Impasse politique en Guinée: Ce qu’en pense Baadiko Bah du FDP
CONAKRY-Alors que le bras de fer se poursuit entre le pouvoir et l'opposition, Mamadou Baadiko Bah du Front d'Union pour la démocratie et le progrès (FDP)dénonce le bilan de trois années de gouvernance d'Alpha Condé.Dans cet entretien, il évoque également la crise politique en Guinée même si un maigre espoir persiste quand à la tenue des législatives le 24 septembre prochain.Entetien!
AFRICAGUINEE.COM : Depuis quelques années, la Guinée peine à organiser des élections législatives. Aujourd’hui, quelle est votre appréciation du processus électoral en cours dans notre pays ?
Mamadou Baadiko BAH:[/B] Malheureusement aujourd’hui, la Guinée est à la traine du progrès et de la démocratie. Ça c’est malheureusement un constat. Comme vous le savez, beaucoup de pays au tour de nous ont connu des crises majeures, allant même jusqu’à des guerres civiles. Et ces pays là, leur classe politique quant à elle a réussi à s’entendre sur un minimum pour organiser des élections qui font avancer leur pays. Alors que nous ici, tout le processus électoral est pratiquement pris en otage par le personnel politique. Chacun veut aller aux élections à condition que ça ne soit qu’à ses conditions exclusives. C’est bien là le problème. Le gros problème également, c’est qu’on n’a pas eu un déroulement correct de la transition de 2010. Si nous avions eu une assise nationale en 2010 qui se penche au moins sur les plaies de la Guinée, sur ce triste passé, le fait de dictature plus ou moins sanguinaire, de prédation des biens publics, de corruption et de division communautaire, nous n’aurions pas eu les problèmes que nous avons aujourd’hui.
La sortie de la transition militaire a été faite dans des conditions qui ne permettaient pas d’avancer sérieusement vers la voie de la démocratie véritable ; puisque le personnel politique s’est arrangé avec toutes les accointances et avec tous les contacts qu’ils avaient avec la communauté internationale, à imposer comme première sortie de l’étape de la transition, une élection présidentielle.
Alors qu’avec la configuration et le paysage politique des peuples, il aurait fallu faire une élection législative, qui puisse dans ce cas là, trouver une assemblée et on n’aurait pas eu de pouvoir solitaire, on n’aurait pas eu cette tentative d’installation de parti totalitaire qu’on a eu après l’arrivée des civils au pouvoir en 2011. Et donc, le candidat du RPG Arc-en-ciel est arrivé à la présidence, s’est mis en devoir d’appliquer ce qui est de l’usage, c'est-à-dire se voir fabriquer à tout prix une assemblée sur mesure. Et c’est ce qui nous a conduits aux crises actuelles de ne pas avoir d’élection au cours des trente mois. Ce sont des tacs tics qui sont connus et qui étaient appliqués dans la première élection présidentielle lorsqu’on a mis quatre mois et demi avant de faire le deuxième tour, alors que les pays, comme le Mali, est arrivé au bout d’une semaine. Donc tout ça, ce sont des attitudes partisanes, anti démocratiques et égoïstes, qui font que les gens ne regardent que leurs intérêts propres. C’est tout ça qui fait que nous sommes dans cette situation dramatique aujourd’hui.
On a donc échappé au coup d’Etat électoral le 30 juin où le RPG Arc-en était tout à fait confortable et à l’aise d’aller seul avec quelques acolytes à l’élection des députés. Et aujourd’hui, on est dans un processus où on ne sait pas à quoi ça peut aboutir.
AFRICAGUINEE.COM : Annoncées pour le 24 septembre prochain, l’on s’achemine vraisemblablement vers un nouveau report de ces élections législatives. Selon vous, quelles pourraient être les conséquences d’une telle éventualité ?
Il faut dire que le RPG Arc-en-ciel, n’ayant pas réussi son coup d’Etat électoral du 30 juin, a tout fait pour précipiter les élections. Dans 24 heures, on a fait un chronogramme absolument délirant, ne laissant pas du tout la place, même à une seule journée de rattrapage possible, et qui a fait que la CENI a travaillé dans les pires conditions et beaucoup d’opérations ne peuvent être que bâclées, et on ne peut pas avoir le temps de rattraper pour corriger les anomalies. Je vous donne un exemple, quand vous avez un carton de cartes d’électeurs qui est débarqué à Kérouané alors qu’il devait être débarqué à Koundara, avec la catastrophe du réseau routier national, vous imaginez bien combien de temps ça va prendre pour réacheminer ce carton de l’autre côté alors qu’en temps ordinaire, si on avait eu un peu de battement, ça aurait pu être fait normalement.
Donc, aujourd’hui, nous ne parlons pas de report, ce n’est pas à nous de parler de report. C’est l’autorité politique qui a décidé que c’était le 24 septembre, il leur appartient de prendre les dispositions pour que toutes les conditions soient réunies afin que le 24 septembre qu’on ait des élections libres, honnêtes et équitables. Mais tout ce que nous voyons, met en doute réellement le caractère sérieux, crédible, honnête et fiable des élections que devons avoir le 24 septembre.
Des anomalies, il y en a beaucoup. Quand on parle du dé doublonnage, il faut dire qu’une partie des anomalies a été corrigée, il faut le reconnaitre, puisqu’en additionnant tout ce qui a été fait dans le fichier, vous aurez pu obtenir facilement plus de 7 millions d’enrôlés. Et de nos jours, on est revenu à 5 millions 100 environ, malgré ça, il y a encore des doublons que nous ne connaissons pas l’ampleur. Mais on pense que l’ampleur n’est pas aussi massive qu’au début du processus. Mais nous estimons également que le problème le plus dramatique c’est le découpage administratif que le ministère de l’administration du territoire a consciencieusement fait pour égarer les électeurs et en rimer tout le système électoral au fief du RPG. Ça veut dire qu’on déplace des gens de façon fantaisiste pour servir les dessins électoraux du RPG. Ce qui fait que des gens qui étaient inscrits en 2010, dans une localité, sont balancés ailleurs sans qu’ils n’aient absolument rien demandé, et quand ils vont là où ils ont l’habitude de récupérer leur carte, ils ne voient pas leur carte, et ne savent pas par où chercher. Donc, le système est complément biaisé et ce n’est là où nous disons que le processus n’est pas honnête puisque tout a été fait pour défavoriser l’opposition et favoriser le parti au pouvoir, car cette désorganisation s’est intensifiée surtout dans ce qui est considéré comme les fiefs de l’opposition. Ça n’a pas touché tout le territoire national. L’autre phénomène qui n’est pas exactement dû au fichier électoral lui-même qui pose problème, c’est le déchainement des moyens matériels, financiers et humains par le parti au pouvoir. On a vu les villes se couvrir de jaune arc-en-ciel, du parti au pouvoir, des grandes affiches partout qui coutent des dizaines de millions, des motos et des gens habillés partout, et puis de l’argent distribué copieusement à tout un chacun et tout ceci en violation des dispositions légales.
La première chose, le déchainement des moyens financiers est tellement dramatique, même à la pire époque du parti de l’unité et du progrès (PUP), on n’a pas vu cela. Là-dessus donc, c’est une violation de l’article 195 du code électorale qui règlemente les dépenses de campagnes électorales. Cet article dit : « il est interdit à tout parti politique ou à tout candidat qui prend part à une élection législative ou présidentielle, d’engager pour la campagne électorale des dépenses excédant le plafond autorisé par la commission indiquée à l’article 193… »
C’est la CENI qui fixe le plafond des dépenses, et pour mémoire aux présidentielles, on était à trois milliards et demi. Et n’importe qui peut voir aujourd’hui, les dépenses directes du RPG Arc-en-ciel, aussi bien en moyen matériel qu’en corruption et en achat de conscience des électeurs. Ce qui est totalement en violation flagrante de la loi. Et encore, vous avez l’utilisation abusive honteuse et ouverte, public des moyens de l’Etat, en mobilisant tout l’appareil étatique, tous les fonctionnaires, avec toutes les pressions et les menaces à l’appui. A ce stade, il faut préciser que l’article 219 du code électoral dit bien : « Toute personne qui, en violation des articles 54 et 55, utiliserait ou laisserait utiliser à son profit, les attributs, biens, moyens de l’Etat, d’un organisme public, d’une association ou d’une organisation non gouvernementale sera punie de peine d’emprisonnement etc. » Là également, la loi a été violée de la façon la plus claire et c’est absolument véridique.
Quand on parle de la corruption qui est utilisée par le RPG Arc-en-ciel, qui n’a fait que continuer des pratiques anciennes du PUP, qui n’était jamais arrivé à ce stade de débauche d’argent, il y a l’article 214 du code électoral qui en parle. Il stipule : « Quiconque, par des dons, ou libéralité en espèce ou en nature par des promesses de libéralité des faveurs, d’emplois publics ou privés, ou d’autres avantages aura influencé ou tenté d’influencer le vote d’un ou de plusieurs électeurs, ou d’un collège électoral, ou de s’abstenir de voter, sera punie d’un emprisonnement de trois mois à deux ans…. ».
Ce que nous constatons, c’est que le code électoral est entièrement violé, principalement par le parti au pouvoir. Le RPG s’est spécialisé dans la violation ouverte des textes sur la base desquels il a été élu. Il viole ouvertement les lois de la République à commencer par la constitution et le code électoral. C’est tout ça qui fait que nous ne pouvons pas avoir en ce moment des élections libres, honnêtes et équitables, parce que le jeu n’est pas égal. On a désorganisé le fichier électoral et le système. Et le pouvoir utilise tous les moyens à sa disposition, plutôt que de régler les problèmes dramatiques de la population. On n’a plus de réseau routier en Guinée, on n’a pas d’électricité, on n’a pas d’eau potable, mais tout d’un coup, on découvre un Etat immensément riche qui a de l’argent à gaspiller dans une campagne électorale, ce qui est absolument inacceptable.
AFRICAGUINEE.COM : Vous dénoncez plusieurs violations de la loi et du code électoral, une fois à l’assemblée nationale, comptez-vous poursuivre en justice le pouvoir actuel ?
[/B] C’est une tâche qui n’incombe pas uniquement à nous. Il y a beaucoup d’articles du code électoral et de la constitution qui sont entrain d’être violés. Il faudra bien qu’un jour, les tribunaux s’en saisissent. Vous savez que la loi impose à chaque parti politique de tenir une comptabilité. Donc, il serait très intéressant de savoir quelle comptabilité le RPG Arc-en-ciel va tenir pour indiquer les ressources dont nous soupçonnons fortement, qu’il ne s’agit que des ressources de l’Etat. La meilleure preuve, c’est qu’en 2010, le candidat du RPG n’avait pas utilisé même le millième des moyens qu’il déploie aujourd’hui. Donc, il s’est bien passé quelque chose entre temps puisqu’ils sont au pouvoir. Donc, il y a problème.
AFRICAGUINEE.COM : Parlant toujours du processus électoral, que pensez-vous de la menace de l’opposition qui n’exclue pas de reprendre les manifestations de rue ?
Il ne nous appartient pas de dire que la CENI ne peut pas corriger les anomalies qui ont été signalées en matière d’abord de doublons, et en matière de configuration des bureaux de vote. Donc, on a une rencontre ce vendredi en principe avec le comité de suivi, c’est à l’issue de cette rencontre qu’on saura quelles dispositions ont été prises pour arriver à corriger ces anomalies. Mais tout le monde le voit, le temps est extrêmement court. Il y a les guinéens de l’étranger qui doivent voter dimanche, donc, on ne peut pas vous dire au stade où nous sommes, est-ce que ces anomalies seront corrigées. Mais là aussi, il faut que les gens apprennent à lire les documents qu’ils ont en main. Il ne faut pas crier, ça ne va pas, j’ai été déplacé, parfois il y a des raisons. Vous avez par exemple une situation, l’ancienne CENI avait fait un recensement tout à fait farfelu qui s’adressait essentiellement aux militants du RPG Arc-en-ciel. On avait obtenu l’annulation de ce recensement qui concernait plus de 500 mille personnes. Si quelqu’un se retrouve par malheur dans ce lot là, évidemment, il n’aura pas sa carte. C’est important qu’on fasse une petite analyse pour savoir qu’est-ce qui a pu être à l’origine de tel ou tel manquement en sachant bien que la CENI s’est engagée à travers un communiqué à corriger ces anomalies si elles lui sont signalées.
AFRICAGUINEE.COM : Qu’en pensez-vous pour la reprise des manifestations ?
[/B] Comme nous le disons souvent, la manifestation n’est pas le moyen unique de faire aboutir une revendication. C’est un moyen de dernier recours, c’est un droit sacré, garanti par la constitution. Donc, c’est au cas où on n’obtient pas satisfaction à nos revendications, qu’on peut recourir à la manifestation. Mais ce n’est pas le moyen privilégié d’action, même en face d’un pouvoir aussi obstiné que le RPG Arc-en-ciel.
AFRICAGUINEE.COM : Vous venez de rentrer d’une tournée à l’intérieur du pays. Dites-nous comment s’est déroulée la campagne au niveau de votre formation politique.
Il faut dire effectivement, nous avons été à la rencontre des populations. Le fait marquant, c’est l’état de délabrement du réseau routier national qui n’existe plus. Plus vous vous éloignez de Conakry, plus l’accès est impossible. Il y a des problèmes dramatiques, quand vous prenez l’axe Mamou-Faranah, nous avons trouvé des véhicules là, qui avaient passés plus de 24 heures. Et on a pu passer par la brousse. Quand vous voyez les axes Kissidougou-Gueckédou, ce sont des axes impraticables. Quand vous quittez Nzérékoré pour Bola (Beyla), ce sont les pires routes que j’ai vues dans le monde. Tout le réseau routier est complètement détruit. Ce qui est plus grave, on dilapide les moyens de l’Etat pour faire la propagande alors que même le minimum n’est pas là. Et quand on arrive à certains endroits, on se demande comment le matériel électoral va être acheminé dans certaines localités. Et quand vous arrivez à Nzérékoré, il y a beaucoup de projets qui ont été abandonnés depuis bientôt vingt ans. Et nous disons que la Guinée est devenue dans la tromperie politique, spécialiste des premières pierres, on ne voit jamais de deuxième pierre. A l’approche des élections, il y a des premières pierres posées partout, et depuis tout le temps, il n’y a jamais de suite. On compte sur cette tromperie encore, pour en bobiner les populations, de dire vous, oui !ne vous en faites pas, il y a un problème, mais, aux élections votez bien, au lendemain c’est le paradis, alors c’est une tromperie parfaite. Il faut que ça s’arrête, il faut qu’on cesse d’abuser des populations guinéennes. Nous avons vu des populations qui étaient affamées.
Quand vous allez à Beyla, il n’y a pas d’eau potable, y a pas à manger. On a été Kérouané, c’est horrible ! Des zones où on extrait des milliards de dollars de diamant, ce sont des zones parmi les plus pauvres du monde.
Mais le réconfort, c’est que les populations commencent à comprendre que c’est tout le système politique qui est là depuis 55 ans qui est responsable de ses malheurs, et elles comprennent parfaitement, que tant qu’on reprendra les mêmes pour recommencer, il y a la même misère qui va recommencer. Nous sommes convaincus que les gens sont entrain de sortir dans l’ethnicité. On a été bien accueilli par ces populations, nous sommes convaincus que le message que nous avons porté, a été bien compris par ces populations et qu’elles vont en tirer certainement les conclusions qui s’imposent.
AFRICAGUINEE.COM : En début de semaine, des affrontements ont été enregistrés à Labé entre militants de l’opposition et partisans du pouvoir. Quelle leçon tirez-vous de cette situation ?
Nous déplorons ces affrontements sporadiques dans l’arrière pays, puisque la tension est là, les gens cherchent leurs cartes, ils ne les trouvent pas, ils se rendent compte qu’il y a eu probablement la manipulation pour amener un certain nombre de citoyens à ne pas voter ; donc à les priver illégalement de leur droit de vote. Donc, je ne dis pas que c’est normal que ces populations se révoltent, mais les conditions sont là pour qu’il y ait des explosions sporadiques comme celle-là, c’est regrettable.
AFRICAGUINEE.COM : Votre mot de la fin ?
[/B] Ce que nous pouvons vous dire, c’est que nous sommes dans une situation extrêmement dramatique, et qu’aujourd’hui, il faut qu’on trouve les moyens de mettre en avant les intérêts supérieurs de la Guinée et qu’on ne s’accroche pas à des intérêts égoïstes. La Guinée est un pays sinistré qui a besoin d’un minimum de consensus pour qu’on arrive à bâtir autre chose que la misère qui est là. Et c’est pourquoi nous disons que notre première proposition à la prochaine Assemblée, si nous sommes élus, c’est une conférence nationale, vérité, justice et réconciliation pour qu’on arrive enfin à tourner la page des 55 années de dictature, de corruption et surtout de division communautaire.
Interview réalisée par Aliou BM Diallo
Pour Africaguinee.com
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