Cheick Sako, ministre de la justice: « Dadis Camara peut rentrer en Guinée pour préparer sa défense »
CONAKRY-Confidences, fermeté, et promesses, étaient au menu de l'entretien avec le ministre d'Etat chargé de la justice, Me Cheick Sako. Du procès attendu de Dadis Camara à la détention sans jugement des militaires dont le Général Nouhou Thiam suite à l'attaque de 2011; le ministre Sako dit tout ou presque! Dans cet entretien exclusif, le garde des sceaux guinéen a tenu également à réagir aux propos de plusieurs acteurs politiques dont l'ancien ministre Tibou Kamara et l'actuel ministre Papa Koly Kourouma. Exclusif!
AFRICAGUINEE.COM : Monsieur le Ministre d’Etat bonjour !
MAÎTRE CHEICK SAKO : Bonjour M. Diallo!
En conférence de presse jeudi dernier, vous aviez parlé d’une possible audition du Général Sékouba Konaté en tant que témoin dans le dossier des massacres du 28 septembre 2009. Comment devrait se dérouler cette procédure ?
J’ai été assez surpris par les polémiques apparues suite à notre dernière conférence de presse. Je suis assez surpris parce que c’était une conférence de presse normale. Quand les magistrats sont rentrés de Ouagadougou, j’ai demandé au Procureur qui les a accompagnés d’apporter quelques précisions aux citoyens guinéens.
Suite à cette conférence, un journaliste m’a demandé « est-ce que suite à l’interrogatoire et à l’inculpation de Monsieur Dadis Camara il y aurait d’autres interrogatoires ». J’ai répondu effectivement qu’aussi bien parmi les militaires que les civils, certains seront interrogés comme témoins. Le journaliste a précisé en disant : « est-ce que le ministre de la Défense d’alors, Monsieur Sékouba Konaté sera auditionné ? » J’ai dit qu’il sera interrogé comme témoin. C’est tout.
J’en profite pour dire que le vocable témoin, sa signification juridique et judiciaire est très particulière. Quand on est témoin d’une procédure, ça ne veut pas dire qu’on vous reproche quelque chose. Je rappelle que M. Cellou Dalein Diallo, chef de file de l’opposition a été entendu comme témoin dans ce dossier. Celui qui était ministre de la justice à l’époque pourrait être entendu comme témoin, moi-même je pourrais être entendu comme témoin. Donc, dans le mot témoin, n’y voyez pas d’éléments négatifs là-dans. C’est tout à fait normal que Monsieur Sékouba Konaté soit entendu comme témoin. Ensuite il appartiendra aux magistrats d’en faire ce qu’ils veulent de ce qu’il va dire.
Je termine pour dire que Monsieur Sékouba Konaté lui-même a été à deux reprises à la CPI (Cour Pénale Internationale, Ndlrà) pour dire qu’il avait une liste. Dès lors que lui-même s’est placé sur le terrain de la qualité de témoin, dès lors qu’il dit qu’il détient une liste des gens qui ont participé à ces évènements-là, c’est qu’il se met sur le terrain de témoin. Donc, il n’y a pas de problème là-dessus. Alors, compte tenu du buzz que cela a pris, c’est dommage que ça ait pris cet élan-là.
L’ancien Ministre d’Etat Secrétaire Général à la Présidence de la République, Tibou Kamara a dénoncé une justice qu’il estime être à la solde de l’exécutif. Que répondez-vous ?
J’ai vu aussi cet article de Monsieur Tibou Kamara que je ne connais pas. Il paraitrait qu’il a été ministre d’Etat dans ce pays, tant mieux pour lui. Mais je suis assez surpris de son article qui me semble contenir des contrevérités. Je pèse mes mots. On n’a pas le droit de dire n’importe quoi notamment en matière judicaire. Je renvoi Monsieur Tibou Kamara sur la définition du terme témoin. Quand on dit qu’on est témoin en terme juridique ou judicaire, ça n’a aucune connotation négative. Dès lors qu’on a connaissance des faits, dès lors qu’on a été présent par rapport à des faits, on peut venir témoigner. Ça ne veut pas dire qu’on est impliqué de près ou de loin dans ces faits-là. Donc, répondant à la question du journaliste, j’ai dit que Monsieur Sékouba Konaté sera entendu comme témoin et ça je le réitère.
Il faut faire extrêmement attention parce que Monsieur Tibou Kamara m’a violemment attaqué, à mon avis, à tort. Puisque moi je reste sur la crête juridique. J’ai tenu à apporter quelques précisions par rapport au transport judicaire qui a eu lieu à Ouagadougou. Et, si vous avez remarquez, le juge d’instruction n’était pas là. Puisque sinon cela aurait violé l’instruction. C’est uniquement le parquet qui a un lien avec le ministère de la justice qui était là. On s’est limité factuellement à expliquer pourquoi la commission rogatoire a mis autant de temps depuis le mois de janvier, pourquoi c’est maintenant que cela a été exécuté. J’ai expliqué le retard qui était lié aux autorités Burkinabé, et deuxièmement Monsieur le procureur a expliqué les chefs de prévention qui étaient retenus à l’encontre de Monsieur Dadis Camara qui devenait dès lors inculpé au lieu de témoin.
Pour terminer, il faudrait qu’il refasse un peu sa formation parce que je suis un peu surpris qu’il ne comprenne pas la définition du mot témoin en terme juridique.
Maintenant que Monsieur Dadis Camara est inculpé, est-ce que les autorités pourraient faciliter son retour en Guinée pour attendre le procès ?
Ecoutez, Monsieur Dadis Camara est un guinéen comme tout le monde. S’il veut venir en Guinée, il viendra. Personne ne peut l’empêcher de rentrer. Cela me paraît évident. Mais à partir du moment où il est inculpé, ça lui permet de préparer sa défense. Il va avoir accès au dossier, ses avocats vont avoir accès au dossier. Il va savoir ce que les autres ont dit sur lui. Donc, je pense que pour lui c’est très important parce qu’il va préparer sa défense. Et puis la cour d’assises dira s’il est coupable ou pas.
Donc, il n’y a aucune connotation politique, électoraliste là-dans. Il était président de la République au moment des faits, il était le chef de l’armée, il faut qu’il prépare sa défense pour qu’il réponde éventuellement à ce dont il est reproché. Donc, il peut rentrer en Guinée quand il veut pour assurer sa défense. Mais quand le temps du procès viendra je pense qu’il sera présent à la barre pour s’expliquer. Comme vous le savez, Alpha Condé qui était chef de l’opposition, est passé à la barre dans ce pays. Donc quand on est ancien président de la République, quand on est impliqué dans une procédure judicaire, on viendra s’expliquer. Et là, Dadis a toujours dit qu’il s’expliquera devant les juges. Ce sont les gens qui disent du n’importe quoi autour de lui. Lui-même il a été assez cohérent. Je ne peux pas lui rendre hommage par rapport à ça mais je retiens quand même qu’il a toujours été clair en disant qu’il va s’expliquer devant les juges de son pays. Il faut reconnaitre ça quand même. Donc, malgré son statut d’inculpé, il faut quand même le respecter et attendre que la justice se prononce sur son cas. Comme il faut aussi respecter les nombreuses victimes dans cette affaire.
Vous dites qu’il n’y a aucune connotation politique dans l’inculpation de M. Camara, cependant, l’actuel ministre d’Etat Conseiller à la présidence, Papa Koly Kourouma lui voit tout à fait le contraire. Il estime que l’inculpation de Dadis dénote la « faiblesse de notre appareil judicaire et range notre pays dans le peloton des pays peu fréquentables ». Que répondez-vous ?
Je n’ai pas lu cet article de mon frère Papa Koly Kourouma que j’apprécie personnellement puisque j’ai eu l’occasion de discuter un peu avec lui. Je suis un peu surpris de ces propos puisqu’il est membre du Gouvernement quand même quoi qu’on dise. Mais là il s’est prononcé en tant que politicien, en tant que chef d’un parti politique. Je pense qu’il a tort de dire ça. Tout le monde sait que depuis je suis là en janvier 2014 on a fait beaucoup de reformes. Tout le monde sait que dans ce pays, il y a un haut militaire qui était chef du BATA (Bataillon autonome des troupes aéroportées) qui a été condamné parce qu’il a osé porter la main sur un magistrat. Le Gouverneur de la ville de Conakry est passé devant une juridiction. Il a été relaxé certes, mais il a été pendant une semaine devant une juridiction s’expliquer de ce qu’on lui reproche. Donc, vous voyez, on avance doucement. Donc, quand on dit que la justice guinéenne est instrumentalisée, elle est caporalisée, je pense que c’est excessif. On vient de loin, les choses sont lentes. Mais je pense que Monsieur Papa Koly Kourouma si effectivement il a fait cette déclaration, de faire un peu attention et de ne pas dire du n’importe quoi. Je pense qu’il ne méritait pas ces propos qui lui sont attribués. La justice guinéenne essaie d’être indépendante peu à peu. Ce n‘est pas facile mais nous y arrivons quand même.
Dans un entretien qu’elle a eu avec notre rédaction, la procureure de la CPI a invité les autorités guinéennes à montrer plus de détermination pour la tenue d’un procès dans un délai raisonnable. Qu’en dites-vous ?
On a accueilli madame Bensouda, procureure de la CPI, pendant trois jours à Conakry. Ça s’est bien passé. Mais comme je l’ai dit déjà il y a un an, je ne supporte pas qu’on nous impose un certain calendrier, un certain schéma dans ce dossier. La justice guinéenne travaille sur ce dossier tant bien que mal, n’en déplaise à certaines personnes. C’est vrai que c’est long, on est à six ans, mais les crimes de masse, c’est assez long. Si on va vite, on va bâcler la procédure. Certains vont passer à la trappe. C’est ça qu’il faut éviter. Donc, c’est pourquoi ça été assez long. Mais depuis un an ça s’est accéléré.
Ceux qui disent que, notamment l’ancien ministre de la Justice, mon frère Sylla Salifou, j’ai été surpris de sa réaction (…). Mais de 2009 à maintenant c’est vrai que ça a mis du temps, mais il le sait lui puisqu’il est juriste, les choses ne peuvent pas aller aussi rapide qu’une voiture de course. Parce qu’il faut auditionner les victimes, M. Cellou Dalein a été entendu comme victime partie civile il n’y a pas longtemps. Il ne souhaitait pas venir, il a fallu toute une pédagogie pour qu’il vienne, j’y ai même contribué et d’autres aussi. C’est pourquoi je vous dis que ce type de procès est assez long. Mais quand on va boucler l’instruction, on va passer au deuxième stade c'est-à-dire le jugement. On espère que ça sera fait d’ici la fin de l’année ou en début de l’année prochaine. Le timing on l’a en tête, mais je ne supporterais pas personnellement qu’on nous impose un calendrier venant de l’extérieur sur ce dossier. Si on constate qu’on ne fait rien sur ce dossier, le Traité de Rome s’impose à nous. Ceux qui sont réticents encore par rapport à ce dossier, s’ils souhaitent que ce dossier aille à la CPI, libre à eux ! Ça sera fait si on ne fait rien. Mais on fera quelque chose dans ce dossier. Il faut que ça soit clair.
Des organisations de défense des droits de l’homme ont émis le souhait de voir certaines personnes qui ont été inculpées dans ce dossier soient mises en « congé administratif ». Il s’agit entre autres du Colonel Claude Pivi et du Colonel Moussa Thiegboro Camara. Qu’en dites-vous ?
Je ne répondrai pas à cette question puisque c’est une décision de souveraineté. C’est l’imperium du Président de la République. Donc c’est à lui de décider ou pas s’il doit mettre les personnes que vous avez citées en congé ou pas.
L’ONG Human Rights Watch invite l’exécutif à renforcer la sécurité des juges qui ont en charge le dossier des massacres du 28 septembre 2009. Que répondez-vous ?
Je vous rassure sur ce point que la sécurité des magistrats est assurée. Donc, on va continuer à assurer leur sécurité. Mais entre guinéens, on se connait entre nous. On connait qui est qui dans ce pays. Donc, si jamais les juges ont des menaces, si on profère des menaces sur la justice, on saura d’où proviennent ces menaces-là. Donc ceux qui le feront répondront devant la justice. Ça me paraît tout à a fait évident. Mais je vous rassure que les magistrats sont sous protection.
Récemment on vous a entendu dire que vous avez renoncé à vos primes de souveraineté pour les réaffecter aux magistrats enquêteurs. Pensez-vous que cela leur suffit financièrement pour ne pas subir une quelconque influence extérieure ?
Ecoutez, ces magistrats qui sont de qualité, il y a deux qui sont doyens de juge d’instruction, le troisième est juge à Kaloum, je leur fais énormément confiance. Un magistrat instructeur s’il a une personnalité, une compétence on ne peut pas l’influencer. Même un ministre ne peut pas l’influencer. C’est pourquoi quand j’entends que l’exécutif influe sur ce dossier, c’est totalement faux. Quand on connait le juge Diawara, quand on connait le juge Bah, ou le juge Barry ça m’étonnerait qu’on puisse les influencer.
Quand aux moyens, quand j’ai pris fonction, j’ai tout fait pour que les magistrats ne manquent de rien. Il faut qu’ils aient des primes puisqu’ils sont sur un dossier sensible, la chancellerie n’a fait qu’orienter certaines lignes budgétaires qui sont orientées aux frais de justice en direction de ces magistrats et d’autres magistrats aussi qui ont travaillé sur le dossier de Womey, et sur d’autres dossiers sensibles comme Boké, comme à Mamou où les assises vont bientôt commencer. Quant aux trois magistrats effectivement, j’ai personnellement veillé à ce qu’ils ne manquent de rien au niveau du matériel informatique, mais au niveau des primes également. Les maigres moyens qu’on a par le budget national, mon rôle c’est d’orienter une partie vers ces magistrats qui gèrent tous les dossiers sensibles.
Pensez-vous que la Guinée dispose à ce jour de tous les moyens lui permettant d’organiser le procès des auteurs et commanditaires des massacres du 28 septembre 2009 ?
Je pense que l’exécutif prendra ses responsabilités, on trouvera les moyens pour assumer notre rôle dans ce dossier. Quand on va programmer le procès, le Gouvernement prendra ses responsabilités, il va falloir voter un budget spécial au niveau du ministère de la justice, j’y contribuerais pour que ce procès se fasse dans les règles de l’art, dans la dignité, dans le respect des accusés comme surtout celui des victimes. Donc l’Etat prendra ses responsabilités puisqu’on n’a pas d’autres choix. On espère aussi être aidé factuellement par une partie de la communauté internationale, mais l’Etat prendra aussi sa responsabilité au niveau budgétaire. Comme ça été le cas dans d’autres pays. Le 20 Juillet 2015, le procès d’Hissène Habré (ancien dictateur tchadien, ndlr) doit s’ouvrir au Sénégal qui a fait un effort assez important sur ce dossier. La Guinée fera de même quand ce procès du massacre du 28 septembre va s’ouvrir.
Que dites-vous sur le cas de ces nombreux militaires détenus depuis 2011 sans jugement ?
Vous avez raison ! Moi-même ça me gêne, je l’avoue. Il est inadmissible que des gens soient en préventif aussi longtemps que ces militaires-là. C’est une situation que j’ai également héritée. Quand je suis arrivé, ils étaient en détention, je me suis occupé de leur sort tout de suite. Mais sur le plan procédural on était complètement coincé. Puisque l’affaire avait été évoquée devant la cour d’appel qui a l’a renvoyée devant la cour suprême. Elle aussi s’est déclarée incompétente et a renvoyé l’affaire devant un tribunal militaire qui n’existe pas. Quand j’ai hérité de cette situation, on était dans une impasse judicaire. Pour sortir de cette impasse sur le plan légal, il fallait tout de suite accélérer la création du tribunal militaire. Ce qui a été fait et puis on va essayer de les juger rapidement.
Qu’est-ce qui empêche concrètement l’ouverture de leur procès ?
Le tribunal a été constitué. Moi-même j’ai nommé les juges civils, mon collègue de la défense a nommé les juges militaires. Donc, à tout moment le tribunal peut se constituer pour effectivement évoquer cette affaire. On est là-dessus. Mais sur le principe vous avez tout à fait raison, c’est une faute de l’exécutif de fait que ces personnes soient détenues sans jugement. Vous voyez, je fais un mea-culpa là-dessus. Tout n’est pas parfait dans notre système, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaitre. Par rapport à ces militaires là on est en position de faiblesse, je le reconnais. D’ailleurs l’Etat a été condamné par le tribunal de Kaloum pour détention excessive dans ce dossier. Ce qui me paraît tout à fait normal.
Merci beaucoup monsieur d’Etat !
Merci !
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 655 31 11 12
Créé le 20 juillet 2015 10:46Nous vous proposons aussi
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