Mamady Kaba : « Fatou Badiar avait plus droit à la grâce présidentielle que Bah Oury… »

Mamady Kaba, Président de l'Institution Nationale Indépendante des Droits de l'Homme (INIDH)

CONAKRY- Pourquoi Bah Oury a bénéficié d’une grâce présidentielle au détriment de plusieurs de ses co-accusés comme Mme Fatou Badiar ? Pour le Président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits de l’Homme, il y a une seule explication : le rôle joué par Bah Oury en faveur du camp présidentiel. Dans cette seconde partie de la grande interview qu’il a bien voulu nous accorder, Mamady Kaba a exprimé des inquiétudes sur la tenue du procès sur les massacres du 28 septembre en Guinée. Exclusif !!!


 

AFRICAGUINEE.COM : Le procès des présumés auteurs des massacres du 28 septembre 2009 est attendu en Guinée cette année. Vous dites qu’il faut que la Guinée sorte du carcan paternaliste pour confier ce dossier à la Cour Pénale Internationale. Pourquoi ?

Je suis toujours sur cette position. Mais je souhaite avoir tort. J’ai été fortement contredit par Monsieur le ministre de la Justice. Mon souhait depuis tout ce temps est que ce procès se tienne en Guinée. Parce que si la Guinée parvient à relever le défi, il permettrait à la Guinée de renforcer son système de justice. Il y aurait beaucoup de conséquences positives. Mais à l’état actuel des choses, je reste fortement convaincu que les capacités de notre système de justice sont très insuffisantes pour relever ce défi. Le défi du 28 septembre est plus important qu’on ne l’imagine. Il y a plusieurs dimensions qui entrent dans ce procès. Il ne faut pas voir juste un procès où des accusés viennent devant un juge. Il y a des paramètres qui n’ont rien à voir avec la tenue du procès classique. Il y a notamment la dimension sécuritaire sous plusieurs formes qui intervient. Connaissant tout ce qui entoure ce dossier, je suis fortement persuadé que la Guinée gagnerait mieux à transférer ce dossier devant une justice supranationale, qui ferait en sorte qu’il y ait un jugement dont les conclusions seront acceptées par les populations.

Aujourd’hui, le chef de la junte, l’ex-capitaine Moussa Dadis Camara, en exil au Burkina Faso demande à rentrer pour se mettre à la disposition de la Justice. Mais il n’est pas permis de rentrer. Tout est fait pour l’en empêcher. Est-ce la peur d’éventuels troubles que sa présence pourrait créer à l’intérieur du pays ? Ou alors il y a-t-il des craintes pour sa sécurité ? Je ne sais pas. Mais en tout état de cause, je pense que la Guinée n’est pas en mesure aujourd’hui de réunir tous les présumés coupables et les victimes ici. Parce que si tout le monde parle correctement, il est possible qu’on se retrouve avec de nouveaux accusés qui jusqu’ici sont dans l’anonymat et qui sont tranquilles. Il y aura des révélations parce que ceux qui ont été inculpés ne sont pas du tout les seules personnes qui pourraient répondre de ces crimes. Il y a eu des complicités, des exécutions, des actes de vengeance personnelle, etc. Beaucoup d’officiers de nos forces de défense et de sécurité sont tranquilles aujourd’hui mais dès que le procès va commencer, ils pourraient se retrouver devant la barre. Pour ce procès, et à l’intérieur de la Guinée, nous avons plus d’adversaires que d’amis du procès. Parce qu’à l’intérieur de la Guinée, ce procès n’est pas perçu comme une sanction criminelle par la majeure partie des éléments de nos forces de défense et de sécurité. Beaucoup d’entre eux pensent que leurs collègues qui sont accusés dans ce dossier n’ont fait qu’accomplir une mission et qui, ne devraient pas répondre quelque soit leur rang, leur grade, ils ont obéi à un ordre. Parce qu’eux-mêmes pourraient se retrouver demain dans un autre procès pour autre chose.

 Le procès est plus complexe et plus profond que ce qu’on imagine. Si nous nous fions à ce semblant de possibilité que nous avons où tout le monde est considéré comme docile en cette période, nous allons fausser la donne. Ce procès pourrait être un risque pour la sécurité et la stabilité de la Guinée. C’est pourquoi, pour que la Guinée continue de vivre en paix, en sécurité et dans la stabilité, il est important qu’un juge neutre et impartial supranational se charge de ce dossier. Ce serait la meilleure façon pour la Guinée de faire en sorte qu’il y ait la justice pour rompre définitivement avec l’impunité.

Le ministre de la Justice vous rétorque que vouloir transférer le dossier à la CPI comme le préconisez, est une insulte aux magistrats guinéens. Qu’en dites-vous ?

Je n’insulte pas les magistrats guinéens. Je n’ose pas les insulter. Eux aussi ne m’insulteront pas non plus. Quand monsieur le ministre de la Justice est malade, il ne se fera pas hospitaliser ici à Donka, il se fera hospitaliser en France. Mais est-ce que cela signifie qu’il insulte les médecins guinéens ? Non. Cela ne signifie pas qu’il insulte les médecins guinéens ! Donc, le fait pour moi de demander que la CPI se saisisse du dossier, n’est pas synonyme d’insulte à l’endroit des magistrats guinéens, au même titre que lui aussi n’insulterait pas les médecins guinéens en allant se faire soigner en France.

Le dossier a connu une autre avancée avec l’arrestation de Toumba Diakité, un autre suspect du massacre du 28 septembre. Il devrait être extradé dans les prochains jours à Conakry. Un mot là-dessus ?

Je souhaite que (l’arrestation de Toumba Diakité) soit le début d’un processus et non pas la fin d’un scenario. C’est une bonne chose que tous ceux qui ont quelque chose à dire sur ce dossier puissent être mis à la disposition de la justice guinéenne. Je pense notamment à d’autres membres de la junte militaire. Le capitaine Dadis lui-même doit pouvoir être autorisé à rentrer. Il a déjà demandé à rentrer dans  son pays pour se mettre à la disposition de la justice. L’effort que la Guinée a dû faire pour obtenir l’arrestation de Toumba et éventuellement sa prochaine extradition, le même effort permettrait à la Guinée de permettre à Moussa Dadis Camara de se retrouver en Guinée et de se mettre à la disposition de la justice. Toumba seul ne suffit pas. Il faut bien que les autres responsables de la junte militaire puissent être mis à la disposition de la justice.

Qui par exemple ?

Non ça c’est le travail de la justice.

Que vous inspire le maintien en  prison de Dame Fatou Badiar, commandant AOB et compagnie, condamnés dans l’affaire 19 juillet alors que d’autres comme Bah Oury condamné aussi dans la même affaire ont bénéficié d’une grâce présidentielle ?

L’attaque du domicile du Président de la République, nous nous sommes tous indignés. Nous avons salué le fait que le président ait clairement demandé qu’il n’y ait pas de vengeance, qu’il y ait un processus de justice classique. Je crois que c’est ce qui a été fait, des citoyens guinéens ont été condamnés. Quand je fais la comparaison : M. Bah Oury a été condamné à perpétuité, Madame Fatou Badiar a été condamné à 15 ans de réclusion criminelle. Ce qui signifie que la responsabilité de Monsieur Bah Oury dans la commission de ce crime est de loin plus importante que la responsabilité de madame Fatou Badiar. Puisque le Président lui-même était la principale victime de cette attaque, qu’il accepte de gracier celui qui a été condamné à perpétuité dans ce dossier, il était important que le Président gracie les autres. Notamment la dame Fatou Badiar, fragile qui est en prison et qui peut mourir à tout moment à cause de son état de santé fragile.

A mon avis, madame Fatou Badiar avait plus droit à la grâce présidentielle que monsieur Bah Oury. Le fait que monsieur Bah Oury ait bénéficié de la grâce à cause probablement du rôle politique qu’il aurait pu jouer en faveur du camp présidentiel, cela fait de madame Fatou Badiar et des autres détenus des prisonniers politiques. C’est pourquoi je souris quand j’entends qu’il n’y a pas de prisonniers politique en Guinée. Au moment où ils étaient arrêtés, ils étaient des présumés coupables de crime de droit commun, et au moment où ils ont été condamnés, ils l’ont été en tant que criminels de droit commun. Mais à partir du moment où la grâce présidentielle a été accordée à monsieur Bah Oury à cause du rôle politique qu’il aurait pu jouer, ça veut dire que madame Fatou Badiar et les autres sont en prison parce qu’ils ne peuvent pas jouer un rôle politique équivalent à celui de monsieur Ba Oury. S’ils étaient capables de jouer le même rôle politique, ils auraient bénéficié de la grâce présidentielle. Donc, ils sont en prison parce qu’ils ne sont pas capables de jouer le même rôle politique que monsieur Bah Oury. Ce sont donc des prisonniers politiques.

Monsieur Kaba merci!

C’est moi qui vous remercie!

 

Interview réalisée par Diallo Boubacar 1

Pour Africaguinee.com

Tel. : (00224) 655 311 112

Créé le 20 janvier 2017 09:17

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