Au Gabon, l’étau se resserre sur la Cour constitutionnelle
Soumise à des pressions intenses et contradictoires, la plus haute juridiction du pays va-t-elle valider la "réélection" d'Ali Bongo? De son verdict dépend l'avenir d'une nation déchirée.
On prend les paris : présidente de la Cour constitutionnelle du Gabon, Marie-Madeleine Mborantsuo, alias "3M", aurait donné cher pour que le sort lui épargne l'épreuve qui lui échoit. Volens nolens, cette juriste bardée de titres universitaires, glanés pour la plupart en France, tient l'avenir du pays entre ses mains. C'est à elle que revient l'ingrat devoir de valider ou pas, d'ici au 23 septembre, la douteuse victoire du chef de l'Etat sortant Ali Bongo Ondimba lors du scrutin à un tour du 27 août. Autant dire que l'ex-"Miss-Franceville" -du nom du chef-lieu de la province du Haut-Ogooué, fief du clan Bongo-, se trouve soumise, tout comme les huit autres membres de la plus haute juridiction du pays, à des pressions aussi écrasantes que contradictoires. Et nul n'ignore combien le cocktail toxique largesses-menaces empoisonne depuis des lustres la principauté pétrolière d'Afrique centrale.
Certes, celle qui fut l'une des innombrables maîtresses semi-officielles du défunt patriarche Omar Bongo Ondimba, et demeure la mère de deux de ses enfants, dirigeait déjà la "CC" lorsque furent rejetés les onze requêtes en annulation introduites en 2009 par André Mba Obame, rival malheureux d'Ali. Les jeux sont-ils faits pour autant ? Pas si simple. Plus aigre qu'hier, le vent a tourné. "C'est du 50-50, avance un haut-fonctionnaire rompu aux intrigues du Palais du Bord de Mer. Marie-Madeleine sait très bien qu'entériner une telle imposture lui coûterait cher en terme d'image. Elle est coincée. Si on lui offrait de solides garanties quant à sa sécurité, il est probable qu'elle rétablirait la vérité des chiffres au profit du challenger Jean Ping. D'autant qu'il s'agit d'une femme très pieuse, familière du Vatican et impressionnée dit-on par le récent message du pape François." Allusion à l'appel à la paix et au "respect de la légalité" lancé le 11 septembre à Rome par le Souverain Pontife.
L'enjeu de la composition du Conseil constitutionnel
D'autres facteurs, plus prosaïques, incitent à nuancer le pronostic. A commencer par la composition même de la CC. Trois de ses magistrats -dont 3M soi-même- ont été désignés ou reconduits par Ali. Reste que la présidente, plus proche du père que du fils, passe pour réceptive à l'argumentaire des chefs de file d'Héritage et Modernité, faction dissidente du Parti démocratique gabonais (PDG), le formation au pouvoir. Trois autres membres de la Cour doivent leur cape frangée d'hermine à Guy Nzouba Ndama, président dix-neuf années durant de l'Assemblée nationale ; mais qui a renoncé avec fracas le 31 mars à son perchoir comme à sa carte VIP du PDG, avant de rallier Ping, baron du système en rupture de ban lui aussi. "Le profil de tel ou tel du club des Neuf mérite également le détour, souligne un initié. Afriquita Agondjo, fille d'un opposant historique d'Omar Bongo aujourd'hui décédé, est la nièce de Jean Ping. Christian Bignoumba est pour sa part le neveu de l'ancien vice-président Didjob Divoungui Di Ndinge, passé comme plusieurs caciques dans le camp d'en face."
Pensée magique ? Le "kongossa" -la rumeur-, sport national et premier produit d'exportation du Gabon devant le pétrole, le manganèse et le bois précieux, distille divers indices tendant à accréditer l'hypothèse de tensions entre le Palais et la figure de proue de la CC. Ainsi, trois des appartements parisiens de 3M, détentrice d'un enviable patrimoine immobilier, auraient été "visités" par des intrus voilà deux mois. Idem pour celui de son compagnon Lin Mombo, président de l'Autorité de régulation des Communications électroniques et des Postes, ou Arcep.
"Le piège ivoirien"
Il y a, pour le régime en place, plus inquiétant que ces on-dit : les mises en garde explicites de l'Italienne Federica Mogherini, patronne de la diplomatie de l'UE. Mardi, à la faveur d'un débat au Parlement, la "Haute Représentante" a signifié aux autorités gabonaises qu'elle les tient pour responsables de la sécurité des membres de la mission d'observation électorale, cibles d'attaques jugées intolérables. De même, Mogherini persiste à "plaider pour la publication des résultats bureau de vote par bureau de vote". "Nous espérons, insiste-t-elle, que la Cour agira en toute transparence et indépendance, conformément à son mandat". L'espoir fait vivre.
"Ce que je crains, avoue notre haut-fonctionnaire, c'est la proclamation d'une décision conforme aux voeux de la présidence dès lundi ou mardi prochain. Isolé, otage du noyau dur des faucons, Ali est tenté de précipiter le verdict afin de prendre tout le monde de vitesse. Le seul truc que craignent les jusqu'auboutistes qui l'entourent -son demi-frère Frédéric Bongo, caïd du renseignement, le ministre de l'Intérieur Pâcome Moubelet Boubeya ou encore le porte-parole Alain-Claude Bilie-By-Nze-, c'est la perspective de sanctions ciblées, genre gel des avoirs ou interdiction de voyager à l'étranger." Les confidences d'un diplomate sahélien proche du Secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon et en contact régulier avec le Palais de Libreville donnent quelque consistance au scénario du passage en force. "Là-bas, témoigne-t-il, on croit dur comme fer que la France et l'Europe veulent faire tomber le Gabon dans le piège ivoirien. En clair que Paris a décidé d'évincer Bongo Fils, comme le fut Laurent Gbagbo en 2011. Mais les fidèles d'Ali jurent qu'ils ne se laisseront pas faire."
La juriste Marie-Madeleine Mborantsuo aime-t-elle le théâtre classique? Nul doute que, confrontée à une alternative cornélienne, elle n'en finit plus de méditer le sens du mot "dilemme". Selon le Larousse: obligation de choisir entre deux partis qui comportent l'un et l'autre des inconvénients. Il y a des "inconvénients" dont on se remet ; et d'autres dont un pays ne se relève pas sans casse.
L'express
Créé le 16 septembre 2016 12:31Nous vous proposons aussi
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