Chérif Bah avertit Alpha Condé : « Si nous voulons avoir de l’argent avec la Chine… »
CONAKRY-Alors que le Président Alpha Condé continue de brandir l’accord des 20 milliards de dollars obtenu avec la Chine comme une prouesse inédite, l’ancien gouverneur de la Banque Centrale, Ibrahima Chérif Bah reste sceptique. Le vice-président de la principale formation politique d’opposition (UFDG) présente cet accord comme un prêt lié. Dans cet entretien qu’il a accordé récemment à notre rédaction, le banquier préconise la construction d’usines dans le pays au lieu d’exporter de matière première brute. Lisez. Exclusif.
Africaguinee.com : Le gouvernement vient de conclure un accord cadre de 20 milliards US pour le financement de certaines infrastructures contre des mines. En tant qu’ancien gouverneur de la Banque centrale et économiste, quels sont les avantages de cet accord ?
Ibrahima Cherif Bah: Cette affaire est comme une belle demoiselle bien habillée dont on nous parle, qu’on ne voit pas et qu’on veut que les guinéens épousent. Qu’il s’agisse d’un accord cadre, d’une convention ou d’un protocole d’accord ou contrat, il y a deux choses importantes et qui sont vraies. Il s’agit pour la chine d’avoir de la bauxite et pour la Guinée d’avoir un peu d’argent pour son développement notamment dans les infrastructures comme ils le disent. Donc à écouter tous ces ministres qui ont négocié cette affaire et leurs supporters qu’est-ce qu’on peut déduire ? Nous n’avons pas encore vu l’accord écrit. Notre président Cellou Dalein a dit que nous devons avoir l’accord pour le disséquer et le donner à nos députés pour que le peuple de Guinée sache qu’il ne s’est pas trompé. Comme je vous l’ai dit, quoi qu’il en soit il s’agit de la bauxite qui est la matière première extraite et vendue à la Chine. On peut habiller cela en disant qu’il y aura des contrats qui seront signés ou qui seront concessionnels ou alors des cabinets étrangers qui vont regarder ces choses qui vont tout vérifier.
Mais cela n’empêche qu’il y ait des risques. Si nous voulons avoir de l’argent avec la Chine contre nos matières premières, nous voulons donc utiliser cet argent pour financer quelque chose au meilleur prix possible. J’estime que si nous faisons des routes avec les chinois, certains le font avec les français, les Anglais à peu près au même coût. Or ici, on a affaire à ce qu’on appelle un prêt lié. C’est-à-dire un pays vous accorde un financement qui exige en même temps que ce sont les entreprises de ce pays qui fassent ce travail.
La Guinée est prise dans un engrenage voulez-vous dire ?
C’est justement cela, on va tourner mais l’argent qui viendra pour financer les infrastructures, ce sont les entreprises chinoises qui vont réaliser cela. Cet argent va retourner en Chine. Il faut se poser la question de savoir ce que nous gagnerons dans ça. Nous aurions aimé à l’UFDG que ce gouvernement cesse d’exploiter la terre brute et qu’il y ait de la valeur ajoutée sur cette exportation de bauxite et qu’il y ait des usines d’Alumine dans la zone de Boké ou dans toutes les zones où cette bauxite est extraite. Pourquoi priver les guinéens de cet avantage et leur droit d’utiliser leur richesse pour s’enrichir et se développer. Se développer veut dire créer des usines d’Alumine, avoir de l’emploi tout autour de la ville avec des effets exponentiels, les guinéens auront profité.
Prenons le cas spécifique de Friguia qui était une petite usine de 600.000 tonnes, mais elle n’employait pas moins de 1500 emplois directs. En ville c’est-à-dire à l’extérieur il y avait au moins 1200 emplois indirects. Presque toute la ville dépendait de cette usine. Ce gouvernement là nous prive de cela dans la zone de Boké, il nous dit qu’il n’y a pas d’énergie pour une usine d’Alumine, c’est faux. Une usine d’Alumine ne demande pas de l’énergie, elle génère sa propre énergie. Elle en produit en tant que sous-produit, Friguia produisait 27 mégawatts d’énergie en tant que sous-produit qu’elle donnait en cadeau d’ailleurs à toute la ville à l’époque. On peut envisager qu’à Boké qu’il y ait au moins 5 usines d’Alumine qui pourront produire au moins 100 mégawatts d’énergie qui peuvent faire leur interconnexion de réseau électrique pour produire de l’énergie pour une usine d’Aluminium dans la zone de Boké. Sans compter qu’à côté il y a le fleuve Kogon avec un bon potentiel d’énergie qui peut être développé en BOT et faire la jonction avec ces usines. Ce réseau électrique crée par ces usines d’Alumine donnerait l’électricité à l’usine d’Aluminium.
Cet accord de 20 milliards a été signé alors que la région de Boké était en feu. Comprenez-vous la colère des habitants de Boké ?
La population de Boké se révolte pour des raisons élémentaires, juste avoir le courant et l’eau, alors qu’elle peut revendiquer des emplois et plus d’avantages que cela. Nous avons dit qu’on les encourage et leurs revendications sont légitimes. Ils revendiquent simplement pour des choses qu’on ne leur donne pas mais plutôt qui sont facturées à leurs dépens et qu’ils consomment. Ce gouvernement refuse cela alors qu’il est capable de le faire. Nous aurions aussi aimé dans cet accord qu’il y ait un volet ‘’Aménagement Agricole’’ puisque ce pays recule en matière agricole. Les importations passent de 300.000 à 600.000 tonnes par an. Où est le progrès ? Un exemple : j’ai remarqué que le riz que j’ai cultivé au village pour la consommation est fini. Alors que d’habitude je consommais le riz de la saison jusqu’à la récolte prochaine. Et là, nous sommes à quatre mois de la récolte prochaine mon riz est fini. Ceci est valable pour tous les paysans de la Basse-Côte où le niveau de vie et le potentiel agricole a baissé à moitié. Nous aurions aimé que cet accord prévoit en son sein des aménagements agricoles importants en Basse-Guinée et partout pour que les gens soient au travail. L’agriculture est la base du développement de ce pays si on veut démarrer un jour en développement. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’on sera un pays émergent, ça ne se décrète pas mais ça s’acquière. Il faut au moins une croissance à deux chiffres pendant au moins cinq ans pour penser à frémir pour l’émergence économique.
Vous êtes donc sceptique ?
Je ne vois rien encore et l’on n’entend que des paroles et on ne voit pas des projets préparés réellement à être financés. Je ne suis pas sûre que le prêt des entreprises chinoises qui vont facturer les prêts de tels ouvrages vont le facturer à un prix acceptable et je ne suis pas sûre que le prêt que je vais avoir, au lieu de faire 1000 km de route je ne ferais que 500 km (…), ce sont les évaluations qui sont importantes finalement. Il semble qu’il y aura des contrats concrets finalement par type de projets et ouvrages mais nous verrons tout cela par la suite. Mais ce qui est certains il y aura une perte énorme de potentialité et d’opportunité pour le développement économique du pays. Quand on fait qu’exploiter la bauxite en y laissant des trous béants et de la poussière, des zones agricoles dévastées, des amas de poussières, la santé des citoyens est exposée et on ne peut pas avancer comme cela.
Est-ce que selon vous c’est ce qui est à l’origine de ces troubles qui sont devenus très récurrents dans la région de Boké ?
Absolument ! Un jour on a demandé à un ancien directeur de la CBG, à l’écouter je sens que c’est un patriote qui a expliqué comment l’on peut encore organiser les jeunes en entité pour bénéficier au moins des retombées pour la collectivité. Ce n’est qu’une petite manne qu’on pourrait déjà exploiter. Il a dit clairement que ce qui se passe à Boké est le résultat de la corruption. Je le crois parce qu’il connait bien de quoi il parle. Je vous dis que Boké ce n’est pas fini parce que tant que c’est comme ça, ce n’est pas normal. Les populations vont revendiquer leur usine d’Alumine, leur emploi, leur PME et ils vont revendiquer un développement industriel. Ils vont revendiquer.
Il faut que le décret qui a été pris pour faire de Boké une zone de développement économique spéciale soit appliqué. Ceci ce n’est pas d’ailleurs pour eux seulement puisque toute la Guinée va en profiter. On peut y créer plus de 100.000 emplois dans cette zone-là.
Il y a déjà eu assez de dégât causé dans cette région. Est-ce que cette manière forte de revendiquer ne risque pas de faire fuir les investisseurs qui sont déjà là ou décourager ceux qui seraient enclins à investir ici ?
Ça c’est l’affaire du gouvernement qui doit prendre des mesures pour éviter cela. Le gouvernement doit s’organiser et de faire en sorte qu’il n’y ait pas ces frustrations. Eviter qu’il n’y ait pas ces inégalités inexplicables qui amènent les gens à se révolter, c’est cela. Si en tout cas le gouvernement n’avait pas corrigé cela, qu’il le fasse maintenant. Tout en rétablissant les éléments de fourniture de base tel que l’électricité et créer l’emploi pour les jeunes. Et utiliser la petite retombée de 0,5% pour la collectivité locale et d’autres éléments existants.
Monsieur Ibrahima Chérif Bah 20 milliards de dollars n’est pas une petite manne. Pensez-vous que la Guinée a capacité d’absorber tout cet argent avec des projets viables ?
C’est étaler sur 20 ans (…), déjà on parle de 1,5 milliards par an. Si on peut tirer plus d’un milliard par an donc dans des années on pourra tirer moins d’un milliard pour que dans les 20 ans qu’il y ait 20 milliards. S’il y a des projets biens élaborés il pourrait y avoir des retombées. Je vais quand-même vous dire quelque chose qui va vous étonner. La Guinée peut avoir plus de 20 milliards sans s’endetter. En quoi faisant ? Le gouvernement d’un pays qui veut se développer doit pouvoir faire en sorte que son environnement économique soit habilitant, c’est-à-dire qui attire les investisseurs. C’est très facile pour la Guinée de le faire parce que déjà nous sommes dotés de toutes les ressources, nous avons les ressources humaines, naturelles et des ressources touristiques énormes, nous avons tout pour réussir. Il suffit d’avoir un gouvernement capable qui pratique une très bonne gouvernance pour que les gens apportent ici plus de milliards en investissements directs et étrangers.
Avec ça, la Guinée n’aura pas à s’endetter, ils viendraient faire des usines d’Alumine, des usines de composants électroniques et de toutes choses dont on aurait besoin (…) et pour nous et pour la zone Ouest-Africaine. Si ce gouvernement par exemple fait en sorte que ce pays soit en sécurité où un étranger peut venir à l’hôtel sans aucun risque d’être attaqué ou arnaqué lors d’une promenade, si vous êtes investisseur , vous avez pris un prêt bancaire que vous remboursez correctement , si la justice est équitable , rien ne pourra empêcher que la Guinée soit un pays à un environnement habilitant. Dans ces condition-là, ce sont les gens qui viendront vers ce pays pour investir parce qu’on a tout ici comme objet d’investissement. Il n’y a même pas que des mines, l’agriculture aussi existe il y’a beaucoup de choses qui existent et avec quoi on peut investir ici.
J’aimerais bien un jour que Bill Gates se décide de créer une usine Microsoft ou un centre Microsoft dans une ville guinéenne parce que les guinéens s’intéressent plus à l’usine c’est la diaspora qui rentrerait travailler chez eux. Il suffit que ce gouvernement pratique la règle de la bonne gouvernance les investissements des étrangers seraient plus suffisants que 20 milliards de dollars. On ne serait pas endettés et les dettes que nous prendrions seront saines qui iront à des éléments clés que le privé ne peut pas faire même les routes le privé peut le faire. Mais en faisant payer l’Etat aussi pourrait le faire si déjà il s’est allégé d’autres investissements que les privés prennent à l’IDE il n’aura pas à s’embarrasser de ça il fera autre chose qui est plus important des grands barrages électriques.
Vous êtes ancien gouverneur de la banque centrale, au moment où vous quittiez votre poste l’inflation était à 6% alors qu’aujourd’hui, elle est à deux chiffres. Comment expliquez-vous la dégringolade de la monnaie guinéenne?
Il y a eu différents chocs que le pays a connus. Les dernières années du régime du président Lansana Conté, il y a eu beaucoup de distorsions qui ont fait que l’économie a commencé à subir des chocs difficiles à supporter. Je rappelle quand je quittais l’inflation était à 6%, le dollar était à 2000 GNF à l’époque, au mois de mars 2004. Aujourd’hui nous sommes à 5 fois plus. Les différents chocs subits notamment pendant la transition où il y a eu débordement total. Pour une anecdote d’ailleurs, Jean Mari Doré disait que le régime Conté a mis le pays à terre, je lui ai répondu que celui qu’il dirigeait pendant la transition l’a enterré. Le gouvernement de 2010 aussi, au lieu chercher des résultats immédiatement s’est mis dans une politique de division politique du pays et ce qui fait que le premier mandat est entièrement perdu. L’économie en ressent aujourd’hui.
Toutes ces conséquences donc tombent sur la monnaie, en termes d’inflation, le pouvoir d’achat de nous citoyens. Le panier de la ménagère subit ce choc généré par un gouvernement incompétent qui pratique aujourd’hui l’affairisme au plus haut niveau d’Etat et sur le plan politique pratique ce que l’on appelle la démocrature. C’est-à-dire la dictature sous le couvert de la démocratie. Si par exemple l’opposition notamment l’UFDG n’avait pas résisté à ce raz-de-marée qui a commencé depuis 2011 aujourd’hui nous serions dans une véritable dictature. Donc je pense que l’économie d’aujourd’hui subit les chocs de toute cette mauvaise gouvernance.
Entretien réalisé par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 655 311 112
Créé le 5 novembre 2017 19:13Nous vous proposons aussi
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