Guinée : Alpha Condé pourrait-il être destitué ? (Interview du juriste Mohamed Camara)
CONAKRY- La pétition initiée par le député Jean Marc Teliano pourrait-elle déclencher la destitution du Président Alpha Condé ? Le juriste Mohamed Camara vient d’apporter des éléments de réponses sur cette procédure enclenchée par l’ancien Ministre de l’agriculture suite au discours tenu par Alpha Condé au siège du RPG Arc-en-ciel.
AFRICAGUINEE.COM: Monsieur Camara bonjour!
MOHAMED CAMARA: Bonjour Monsieur Diallo!
Quelle appréciation juridique faites-vous des propos du Président de la République ?
Les discours politiques tenus par certains acteurs politiques y compris certains pouvoirs publics en Guinée deviennent de plus en plus violents, teintés de propos ethniques et de propagande régionaliste en violation manifeste de l’article 4 de la Constitution du 7 mai 2010.
C’est dû en grande partie à l’impunité, au deux poids deux mesures dans l’appareil judiciaire et surtout à l’inaction des Institutions.
Est-ce qu’une pétition à l’instar de celle initiée par l’Honorable Jean Marc TELIANO pourrait aboutir à une destitution ?
La pétition est un droit garanti à tout groupe de citoyens conformément à l’article 10, alinéa 2 de la Constitution du vendredi 7 mai 2010.
En droit guinéen, si la pétition a un son fondement constitutionnel, ses effets par contre ne sont pas contraignants en termes de démission ni de destitution. La réalisation de l’objectif recherché par les pétitionnaires dépend de la volonté de la personne ciblée. Dans une moindre mesure, elle peut seulement servir de déclic pour exhorter les députés à introduire une demande de mise en accusation à l’Assemblée Nationale. Mais, le nombre de signatures recueillies et l’objet de la pétition ne donnent pas droit à la démission d’office ou à la destitution en Guinée. Elle a une valeur incitative des députés, une valeur sociopolitique pour alimenter le débat. La démarche n’a pas assez de chance de prospérer au niveau des députés de la huitième (8ème) de la République de Guinée et ce, pour trois raisons :
1- L’absence de la Haute Cour de Justice malgré l’existence des textes y afférents ;
2- La configuration de l’Assemblée Nationale avec 15 formations politiques, marqué par un rapport de force à la guinéenne caractérisé par l’obsession de faire triompher les positions de sa formation politique avec moins de compromis en témoigne le statuquo qui freine l’adoption de leur nouveau règlement intérieur ;
3- Le fait pour la conférence des Présidents de ne pas prévoir dans l’agenda de la deuxième tranche de la session des Lois, l’élection des 6 députés titulaires ainsi que de leurs suppléants pour la mise en place effective de la Haute Cour de Justice conformément à la Loi Organique 09 du 23 décembre 1991.
Bref, cette pétition est faite pour simplement créer du buzz dans la cité. La démarche juridique la plus solide passe par la procédure devant l’Assemblée Nationale.
En termes de procédure, comment ça se passe lorsqu’il s’agit d’un Président de la République ?
En Droit guinéen, le statut pénal du Président de la République lui fait bénéficier d’une immunité et pendant la durée de son mandat pour les actes commis dans l’exercice de sa fonction sauf en cas de haute trahison. Les poursuites sont dès lors, suspendues dans l’intervalle du mandat. Ainsi, la personne physique est responsable après le mandat mais la fonction est protégée pour la durée du mandat sauf en cas de haute trahison. Comme pour dire que l’immunité ne signifie pas l’impunité. C’est pour cette raison que la Constitution a défini les faits constitutifs de haute trahison conformément à l’ article119 qui dispose « qu’ Il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé son serment, les Arrêts de la Cour Constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains, de cession d’une partie du territoire national, ou d’actes attentatoires au maintien d’un environnement sain, durable et favorable au développement ».
Bref, il bénéficie de l’immunité temporelle et de l’immunité de juridiction en cas de haute trahison. La première immunité couvre la durée du mandat et la seconde immunité fait qu’en cas de haute trahison, il ne comparaîtra que devant la Haute Cour de Justice. Une juridiction d’exception régie par l’article 117 de la Constitution du 7 mai 2010 et de la Loi Organique 09 du 23 décembre 1991 portant attribution, organisation et fonctionnement de la Haute Cour de Justice ainsi que la procédure suivie devant elle. Elle est composée de neuf (9) juges titulaires et des suppléants.
S’agissant des 9 juges titulaires, ils sont élus comme suit : 6 députés élus au scrutin uninominal par vote secret à la majorité absolue des députés et dans le mois qui suit la première séance de l'Assemblée Nationale après le renouvellement général conformément à l’article 3 de la Loi Organique 09 citée ci-dessus. Puis, un(1) membre de la Cour Constitutionnelle élu par ses pairs, un(1) membre de la Cour Suprême élu par ses pairs, un(1) membre de la Cour des Comptes élu par ses pairs. Le Président de la Haute Cour de Justice est un Magistrat élu par les membres de la Haute Cour de Justice.
Donc, sur le fondement de l’article 120 de la Constitution du 7 mai 2010, lorsqu’il y a soupçon de haute trahison, ce sont un dixième (1/10ème) des députés soit un nombre de 11 députés au moins qui introduisent la demande de mise en accusation. Mais, pour que la mise en accusation soit validée, il faut les trois cinquième (3/5ème) soit un nombre de 68 députés à l’Assemblée Nationale.
Si l’on peut se réjouir de l’existence des textes de lois relatifs à la Haute Cour de Justice, mais elle n’est ni composée, ni fonctionnelle à date. La faute est imputable à l’inaction des Institutions notamment, l’Assemblée Nationale, la Cour Constitutionnelle et de la Cour des Comptes pour n’avoir pas jusqu’à présent, élu leurs pairs en composant cette juridiction pour la rendre fonctionnelle. Surtout pour l’Assemblée Nationale qui devait le faire depuis le mois qui suivait la première séance après le renouvellement général. Il y a aussi le manque de volonté politique non dissimulée de l’exécutif à finaliser la complétude des Institutions pour que tous les Guinéens soient justiciables.
On sait bien qu’en l’absence de la Haute Cour de Justice, ni un Président, ni un Premier Ministre, encore moins un Ministre ne peut être jugé en cas de haute trahison pour l’un, de délit ou de crime pour les autres.
Vivement la paix et le respect des textes de lois. Evitons les crises constitutionnelles vu qu’elles génèrent rapidement des crises institutionnelles pour vitre en paix dans un esprit légal et républicain.
Mohamed Camara merci
Merci, c’est un devoir.
Entretien réalisé par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel : 00224 655 31 11 12
Créé le 10 juin 2016 18:41Nous vous proposons aussi
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