Teodorin Obiang, premier condamné dans l’affaire dite des « biens mal acquis »
Le fils du président de Guinée équatoriale était jugé à Paris pour blanchiment de détournement de fonds publics.
C’est un « avertissement » sans équivoque, a précisé la juge : trois ans de prison et 30 millions d’euros d’amende, le tout assorti du sursis. C’est la condamnation prononcée vendredi 27 octobre à l’égard du vice-président de la Guinée équatoriale, Teodorin Obiang, par la 32e chambre du tribunal de grande instance de Paris pour avoir blanchi entre 1997 et 2011 une somme estimée à près de 150 millions d’euros. Un montant, a noté le tribunal, sans rapport avec ses revenus officiels de 80 000 euros par an.
Conformément aux réquisitions du Parquet national financier, la confiscation de ses nombreux biens mobiliers et immobiliers, en plus de 17 voitures de luxe, a été ordonnée. Une confiscation qui devra cependant attendre, concernant un hôtel particulier situé avenue Foch, à Paris, l’issue d’une procédure en cours devant la Cour internationale de justice.
« Complaisance » des banques
Accueillie dans le calme par chacune des parties, la décision, dont M. Obiang peut faire appel, a été détaillée pendant près de quarante-cinq minutes par la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, balayant les uns après les autres les différents recours formés par M. Obiang et ses conseils. Il en fut ainsi de la prétendue immunité que le fils du chef de l’Etat équato-guinéen avait mise en avant en raison de sa fonction de vice-président, tout comme de l’argument selon lequel le blanchiment pour lequel il était poursuivi en France n’était qu’une infraction secondaire découlant de faits qui ne sont pas poursuivis en Guinée équatoriale.
Le tribunal a estimé que le blanchiment était une infraction autonome rendant compétentes les juridictions françaises. Si M. Obiang n’a pas été condamné pour les infractions initiales possiblement commises dans son pays, le tribunal a noté que le détournement de fonds publics et la corruption « peuvent entraîner, outre de graves coûts politiques et sociaux, de lourdes conséquences pour les économies nationales et constituer un frein puissant à la croissance et au développement ».
Le tribunal a par ailleurs pointé la « complaisance » des banques par lesquelles de nombreux flux financiers frauduleux ont pu transiter sans qu’aucune déclaration de soupçons ne soit faite par les établissements financiers. C’est le cas de la SGBGE, filiale du groupe Société générale, qui a étonnamment bénéficié du statut de témoin assisté lors de l’instruction judiciaire. C’est le cas aussi de la Banque de France, qui a joué entre 2005 et 2011 « un rôle déterminant dans l’acquisition des biens mobiliers et immobiliers de M. Obiang » et dont un « compte de passage » a été utilisé en 2006 pour des transferts de fonds à hauteur de 70 millions de dollars (environ 60 millions d’euros) « sans qu’aucune alerte ne soit déclenchée ».
Plus largement, les autorités françaises sont elles aussi pointées du doigt pour avoir entretenu auprès de M. Obiang l’idée qu’il pouvait bénéficier d’une forme de protection. Ainsi Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur, avait-il reçu le président équato-guinéen par l’entremise de l’avocat Robert Bourgi, afin qu’il intercède auprès du président Jacques Chirac alors en fonctions. Le tribunal note aussi que le parquet de Paris avait à plusieurs reprises, au moment du premier dépôt de plaintes, estimé que ces faits n’étaient juridiquement pas condamnables en France.
Un « complot d’ONG nuisibles »
Pour l’avocat Emmanuel Marsigny, principal conseil de M. Obiang, il s’agit d’une « décision politique et militante ». De son côté, Miguel Oyono Ndong Mifumu, l’ambassadeur de Guinée équatoriale en France, qui coordonne le lobbying diplomatique et s’est entretenu en septembre avec Franck Paris, conseiller Afrique du président Macron, s’est dit indigné. « C’est un complot d’ONG nuisibles qui portent atteinte à la souveraineté de l’Etat équato-guinéen. Quelle justice étrangère peut délivrer un “avertissement” à notre pays ? C’est de l’ingérence inacceptable », dit-il, tout en assurant vouloir « renouer un dialogue avec la présidence française et évoquer autre chose que cette mascarade judiciaire. » M. Obiang est également visé par une enquête pour « blanchiment d’argent » et « corruption » en Suisse.
Dix ans après le premier dépôt de plaintes par Sherpa et Transparency International, William Bourdon salue une « décision magnifique et historique ». Pour cet avocat engagé, également président de Sherpa, « en creux, la peine est très sévère » : « Le tribunal stigmatise la malice du délinquant Obiang et la sophistication des circuits de corruption. La culture d’impunité se fend.»
Reste toutefois l’épineuse question de la restitution des avoirs confisqués. Comment en effet transformer les millions saisis sur des comptes en banque, les dizaines de voitures et motos de luxe, les biens immobiliers, les œuvres d’art et autres lubies de M. Obiang en une aide qui ne soit pas récupérée ou détournée derechef par un régime prédateur ? Selon la loi de finances, ces biens et ces avoirs confisqués sont versés au budget général de l’Etat français et gérés par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
« En l’état actuel, rien ne permet en effet de garantir que les avoirs issus de la grande corruption soient restitués aux populations victimes, ce qui constituerait un nouveau scandale, souligne la juriste Maud Perdriel-Vaissière, de Transparency International. Il est nécessaire et urgent d’adapter le dispositif français. » L’ONG propose ainsi d’introduire dans la loi un dispositif d’« affectation des biens issus de la grande corruption » à des projets examinés au cas par cas par l’Etat français. Le tribunal a rappelé que la restitution des avoirs est un principe fondamental de la Convention des Nations unies contre la corruption.
Ainsi la France « devrait être amenée à évoluer en vue de l’adoption d’un cadre législatif adapté à la restitution des avoirs », a rappelé la juge. D’autant que la procédure des biens mal acquis vise également le clan du président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, dont un neveu et une proche ont été mis en examen. Le clan Bongo n’est pas en reste : les juges ont clos en septembre l’instruction sur le volet gabonais de l’affaire. Et le Syrien Rifaat Al-Assad, oncle de Bachar Al-Assad, a été mis en examen à l’été 2016.
Lemonde.fr
Créé le 29 octobre 2017 11:24
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