Jean Marie Doré à l’opposition : ‘’Si vous refusez le dialogue, il ne vous resterait plus que les fusils…’’ (Interview exclusive)
CONAKRY- Dans le nouveau bras de fer entre le pouvoir du Président Alpha Condé et l’opposition, l’ancien Premier Ministre Jean Marie Doré vient de donner sa position ! Le leader de l’Union pour le Progrès de la Guinée, a exprimé son point de vue après « l’échec » du dialogue politique qui s’est soldé par le retrait de l’opposition. Dans cet entretien exclusif avec un journaliste de notre rédaction, l’ancien Chef du Gouvernement de transition fait également des propositions de sortie de crise pour son pays. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Honorable Jean Marie Doré Bonjour !
JEAN MARIE DORE : Bonjour Monsieur Diallo !
Le dialogue politique vient de capoter avec le retrait de l’opposition au processus des négociations. Qu’est ce que cela vous inspire ?
Je ne suis pas le juge de l’opposition. Je n’ai pas à juger ses actions mais comme il s’agit d’un processus qui a une certaine influence sur le cours de la gestion de notre pays, on est obligé d’avoir un œil sur le déroulement de ce dialogue auquel je n’ai pas participé. Comme vous le savez, c’est l’opposition radicale qui a demandé le dialogue, donc sauf elle seule participe. Et, la loi est venue consacrer l’existence de la mouvance et de l’opposition. Nous sommes du centre, on n’a pas cru devoir nous inviter au nom du principe du tiers-exclu. Ce raisonnement qui consiste à dire qu’il n’y a rien entre le « oui » et le « non ». De ce côté-là, il faut que vous sachiez que je n’ai pas le droit de porter un jugement sur les motifs secrets qui ont poussé l’opposition à dire qu’elle ne participe plus à ce dialogue.
Moi, je regarde les intérêts de la Guinée, je dis que ce n’est pas comme ça qu’on fait la politique. S’il y a dialogue, c’est que quelque part on ne s’entend pas. Donc, il faut régler les problèmes par des contacts pour évaluer les arguments en faveur de la proposition actuelle du Gouvernement ou contre la proposition actuelle du Gouvernement. Comme nous avons derrière nous des gens dont les intérêts sont engagés, il faut s’armer de patience pour prendre à témoin l’opinion. De quoi s’agit-il ? On a dit qu’il faut changer le programme électoral, on a dit qu’il faut changer la CENI (Commission électorale nationale indépendante, Ndlr).
A mon avis, on peut toujours changer le programme électoral pour vue que ce changement n’amène pas à violer la loi. Si le Gouvernement se crispe là-dessus je ne comprends pas ses raisons. Violer la loi serait d’organiser les élections présidentielles de telle manière que le mandat du Président soit exclu de la surface de la légalité. Le président Alpha Condé a prêté serment le 21 décembre, il faut qu’au plus tard le 21 décembre, il y ait un nouveau président. Ça peut être lui, ça peut être un autre. Ce n’est pas ce qui est important. Ce qui est important, c’est qu’il n’y ait pas de vide juridique dans l’exercice de la légitimité politique de celui qui est en charge du destin global de la Guinée. Avec cette marge là, si j’étais partie prenante au dialogue, c’est là qu’il fallait creuser. Mais comme vous le savez, beaucoup de gens que j’ai observés anticipent toujours sur les réalités avec une mauvaise évaluation. Il faut dialoguer jusqu’à épuisement, jusqu’à ce que l’opinion sache que c’est le Gouvernement qui a tort de ne pas trouver la solution ou c’est l’opposition.
Je ne connais dans ce monde, en Europe, en Asie, en Amérique du Nord, en Océanie, encore moins en Afrique, un Gouvernement qui organise les élections quand la situation lui est défavorable. Il n’y en a pas. Donc, dire que Alpha Condé veut faire ceci ou cela, ça me paraît absurde, naïf. Et, puis on parle de discussions futiles en aberration byzantine. C’est ce qui égare l’opposition. Elle investie tous ses efforts dans des quêtes mal évaluées. Selon moi, cela n’est pas recevable. Je ne dis pas que le Gouvernement a raison de tirer sur la corde, je ne dis pas que l’opposition a tort de prendre cette position. Mais je dis qu’en voulant changer le cours de choses, il ne fallait pas se contenter de publier le contenu des revendications en souhaitant que le lendemain le Gouvernement vienne dire oui. Ça ne serait pas un Gouvernement africain.
Parmi les exigences de l’opposition, il y a la recomposition de la CENI avant d’aller aux élections. Pensez-vous que ça soit possible de recomposer cette institution dans ce contexte ?
Mais on ne peut pas recomposer la CENI ! A moins de faire un coup d’Etat à la CENI. Parce que les membres de la CENI, au terme de la loi qui est claire, sont élus pour sept ans. Ce ne sont pas des gens qui sont cooptés par le Gouvernement comme ça ! Le Gouvernement a coopté ses représentants, chaque parti politique a proposé son représentant. Ils sont là-bas au nom de la mouvance et au nom de l’opposition. Il faut reconnaitre, il faut dire la vérité, l’opposition a mal géré ses représentants. La moindre contrariété dans le dialogue avec la CENI, on dit : « il faut retirer nos représentants »
Je vais vous dire une vérité qui va choquer peut-être. Les gens de la CENI au début quand ils ont commencé, on leur donnait le prix du taxi seulement quand ils venaient en réunion. Puis on a dit que l’affaire commence à prendre une certaine allure, on va leur garantir un certain revenu mensuel. Je crois que c’était 250.000 francs guinéens. Puis ayant légiféré là-dessus, ayant nommé une CENI permanente avec des membres élus pour sept ans, on a dit qu’il faut les mettre dans une hiérarchie. Aujourd’hui ils ont un salaire consistant. C’est très important. Quelqu’un qui va de 1 à 100, il regarde deux fois avant d’abandonner l’acquis. C’est un tort de la part d’un parti qui ne tient pas compte de ça. Il y a un débat à la CENI qui ne plait pas aux partis, il n’appelle même pas son représentant pour lui demander ce qui se passe là-bas. Ils discutent dans une permanence, on constate que la CENI n’est plus représentative de nos intérêts, on téléphone : « hé Didon n’allez plus à la CENI !, le type dit mais, on me prend pour qui ? » Ce n’est pas une question de manque de patriotisme. Patriote ou pas, il faut que vous mangiez trois fois par jour.
Donc, ici l’opposition s’est mise en minorité renforcée, alors qu’elle l’était déjà. Moi j’ai partagé l’opinion de l’opposition que forcément les deux représentants de l’administration votent pour le Gouvernement. Plus le nombre qui formait la parité avec l’opposition, le Gouvernement a deux voix d’avance à chaque vote. Pour ça j’ai trouvé une formule pour que le Gouvernement ne soit pas représenté par deux commissaires qui participent au vote. Il faut qu’ils aient une voix délibérative, mais il ne faut pas qu’ils votent. Ce sont des techniciens qui viennent au nom de leur savoir faire, aider les gens de la CENI à lire les textes. Je crois que le Gouvernement doit pouvoir céder là-bas. Il fallait insister là-dessus pour ramener la parité. Avec le droit de vote des deux représentants de l’administration, le principe de la parité est faussé.
Mais au lieu de jouer sur ce registre là, l’opposition elle-même s’est séparée de ses représentants à la CENI. Comme le gars est élu pour sept ans et qu’il a prêté serment, il n’est pas obliger de répondre à l’appel de son parti. Croyez-vous que le gars va rester comme ça ? Non ! Il va voter pour la mouvance. Donc, cette histoire de remplacer la CENI, me paraît complètement stupide au nom du bon sens. Il faut que les gens se mettent en phase avec leurs représentants pour rétablir l’équilibre entre le nombre des membres élus désignés par la mouvance et le nombre des membres élus désignés par l’opposition. Mais je ne crois pas que ce soit une bonne chose de revendiquer coûte que coûte la reforme de la CENI.
L’autre point qui divise aujourd’hui les acteurs politiques, c’est le fichier électoral, qui selon l’opposition, est complètement corrompu. Avez-vous le même avis ?
Il y a une certaine confusion dans l’établissement du fichier. Ça ne fait rien, ni à l’opposition, ni au Gouvernement de s’assoir et d’écouter des vrais experts, pas des gens ramassés sur les marchés publics, pour qu’ils disent le péché principal du fichier. Parce qu’il ne sera jamais à 100% idéal, ça péchera toujours quelque part, mais il faut que ça soit des aspects mineurs. Moi je ne suis pas expert dans les questions informatiques. J’ai écouté des gens qui m’ont dit qu’il y a des nettoyages à faire. Mais selon la tendance de l’un des experts, ça n’empêche pas les élections, l’autre dit ah ça peut quand même entacher dans une mesure sensible la signification démocratique du scrutin. Donc, dès que des gens au nom de leur art, ont dit ça, il faut négocier la qualité d’experts capables d’auditer le fichier, puis on va aux élections.
Mais cette tendance à dire toujours qu’on rejette en bloc, ce n’est pas normal ça. C’est un échange d’informations des possibilités, on marche l’un vers l’autre. Mais si c’est un qui doit imposer son point de vu à prendre ou à laisser, ce n’est plus un dialogue, ça devient un diktat, que ça vienne du Gouvernement ou de l’opposition. Or, on veut démocratiser ce pays ! Il faudrait donc, que nous allions à l’école du dialogue, du débat parce la démocratie signifie le débat. C’est la force des arguments qui l’emporte, or les arguments ne s’échangent que dans un débat. Mais si vous refusez le débat, il ne vous reste plus que les fusils. Donc, je pense que le sujet est grave, mais la façon de traiter le problème ne me parait pas bien.
Je ne dis pas que l’opposition a tort partout dans cette bataille, mais c’est plus dans le style que dans l’argumentaire. Cette façon de quitter son siège l’affaiblit. Aujourd’hui l’opposition est affaiblie. Ils avaient demandé l’annulation du calendrier électoral, puis on rabat en disant qu’il faut les tenir au mois d’aout. Mais nous avons toujours refusé l’organisation des élections entre juillet et septembre parce qu’il y a la pluie. Pourquoi, aujourd’hui nous allons répudier le même principe en disant qu’il faut organiser les élections communales au mois d’août. Est-ce ça fait sérieux ça ? Si hier ce n’était pas bon d’organiser les élections au mois d’août, la météo n’ayant pas dit le contraire, je ne vois pas encore de changement climatique sensible. Donc il faut attendre la bonne saison pour organiser les élections. Dans l’intérêt supérieur de la nation, il faut que les gens qui croient que c’est un titre de gloire d’être dans l’opposition, soient mieux inspirés. Le mot opposant a toujours une connotation négative, parce que ça connote la défaite.
L’opposition semble avoir changé de stratégie vis-à-vis du Gouvernement. Désormais elle propose un partage des élus locaux en tenant compte des résultats des dernières élections législatives. Croyez-vous que c’est une piste de solution à explorer ?
Mais non ! C’est une absurdité totale ! Moi je vais demander alors qu’on me cherche une moyenne en dehors des élections. Puisque dans l’intérêt national, j’avais accepté la charge de Premier ministre pendant la transition. Mon parti n’a pas été aux élections. Comment on va mesurer si je demande que l’on aille plus loin que les élections législatives ? Je le dis avec beaucoup de contrainte. C’est imbecilis (faible d’esprit). La façon de raisonner est imbécile, ce n’est pas bon. Le même qui vote pour moi aux élections présidentielles ne votera pas pour moi à une élection communale à Labé. Parce qu’il y a des contraintes locales à Labé qui font qu’on veut avoir affaire à un notable du coin. Si vous prenez le résultat des élections législatives. C’est encore pire. Ce n’est pas juste, c’est absurde. Je m’insurge contre ça. Je m’oppose catégoriquement à ça. Il faut organiser les élections communales quand le temps viendra de le faire, on mesure la force de chacun selon ses résultats issus des élections communales. Pourquoi on le ferait seulement pour les élections communales et non pas les élections présidentielles ? Quand les gens raisonnent quelquefois on ne voit pas ce qu’on peut faire des arguments qu’ils utilisent. Donc je trouve que c’est idiot, c’est stupide, c’est naïf de vouloir se passer des élections communales pour donner des conseillers en fonction des résultats d’une autre élection. C’est la plus grande absurdité, ça n’a aucun sens.
Pour contraindre le Gouvernement à lâcher du lest face à ses revendications, l’opposition menace encore de reprendre les manifestations de rue après le mois de Ramadan. Qu’en pensez-vous ?
Je ne vais pas faire de commentaires pour ne pas passionner le débat. J’ai écouté le président de l’UFDG (Cellou Dalein Diallo) quand il a perdu beaucoup de militants (…). Il faut rendre hommage à ces jeunes militants de l’UFDG qui ont un courage exceptionnel, qui n’ont ménagé aucun acte de bravoure pour soutenir la direction de leur parti même à soixante morts, plus que ça même. Qu’est ce que la mort de ces jeunes gens et les manifestations antérieures ont donné comme résultat ? Il faut d’abord faire le bilan de ces manifestations pour voir dans quelle mesure ces manifestations apportent quelque chose à ceux qui les organisent.
Menacer de reprendre les manifestations dans le contexte actuel, pour moi ce n’est pas sérieux. Compte tenu de ce que je viens de vous dire. Je crois qu’il faut éviter de considérer nos militants comme des moutons. Quand on a besoin d’un rôti, on envoi au barbecue comme ça. Il faut respecter les gens qui viennent se mettre à la disposition des partis pour faire pression. Parce que la rue fait toujours pression. Mais si vous n’en sortez pas une fois, deux fois, trois des gains, l’opinion finit par se lasser de vous et à retourner contre vous des arguments que vous développez contre le Gouvernement. Donc, moi je ne crois pas que ça soit des poussins que l’on poussent à la rue pour aller manifester sans qu’on rende compte des manifestations antérieures.
Dans la situation actuelle quelle est la voie qui vous semble la plus plausible pour sortir de cette crise ?
Il faut voir avec qui discuter. Vous avez des gens qui n’ont pour spectacle que leur nombril. Ils ne voient pas plus loin que l’ambition refoulée qu’ils ont d’être Président de la République, sans savoir qu’il y a des conditions à remplir pour devenir Président de la République. La maitrise de la sociologie guinéenne, de l’histoire guinéenne, de l’économie guinéenne, ce sont des données qu’il faut maitriser, en faire une synthèse dynamique avant de présenter le devis pour que le peuple vous donne acte de votre prise de position pour voir s’il peut s’aligner derrière vous ou pas. Mais actuellement l’opposition n’est pas mûre pour écouter la voie de la raison. Parce qu’aller au pouvoir, on n’emprunte pas une voie linéaire. Il y a des moments de pause, il y a des moments où il faut prendre un chemin vicinal et renoncer aux autoroutes.
Quelles solutions proposeriez-vous pour sortir de cette situation ?
J’ai des solutions, mais je les explique dans le cadre de notre stratégie. Ce ne sont pas les gens qui nous ont refoulés en disant que nous on n’est même pas des guinéens, parce que pour eux, être guinéens, il faut être opposants (rires), Dieu soit loué que moi je ne sois pas de cette opposition-là. C’est d’une telle absurdité.
Il faut raisonner, il faut réfléchir. Ce n’est pas une affaire d’amour propre. Quand on fait la politique, il faut évacuer les amours propres, il faut évacuer les états d’âme. Les gens croient que c’est parce qu’ils ont créé un petit parti, ils ont des sigles qu’ils sont des hommes politiques, mais non ! C’est une longue marche.
Mais je regrette profondément qu’on ait mis fin à la poursuite du processus du dialogue. Il fallait continuer. C’est ça l’apprentissage de la démocratie. Pour dire bref, je pense qu’il faut revenir à la table des négociations, pas pour radoter mais pour dire des choses sérieuses. Pour dire ce qui est compatible avec la réalité et ce qui ne l’est pas. Parce qu’en dépit de tout ce qui compte, c’est l’organisation du scrutin de telle manière qu’il soit régulier. C'est-à-dire qu’il y ait moins de tricherie possible.
Un mot pour conclure ?
Pour conclure je m’oppose catégoriquement à l’idée infâme, absurde de prendre les résultats d’une élection pour se passer d’une autre et distribuer les postes comme ça. Si c’est comme ça il faut donner la plénitude au Pouvoir d’Alpha Condé de faire l’économie du papier pour l’organisation des élections.
Il faut que l’opposition exclue la passion dans le débat politique. Elle n’a pas de place dans un débat comme ça. Quand on danse avec un aveugle il faut souvent lui marcher sur ses pieds pour lui rappeler qu’il n’est pas seul sur scène.
Que je participe ou pas à ces négociations, ce n’est pas ce qui est important. Ce qui est important, c’est que quelque part qu’on s’accorde sur une idée qui préserve les intérêts de la Guinée. Parce que toutes ces querelles, ces manifestations ont pour effet de dissuader les investisseurs. Au bout du compte ce sont les jeunes gens qui se promènent avec la copie de leur diplôme qui sont pénalisés.
L’effet de dialoguer n’est pas forcément en faveur du Gouvernement. Et même si c’était le cas, dès lors que ça sert les intérêts du plus grand nombre, je ne vois pas pourquoi il faut refuser. Parce qu’il y aura toujours un Gouvernement en Guinée. Si à chaque fois quelqu’un est au Gouvernement on dit non, ce n’est pas lui qui devait être là, il faut le changer, on ne s’en sortira pas. Chacun va gouverner sa femme et ses enfants. Quel serait ce pays-là ? Ça n’existe pas même en enfer. Donc, je souhaite de tout cœur que la Guinée sorte de ces errements, qu’elle se ré-crédibilise pour le bonheur de son peuple.
Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions !
C’est moi qui vous remercie !
Interview réalisée par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 655 31 11 12
Créé le 7 juillet 2015 01:59Nous vous proposons aussi
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