Aboubacar Sylla : « une partie du budget de l’armée est détournée… » (Interview)

Aboubacar Sylla, Président de l'Union des Forces du Changement  Photo-Africaguinee.com

CONAKRY- Des hauts commis de l’Etat et des officiers supérieurs de l’armée guinéenne sont-ils impliqués dans un vaste réseau de corruption ? Que doivent faire les autorités guinéennes pour rendre le secteur minier plus attractif ? Ce sont là quelques questions que l’opposant Aboubacar Sylla a bien voulu répondre. Le Chef de file de l’Union des Forces du Changement s’est prêté aux questions de notre rédaction. Exclusif !!!


 

AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Aboubacar Sylla bonnjour ! Quelle lecture faites-vous du voyage du président alpha condé en chine qui a été sanctionné par la signature d’un accord avec la société minière Chinalco ?

ABOUBACAR SYLLA : Bonjour Monsieur Souaré ! D’abord je dois dire que je n’approuve pas tout à fait les voyages répétés du président de la république. Il n’est pas obligé d’être à tous les forums ou toutes les rencontres (…), il y a un Gouvernement pour ça et d’ailleurs même un Chef du Gouvernement qui peut normalement, si en tout cas il a été choisi selon des critères de compétence, remplacer dans beaucoup de rencontres internationales, le président devrait être plus présent Guinée et se focaliser un peu plus sur les problèmes des guinéens ici. Faire un peu plus de coordination et d’impulsion de certaines activités gouvernementales au lieu d’être toujours entre deux avions. Je pense que c’est déjà une première critique que je lui adresse. La seconde c’est qu’il y a beaucoup de visites en Guinée, tout cela ne se traduit pratiquement pas par un projet concret. Nous avons le sentiment qu’il n’y a que des effets d’annonce qui sont faits, on a également le sentiment que les investisseurs potentiels, une fois qu’ils viennent en Guinée et qu’ils rencontrent le chef de l’Etat et le Gouvernement, il se trouve qu’ils ne sont plus intéressés à venir effectivement investir. Si tous ces investisseurs potentiels que le président rencontre et qu’on voit souvent à la télévision nationale ou à Sekoutoureya, si le dixième de ces personnes investissaient en Guinée, on aurait connu un boom économique à nul autre pareil dans le monde. Cela veut dire tout simplement que ce n’est pas au nombre de voyages ou de visites de certains investisseurs qu’on peut mesurer la qualité de la gouvernance et qu’on peut évaluer les capacités de notre pays à relancer son économie. Nous avons d’abord des problèmes extrêmement importants à résoudre dans le pays avant d’attirer des investisseurs. Un pays où la situation sécuritaire n’a pas été réglée, où l’on peut se faire agresser à tout moment à son domicile, un pays où il y a encore des coupeurs de route. Même les préfets qui sont l’incarnation du pouvoir à l’intérieur du pays, qui sont les représentants du chef de l’Etat dans les préfectures qui sont attaqués malgré la sécurité qui est déployée au niveau de leurs domiciles. Cela veut dire qu’il y a un problème de sécurité physique d’abord, un problème juridique et d’infrastructures (…), vous avez un pays où les routes sont défoncées, l’approvisionnement en courant électrique n’est pas encore réglé malgré tout, l’accès à l’eau pour tous est impossible, la télécommunication a encore du chemin à faire pour être compétitive, bref il y a toutes ces questions qu’il faut d’abord régler. Je ne parlerais même pas des textes sur le code des investissements, des douanes ou des impôts ou le code minier, le code du travail dont les toilettages restent à faire. A tout cela il faut ajouter qu’on a même pas une capacité d’absorption (…), nous sommes ce pays où une enveloppe de 400 millions de dollars qui traine dans les pipelines au niveau de la Banque Mondiale , qu’on ne réussit pas à utiliser parce que tout simplement l’on a une administration qui est totalement incompétente et inefficace, qui n’est pas en mesure de mettre en œuvre les différentes procédures de passation de marché ou de décaissement des montants qui sont alloués par certaines institutions qui ont des règles très strictes. Donc il y a toutes ces questions qu’il faut résoudre avant de battre le rappel de tous ces investisseurs. Au contraire c’est totalement contre-productif d’appeler des gens à venir se rendre compte que la Guinée a des problèmes élémentaires qui ne sont pas encore résolus. Un investisseur qui est déjà installé qui n’arrive pas à s’épanouir et qui a face à lui une administration inefficace et corrompue, qui au lieu de l’assister à s’épanouir, à développer ses activités est plutôt un frein à cela, évidemment qu’il est difficile d’avoir des investisseurs. Pour revenir à Chinalco, je crois que c’est le développement de ce projet qui est en train de nous mettre dans cette situation. La cause apparente de la cause du retard de ce projet, on estime que c’est la chute des cours mondiaux du fer qui sont passés de près de 170 dollars la tonne à à peine 70 dollars la tonne, donc les coûts ont été divisés par trois ou par quatre. Evidemment ça ne peut qu’affecter l’économie de n’importe quel pays, c’est cela la raison (…). Mais qu’est ce qui a retardé le projet jusqu’à ce qu’on tombe sur une période de chute des cours ? C’est parce qu’il y a eu des tergiversations, des atermoiements de ce Gouvernement. Sinon Rio-Tinto devait lancer ses activités depuis 2011 ou 2012. Mais dès que le président Alpha Condé est arrivé au pouvoir, il a commencé par modifier toutes les règles du jeu en revenant sur le code minier qui est en vigueur, en le modifiant et en le rendant totalement in attractif aux yeux des investisseurs miniers, il a rechangé le code une seconde fois. C’est-à-dire en six ans de pouvoir d’Alpha Condé, le pays a connu trois codes miniers. Donc c’est cette instabilité juridique qui a surtout retardé le développement du projet. Au moment où il est prêt à faire des concessions qu’il avait rejetées avant aux investisseurs miniers pour les inciter à démarrer ce projet, malheureusement il se trouve que les cours mondiaux ont entre-temps chuté. Il a oublié lui et son Gouvernement que les cours évoluent de façon cyclique. Lorsque les cours sont favorables, c’est en ce moment qu’il faut développer les projets au lieu de les retarder par des atermoiements ou des tergiversations qui font penser aux investisseurs qu’ils sont dans une situation d’instabilité juridique totale et qu’il est donc important de ne pas risquer des capitaux de cette importance. Puisqu’on parle d’un milliard de dollar dans un projet alors que les conditions de fonctionnement de cet investissement peuvent être  modifiées du jour au lendemain. C’est dommage pour la Guinée, c’est une opportunité manquée pour  ce pays, parce que ce projet à lui seul était en mesure de doubler notre PIB (Produit Intérieur Brut, Ndlr) et d’amener donc pour les guinéens des revenus supplémentaires et d’améliorer de façon significative leur niveau de vie.

Parlant du projet Simandou, depuis quelques jours des révélations font états de pots de vins qui auraient été versés à un conseiller du président Alpha Condé. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

La première réflexion qui me vient à l’esprit ce qu’il y a trop peu de transparence dans la gestion des affaires publiques de notre pays et particulièrement dans le secteur minier. Malgré que le Gouvernement crie sur tous les toits que tous les contrats miniers sont sur internet tellement que la transparence est de rigueur dans ce secteur. Nous savons parfaitement bien à travers ces informations qui sont publiées par les médias internationaux prouvent que c’est un secteur où l’impunité sévit à grande échelle où jamais des enquêtes ne sont déclenchées à l’intérieur mais toujours de l’extérieur. Tout cela veut dire qu’il y a des réseaux qui sont constitués aujourd’hui au niveau très élevé de notre pays et qui gèrent des questions sur la base d’une corruption qui est généralisée et qui ne nous permet pas malheureusement de donner de la Guinée une image d’un pays bien gouverné. Partout où il y a des sandales qui concernent le fer ou l’aluminium l’on retrouve toujours le nom de la Guinée. Lorsque des questions sur sable mining ont été évoquées, lorsque des plaintes ont été soulevées, un pays comme le Libéria qui était sur le banc des accusés comme la Guinée, a lancé des enquêtes judiciaires, tout de suite des responsables ont été indexés et interpellés, une poursuite judiciaire a été lancée. En Guinée il n’y a eu absolument rien. Depuis qu’on a cité le nom du fils du président, le chef de l’Etat a dit que c’est à lui qu’on en voulait. Alors le Ministre de la Justice et celui des mines nous ont fait croire qu’ils allaient faire en sortes` que ces procédures connaissent une suite judiciaire, maintenant on en parle plus. On est devenu un pays qui est au carrefour de toutes ces questions de corruption surtout celles liées au minerai de fer. C’est vraiment dommage parce que tout ceci prouve que le Pr Alpha Condé n’a pas voulu engagé une politique de lutte effective contre la corruption. C’est quelque chose que moi j’avais proposé au niveau de ce forum (…), j’ai dis qu’un pays ne peut pas évoluer dans l’impunité totale, de détournement et de la gabegie financière. Il faut qu’il y ait des institutions, des lois et un cadre juridique et institutionnel pour pouvoir sanctionner certaines personnes qui sont indélicates vis-à-vis des biens publics. Il est évident si c’est l’impunité qui est encouragé, il est certain qu’on rencontrera toujours ces cas qui auront effectivement leurs répercussions à l’intérieur du pays. Depuis que Alpha est au pouvoir, il n’y a plus d’audits, pas d’instructions de contrôle qui révèlent des scandales ou des détournements quelconque, aucun fonctionnaire n’est demis ou traduit devant les tribunaux pour des faits de corruption. C’est le laisser aller total dans ce domaine. C’est cette corruption qui fait le plus grand cancer de notre pays. Le plus grand cancer de la Guinée, c’est la corruption. Tout gouvernement qui n’engage pas une politique dynamique pour la lutte contre la corruption est voué à l’échec.

Sur le plan économique, le parlement est en phase d’adopter le projet des lois de finances 2017. Vous, lors du  forum du gouvernement vous aviez dénoncé  une certaine incohérence entre  la politique générale affichée par le gouvernement et le projet de lois de finances présenté par le même gouvernement. Parleriez-vous d’un paradoxe ?

Oui c’est ça le paradoxe (…). Je l’ai dit lorsque j’ai eu le privilège d’être invité à ce forum organisé par le Ministère de l’Economie et des Finances et du Budget autour de l’amélioration de la collecte des recettes fiscales et de leur utilisation efficace en faveur du pays. J’ai dis qu’il y a un grand problème, les ressources fiscales qui sont difficilement collectées malheureusement ne connaissent pas une utilisation efficace et efficiente. Parce que même les priorités définies par le Gouvernement ne sont pas prises en compte dans l’élaboration de la loi des finances. Normalement un budget de l’Etat, c’est la traduction en chiffre de la politique gouvernementale. Mais le Gouvernement exprime des priorités qui ne sont pas soutenues par des allocations budgétaires conséquentes. C’est le cas du ministère de l’Agriculture dont le budget a chuté de moitié, pratiquement à 2% au moment même où le Président de la République est en train d’initier des programmes de culture d’anacardes dans tout le pays, qui vont s’ajouter à la culture du café ou du cacao, c’est en ce moment que l’on réduit considérablement le budget de ce département. C’est au moment où l’état de dégradation de nos routes ait atteint un stade historique, c’est en ce moment qu’on diminue de façon drastique le budget du ministère des Travaux Publics à tel enseigne que la ministre de ce département a déclaré devant les députés qu’il n’y aura la réalisation d’aucune route en 2017 , puisque tout simplement le budget alloué à ce ministère est significativement réduit. C’est le cas de tous les départements importants, soit une stagnation ou un plan de réduction de leurs budgets. Tous les départements qui ont un impact direct sur la qualité de vie des populations, sur l’amélioration de leurs conditions de vie ont connu des réductions drastiques. Il n’y a que le secteur de la sécurité qui a connu une amélioration significative mais qui place ce secteur en dessous des priorités qui devraient lui être dévolues. Par contre le secteur comme le ministère de la défense connait une hausse significative, ce ministère a un budget de plus de 8% de l’ensemble des allocations budgétaires contre à peine 4% pour la sécurité, plus élevé que le budget du ministère de l’enseignement pré-universitaire ; quatre fois plus élevé que le ministère de l’agriculture. Ce sont des incohérences qu’il faut corriger, puisque notre pays n’est pas en état de guerre. Le plus grave, c’est que ce budget est non seulement alloué mais effectivement dépensé. Il y a des départements qui ne réussissent pas à utiliser plus de 40% de leurs ressources budgétaires. Mais au niveau de la défense vous avez 100% ou au-delà, c’est-à-dire par exemple en 2014 le ministère a décaissé plus que le budget qui lui a été alloué. Tout ça pour faire le bonheur de certaines personnes, puisque tout ce montant on ne le voit pas dans les casernes ni l’équipement des militaires guinéens.  Cela veut dire que cet argent n’est pas à l’armée proprement dite mais à des personnes peut être au niveau des cabinets ou certains hauts officiers de l’armée, d’autant puisqu’il n’ y a jamais eu d’audit dans tous les secteurs à fortiori dans l’armée ou l’on parle de secret défense.

 

Entretien réalisé par SOUARE Mamadou Hassimiou

Pour Africaguinee.com

Tél. : (+224) 655 31 11 11

 

Créé le 12 décembre 2016 15:34

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