Immigration: Pourquoi le Québec veut en finir avec le multiculturalisme
MONTREAL-Le Québec a connu un immense débat ces derniers mois. Le gouvernement de la province veut désormais rompre avec le multiculturalisme. À l'automne 2013, il a présenté un projet de Charte des valeurs, qui proposait un meilleur encadrement des «accommodements raisonnables», l'inscription de l'égalité hommes/femmes dans la Charte québécoise des droits de la personne et qui proscrivait, au nom de la laïcité, les signes religieux ostentatoires chez les employés de l'État.
Il n'y a pas qu'au Québec que le multiculturalisme est en crise. C'est le cas dans toutes les sociétés occidentales.
Le multiculturalisme repose sur l'inversion du devoir d'intégration: ce n'est plus à l'immigrant de prendre le pli de la société d'accueil, mais à celle-ci de transformer ses institutions pour les accorder aux exigences de la «diversité». C'est ce qu'on appelle l'idéologie de «l'accommodement raisonnable», qui se présente comme un simple ajustement pragmatique respectueux du nouvel arrivant pour faciliter son insertion. Terrible illusion.
Car à l'exigence traditionnelle d'hospitalité à l'endroit des immigrants, à laquelle répondait leur inévitable intégration nationale à leur pays d'accueil, s'est substitué un projet très radical, fondé sur la déconstruction de ce dernier. Le multiculturalisme repose sur un procès systématique de la nation. Il considère qu'il n'y aura pas de justice sociale tant que les identités liées à l'immigration ne seront pas sur le même pied que l'identité de la société d'accueil, qui ne sera plus qu'une composante de la diversité.
La souveraineté populaire serait à congédier. Elle masquerait la simple tyrannie de la majorité. La figure du gouvernement des juges s'impose, et s'accompagne d'une traduction des revendications minoritaires dans le langage des «droits fondamentaux». Le multiculturalisme entraine ainsi un changement de régime politique qui relève de la logique du «despotisme éclairé».
Il pousse aussi à la rééducation de la nation d'accueil, comme en témoignent les nombreux programmes scolaires qui cherchent à lui inculquer ses préceptes idéologiques.
Évidemment, cette question se pose encore plus radicalement au Canada. Dans les années 70, le multiculturalisme a d'abord eu pour vocation de neutraliser le peuple québécois, en le transformant en minorité ethnique parmi d'autres dans la diversité pancanadienne, alors qu'il se concevait traditionnellement comme un des deux peuples fondateurs de la fédération. Faut-il rappeler d'ailleurs que le peuple québécois n'est pas reconnu dans la Constitution de 1982? Il ne faut pas être surpris que le Québec ne l'ait toujours pas signée.
Le Québec peut-il définir son propre modèle d'intégration des immigrants, pour les acculturer à sa propre réalité nationale, ou doit-il être considéré comme une simple subdivision provinciale de la fédération canadienne? Le Québec peut-il rappeler qu'il est une «société distincte» en droit de définir sa propre culture de convergence, à partir de son expérience historique singulière? C'est la question nationale qui révèle encore une fois son caractère irrépressible. Entre le multiculturalisme canadien et l'identité québécoise, la contradiction demeure fondamentale et pourrait un jour conduire à la rupture du lien fédéral.
Le multiculturalisme canadien, au-delà de la question du Québec, pratique une forme de «fondamentalisme dans le relativisme». Le critère utilisé pour justifier un «accommodement raisonnable» est celui de la sincérité de la croyance de celui qui l'exige. L'ordre politique est appelé à se dissoudre dans la subjectivité de chacun. De ce point de vue, les symboles religieux ostentatoires sont déculturés et présentés comme la simple expression de préférences personnelles. Le multiculturalisme canadien s'aveugle ainsi devant l'empiètement des communautarismes dans le domaine public.
« Le projet de Charte des valeurs du gouvernement québecois entendait rappeler que la citoyenneté ne saurait se réduire à une définition purement procédurale. »
Le projet de Charte des valeurs du gouvernement québecois entendait rappeler que la citoyenneté ne saurait se réduire à une définition purement procédurale, comme si elle pouvait s'évider de son substrat historique et se dénationaliser. Il entendait, en somme, réhabiliter une figure du «commun» historiquement fondée et s'inscrivant dans la durée. À travers elle, on retrouvait tout simplement la possibilité de nommer l'existence du corps politique dans son ensemble et d'assumer l'héritage historique sur lequel il repose. Mais si la laïcité peut y contribuer, elle ne saurait suffire: le projet gouvernemental assumait d'ailleurs le patrimoine historique québécois, qui la dépasse largement.
Comment assurer l'existence d'un corps politique si on lui dénie la possibilité d'assumer son histoire? De quelle manière lier les individus en profondeur et éviter l'assèchement du politique dans la seule logique des «droits»? De quelle manière recomposer la souveraineté populaire alors qu'on conteste de plus en plus l'existence même de la nation? La Charte des valeurs ne survivra peut-être pas aux élections provinciales qui se dérouleront le 7 avril au Québec. Mais la question «identitaire», au Québec comme ailleurs, modifie en profondeur la vie politique. Elle révèle «l'impensé» de la démocratie: c'est-à-dire le caractère indispensable de la nation.
Mathieu Bock-Côté
Source: Lefigaro.fr
Créé le 5 avril 2014 09:37Nous vous proposons aussi
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