aux fidèles de la financer, notamment grâce aux dons. C’est ce qui pousse les responsables cultuels à se tourner vers les financements étrangers, notamment des pays du Golfe.
Or, les autorités craignent qu’à travers ces dons, les pays imposent une certaine vision de la religion, trop rigoriste à leurs yeux. « On peut contrôler la provenance de l’argent et la manière dont il est utilisé mais on ne peut pas interdire les dons étrangers à moins d’introduire des discriminations », note l’islamologue. Et de rappeler que la nouvelle cathédrale orthodoxe russe inaugurée à Paris a été entièrement financée par Moscou.
Dans sa très courte interview au JDD, Emmanuel Macron n’élude pas totalement la possibilité de mettre en place un concordat, un régime dérogatoire comme il existe en Alsace ou en Lorraine, permettant aux collectivités de financer des lieux de culte. Mais l’idée ne fait pas l’unanimité et nécessite une modification de la Constitution. Autre piste évoquée par Hakim El Karoui, un expert écouté par le Président selon l’hebdomadaire, la création d’une association, indépendante du CFCM et de l’État, chargée de financer les lieux de culte, la formation et les salaires des imams.
La formation des imams
Autre point de réflexion : la formation des imams. Il n’existe pas de statut reconnu ou de « diplôme » pour les responsables religieux musulmans. Ils sont généralement choisis par le responsable de l’association qui gère la mosquée pour leur connaissance des textes saints. Et quelque 300 d’entre eux sont directement payés par des pays étrangers, rappelle le JDD.
La problématique est similaire à celle du financement des mosquées : les autorités craignent que ces imams diffusent une vision plus rigoriste de la religion. « Ce préjugé découle d’une méconnaissance du terrain : certains imams français sont bien plus rigoristes que des étrangers », insiste Rachid Benzine. En revanche, l’islamologue insiste sur la nécessité de mettre en place des accords bilatéraux plus exigeants sur la formation, avec notamment une approche historico-critique des textes.
Dans son plan pour l’islam de France, présenté en février 2015, le gouvernement incitait les imams à suivre des formations civiques et civiles dans les universités. Au programme, des cours sur les principes de la laïcité, le droit du culte, l’histoire et la sociologie des religions en France, la gestion des associations culturelles. Elle reste cependant facultative et n’aborde pas les questions théologiques, en vertu de la séparation de l’Église et de l’État.
20minute.fr
Créé le 11 février 2018 18:53